Après l’interdiction du mariage pour tous et de l’avortement, ce qui suppose la chute du gouvernement Hollande, vers quoi s’orienteront les officines catholiques et religieuses françaises ? Pourquoi pas le retour au travail des enfants et à l’emploi de célibataires plus productifs, plus flexibles, plus rentables ? Le pape vient de désavouer les religieuses étasuniennes (qui tolèrent, au moins pour les femmes et hommes catholiques, la contraception). Seulement pour des raisons doctrinales ? Pas sûr.
Imaginer un « agenda caché » des mouvements « pro-vie » et anti-mariage pour tous peut tenir du complotisme, et j’en suis parfaitement conscient. Mais ce qui se passe aux États-Unis et en Espagne, avec le bienveillant silence du pape Jorge Mario « Francisco » Bergoglio, laisse imaginer que les arrières-pensées de l’église catholique apostolique romaine ne sont pas que spirituelles.
Rajoy a fort bien été reçu par François au Vatican. L’audience à peine finie, l’épiscopat espagnol a lancé des campagnes publicitaires et des manifestations contre l’avortement, laissé entendre qu’il souhaitait la révision de la loi sur les droits des homosexuel·le·s et un retour à l’enseignement religieux dans toutes les écoles.
Et puis quoi ensuite ? Les aides sociales, non, la charité telle que pratiquée par la très conservatrice œuvre Caritas, le travail des enfants, et des gays et lesbiennes célibataires plus productifs, moins enclins à faire respecter leurs droits salariaux car tout juste « toléré·e·s » sur les lieux de travail (hors secteurs traditionnels de la mode, de la capilliculture, du stylisme) ?
L’église catholique romaine espagnole explique la dénatalité non pas en tant que conséquence de la crise (elle ne se prononce absolument pas sur les difficultés à décohabiter, à trouver un logement susceptible d’élever une famille) mais de l’avortement. Elle réclame, dans la rue et sur les murs (une campagne de publicité pour 150 000 euros avoués, à base d’affiches montrant des embryons), la révision de la loi de 2010 sur l’avortement et le retour aux sanctions de celle de 1882 (voir notre précédent article « avortement : nouvelles restrictions annoncées en Espagne »).
La dénatalité, le déclin démographique, ce n’est pas les conditions de vie détériorées, c’est l’IVG. Point. Mais il y a Caritas, qui secoure les familles convenables dans la détresse, qui aidera un temps les mères ayant renoncé à l’avortement.
Familles nombreuses, familles heureuses, et pour le faire comprendre, il s’agit d’obtenir ensuite la réintroduction de l’enseignement religieux dans toutes les écoles, afin de former les jeunes célibataires à s’envisager en tant que futurs époux, futurs pères ou futures mères. Tel que… Bien sûr pères et mères mariés, hétérosexuel·le·s.
Et ensuite quoi ? Le travail des enfants, plus dociles ? La tolérance à l’égard des lesbiennes et des homosexuels célibataires au travail, car plus flexibles, moins enclins à récriminer, prêts à effectuer des heures supplémentaires sans rétribution, plus présents car n’ayant pas de charges familiales ?
La spiritualité, le refus de l’individualisme marxiste ou libéral, des égoïsmes, ont fort bon dos.
La doctrine morale chrétienne, on voit vaguement ce que cela désigne en Espagne, quant à la doctrine sociale de l’église catholique romaine, on sait à peu près (pas d’assistanat, libre entreprise) mais c’est secondaire et n’a pas vraiment besoin d’être explicité. Cela relève davantage, pour le fidèle de base, qui n’est pas passé par l’une des nombreuses universités catholiques espagnoles, des mystères de la foi.
Pas question non plus de s’attarder sur les 248 millions d’euros que concède l’État à cette église concordataire ou sur les diverses exemptions fiscales. Car si l’église espagnole (qui perçoit les dîmes mais aussi de très copieuses recettes touristiques dues notamment à la fréquentation de 300 musées) réglait des impôts, ses bonnes œuvres en subiraient les conséquences, lesquelles ont surtout un financement en propre (la conférence épiscopale ne leur accorde que cinq des 270 millions de leurs budgets globaux).
On comprend bien que l’église catholique romaine française, seulement en partie concordataire, lorgne avec envie sur sa voisine qui semble être en passe d’obtenir un retour aux faiseuses d’anges avant de s’attaquer à la version locale du mariage pour tous et à l’instruction religieuse généralisée.
Les méthodes employées en France sont de plus en plus largement inspirées de celles dirigées en Espagne par la conférence épiscopale espagnole. Laquelle veut désormais élargir à toute l’Europe ce qu’elle est en passe d’obtenir localement (le Parti populaire majoritaire appuyant ses revendications, influant sur la cour constitutionnelle).
Pour le moment, l’église française n’appelle pas à mettre en ligne des photos de soi à divers âges, écographies incluses, pour vanter le fait qu’un être humain l’est depuis sa conception. Manque de moyens sans doute. D’un côté les intimidations, de l’autre des jeunes mobilisés durablement.
Et puis quoi, bientôt ? Faute de pouvoir s’attaquer dans les cours d’écoles aux enfants des familles recomposées (trop nombreux), la chasse aux « bâtards » devant morfler et se faire racketter ?
Déjà, Alliance Vita, en France, met en avant le slogan « protéger l’humain de sa conception à la mort » (ce doit être pour lutter contre les accidents au travail). En Espagne aussi, les manifestations deviennent quasi-permanentes.
Il ne s’agit pas que d’obtenir le retrait d’une loi, puis d’une autre, puis d’une troisième, mais aussi de fédérer des militants durables dans l’adhésion des croyances ou convictions qu’il s’agira d’élargir progressivement à d’autres thèmes.
L’archevêque André Vingt-Trois prépare les esprits. Le mariage pour tous introduirait une indifférenciation entre les sexes qui deviendrait dominante, imposée, ce qui entraînerait une frustration qui débouchera « un jour ou l’autre sur la violence pour faire reconnaître son identité particulière contre l’uniformité officielle ». En clair, catholiques, vous avez raison de vous révolter, on vous y pousse, votre violence est légitime.
Le pendant du
Légitime était votre colère,
Le refus était un grand devoir,
On ne doit pas tuer ses père et mère,
Pour les grands qui sont au pouvoir.
(Braves soldats du 17e).
C’est exprimé de manière assez ambigüe pour que se sentent justifiés les « sous-ensemble identitaires, qui pensent ne pouvoir se faire reconnaître que dans la violence », sous prétexte de les dénoncer.
Croyez-vous vraiment qu’ensuite les thèmes défendus par l’église catholique romaine seront les inégalités sociales ou la souffrance au travail ? Ou plutôt les thèmes chers à la droite la plus décomplexée ? Et ceux de la branche la plus radicale du patronat ?
Ichtus, un institut catholique traditionaliste, « école de cadres catholiques », soutient la dissidence culturelle que conforte Guillaume Peltier, le courant proche de Copé (jusqu’à nouvel ordre de substitution), la Droite forte de l’UMP.
En Hongrie, un curé, Hegedus Lorant, membre revendiqué du parti Jobbik, lance une journée de rencontre « des antibolchéviques et des antisionistes » à Buda et Pest le 4 mai prochain. Le Vatican ne réagit pas. En fait, les rôles sont répartis. D’un côté les « humanistes » apaisants, de l’autre les radicaux soutenus en sous-main. D’un côté, des œuvres caritatives, de l’autre l’Opus Dei et les Légionnaires du Christ, totalement en symbiose avec les régimes ou patronats les plus autoritaires.
En fait, conscient de la sécularisation des populations, le Vatican tente de réagir. En Pologne, la fréquentation des églises a chuté à 41 % en 2010, d’où l’érection d’une statue de Jean-Paul II à Czestochowa et un appui aux plus traditionalistes. Pendant ce temps, le présumé « pape des Pauvres » mobilise les foules sentimentales.
Il ne s’agit pas de tomber dans l’anticléricalisme forcené ; il y a d’excellentes individualités dans pratiquement tous les clergés (et même toutes les diverses strates d’une société).
Mais il convient de rappeler que Mario « François » Bergoglio est un conservateur en matière de mœurs, soupçonné de misogynie (accusant les féministes catholiques étasuniennes de radicalisme, y compris les nonnes américaines de la LCWR), et que la compassion est une chose, la justice sociale toute autre. Ce n’est pas seulement à propos de la contraception que le pape s’oppose aux religieuses nord-américaines : il leur préfère l’épiscopat étasunien, beaucoup moins au contact des réalités sociales.
Le pape mobilisera peut-être en tapant dans un ballon de foot, mais pour le reste, ce sont les éléments les plus réactionnaires de l’église catholique romaine qui mobilisent.
Notez que les câbles diplomatiques dévoilés par WikiLeaks (1973-1976,les Kissinger Cables) incluent des communications diplomatiques du Vatican avec les régimes de Pinochet ou de Videla (ou encore de Francisco Franco).
Le Vatican se plaignait des inquiétudes du pape Paul VI « [i]au sujet de la campagne internationale réussie des gauchistes pour déformer complètement les réalités de la situation chilienne[/i] ».
Selon le cardinal lyonnais Barbarin, le Vatican jugerait exemplaire la manière dont l’église de sa « fille aînée » s’opposerait au mariage pour tous.