Lorsque le choix d’implanter ITER à quelques kilomètres d’Aix-en-Provence fut annoncé, la nouvelle fut accueillie relativement favorablement dans la région PACA, alors supposée devenir un eldorado pour les entreprises françaises innovantes. Mais tout le monde, élus en tête, avaient occulté une évidence: le projet Iter ne profiterait pas qu’aux entreprises françaises, loin s’en faut.

 

Sur son site web, l’agence Iter est toujours aussi enthousiaste. Elle y évoque « Iter en Provence, Un projet de territoires » et annonce que « à terme, Iter rassemblera environ un millier de chercheurs, d’ingénieurs et de techniciens spécialisés dans les sciences de la fusion, du plasma ou de la cryogénie (science du froid) et dans d’autres domaines de compétences techniques et scientifiques (informatique, gestion de projets, électronique…).»

A la clé, non seulement la création d’emplois – 500 personnes employées directement par l’organisation internationale, 3 000 emplois indirects ou induits en France dont 1 400 en PACA -, mais aussi la possibilité pour les entreprises régionales de participer aux nombreux appels d’offres concernant la réalisation de cet immense chantier qui s’étend sur plus de 180 hectares.

 

Des montants engagés colossaux

Les sommes engagées sont colossales. Au niveau européen, où Bruxelles semble dépenser sans compter, à hauteur de 45% du budget pour financer les infrastructures. Mais aussi au niveau local, avec une participation de 152 millions d’euros du Conseil général des Bouches-du-Rhône, répartis entre 72 millions pour réaliser l’itinéraire d’accès et 80 millions pour participer au financement de la machine. Au total, les collectivités locales ont financé un quart de la participation française au projet, qui est de 1 168 millions d’euros. Et le budget global grimpe vertigineusement, passant en moins de cinq ans de 5 à 15 milliards d’euros, selon les estimations les plus basses qui n’intègrent pas tous les impondérables techniques. Des sommes que certains, par ces temps de crise, préfèreraient voir investies dans le tissu industriel et les "emplois d’avenir".

 

Capénergies : un pôle de compétitivité dédié

Dans ce sens, dès 2006, des entreprises françaises de la filière du nucléaire et de l’ingénierie énergétique s’étaient regroupées, en créant notamment Capénergies, un pôle de compétitivité implanté près de Cadarache, et qui avait pour ambition de « faciliter le positionnement des entreprises et industriels régionaux du pôle pour leur participation à la construction et l’exploitation sur les 30 années à venir de la machine ITER notamment comme partenaires et/ou sous-traitants des grands groupes internationaux, qui seront des acteurs majeurs de ce premier grand projet industriel à l’échelle mondiale ». L’enthousiasme est vite retombé, ITER ne créant au final des emplois, en France, que dans le secteur du BTP. Les opérations de viabilisation et d’aménagement du site ont en effet été réalisées à 80 % par des entreprises régionales. C’est déjà ça, mais…

 

Des négociations biaisées dès le départ

Un retour en arrière permet de comprendre que, très tôt, les négociations étaient biaisées. Ainsi le Japon avait-il renoncé en 2005 à accueillir sur son sol la centrale, à la condition toutefois de se voir attribuer 20 % des contrats du projet ainsi que l’intégration de 20 % de Japonais dans la composition du comité scientifique du projet ITER. On notera également que c’est un Japonais, Osamu Motojima, qui est à la tête d’Iter Organization, l’organe chargé de la coordination du projet.

 

Des marchés attribués aux entreprises étrangères

Les heureux bénéficiaires des marchés sont donc ailleurs car, si la France accueille les bâtiments, les composants hautement technologiques du réacteur de la centrale sont réalisés en Corée, en Inde, ou encore au Japon, et sont assemblés au Etats-Unis. Autant d’industries nationales de pointe qui fonctionnent à plein, alors que l’hexagone se contente de construire les routes pour l’acheminement des pièces.

Les appels d’offres ouverts diffusés auprès de l’ensemble des fournisseurs qualifiés précisent pourtant qu’ils mettent « les entreprises en concurrence sur un pied d’égalité pour l’attribution des contrats de fourniture de biens ou de services » mais force est de constater que les premiers marchés attribués par le consortium le sont à des entreprises en grande majorité étrangères, et pour la plupart avantagées dans les appels d’offres internationaux de l’organisation compte tenu d’une fiscalité et coûts de main d’oeuvre plus cléments.

 

Des entreprises françaises peu soutenues

En France deux entités ont été mises en place pour suivre le projet. La mission Iter, placée sous l’autorité du Préfet de région, en charge de la réalisation des équipements régionaux comme, par exemple, l’école internationale dont le financement et la maîtrise d’ouvrage sont assurés par le conseil régional PACA, et l’Agence Iter France créée au sein du CEA, qui est responsable de l’accueil des collaborateurs Iter et de leur famille et des travaux de viabilisation du site.

Au-delà de ces structures opérationnelles, on peut toutefois se demander si la France appuie, au plus niveau, ce projet et souhaite mettre en avant le savoir-faire de ses entreprises industrielles. Si on a vu un ministre japonais visiter le chantier au mois de juillet 2012, les autorités françaises, quant à elles, se font discrètes, à l’inverse des écologistes s’opposant au réacteur thermonucléaire expérimental qui sont les seuls à nous rappeler son existence. Ceci expliquant peut-être cela. Le ministre du redressement productif semble déjà avoir fort à faire pour sauver la production de pulls marinières et de robots de cuisine.

 

Pour conclure…

Le principal handicap français dans les appels d’offre internationaux, au delà du manque d’appui de la diplomatie française, est lié à des couts de production exorbitants : Une fiscalité écrasante se conjuguant avec un coût du travail très élevé abouti à une perte de compétitivité des entreprises tricolores qui ne peuvent que proposer des produits et services plus chers que leurs concurrents internationaux. Or remporter ces grands marchés a des effets bénéfiques directs et indirects. Bien entendu en premier lieu des emplois sont créés, ou maintenus, dans l’entreprise mais aussi chez ses sous traitants. Ensuite, sur le moyen et long terme, le développement d’une expertise technologique permet de développer la compétitivité nationale. Nous l’avons vu en France, par exemple, pour le TGV ou encore par le développement de la filière nucléaire. Pour certains de ces gros marchés ne serait il donc pas du ressort de l’Etat d’essayer de rétablir l’équilibre par des aides publiques pour renforcer la compétitivité de notre pays ? L’exemple d’ITER est intéressant car la dimension technologique des appels d’offre fait que les vainqueurs, outre les effets économiques directs, vont renforcer leur expertise et ainsi devenir encore plus compétitif sur le marché de l’énergie nucléaire.