D’un côté, je dois chroniquer le roman Émilie, de l’ami Aïssa Lacheb (Diable Vauvert éd.) – ce que je ferai ici-même, en évoquant la couv’ à la Tardi – et de l’autre, Le Monde demande à ses lecteurs « racontez-nous vos souvenirs du mouvement de protestation » (de mai 1968). Alors, histoire de faire « palper » le dérisoire…
J’ai frôlé deux guerres. Celle des Six Jours (à la frontière irakienne), la serbo-croate. La Grande Guerre, connaît pas. Si ce ne fut par les récits de l’écrivain Yves Gibeau et les photos de Gérard Rondeau (deux amis défunts). Mai 1968, là, j’ai connu, vécu. Or donc, j’écris foutraque, car si las d’avoir rédigé conforme, des myriades d’articles de presse. Donc (bis), M, le magazine du Monde, veut des témoignages de soixante-huitards. Allons-y. Voici le texte titré « Je l’ai vécu, mais non Nantes, ou Strasbourg, l’année d’avant ». En 1969, j’étais étudiant buissonnier à Nantes, plus tard, jack of all trades et journaleux (Agence de presse Libération, Uss’m Follik) à Strasbourg. D’où ce titre. Et voici ce texte, à un caractère près (espaces inclus) de la jauge de l’interface du site du Monde. C’est décousu, voir supra. Tant mieux. Il (le texte) n’apparaîtra qu’ici car « une erreur est survenue, veuillez réessayer ultérieurement », qu’il « dit », Le Monde.
« Mai 1968 a ‘débarqué’ à Angers sans vraiment crier gare. J’avais des copains PSU qui envisageaient d’occuper le château médiéval, ce fut le théâtre de la place du Ralliement. Mais j’ignorais tout, tant du Conseil de Nantes, l’année précédente, réunissant ouvriers-paysans-étudiants, avec des étudiants angevins, ou d’autres, comme Narvor, bientôt qualifiés d’anarco-étyliques (j’en fus), en 1969, à Nantes, par les ‘gauchos’ dits ‘organisés’ (maoïstes, troskards…), ou de paléo-situationnistes. Aucune idée de ce qui s’était passé à Strasbourg en 1967. De la misère en milieu étudiant avait été publiée dès nov. 1966 (nous la republierons avec la Librairie de Veaux et Uss’m Follik, ‘issu du peuple’, quelques années plus tard). J’étais un Fabrice à Valmy. En première au lycée Saint-Martin. Cogné par un assistant de chimie, avec mes profs qui, devant moi, envisageaient de revêtir le treillis de leur guerre d’Algérie. Bof. J’occupais donc le théâtre. Avec les potes, fils de gens de l’OAS, mêlés aux blousons noirs de la ‘bande des plantes’, rétribués par les chrétiens-démo pour nous vider. Les pompiers nous aidaient en les aspergeant d’eau, les anars ardoisiers de Trélazé faisaient parfois le coup de poing avec nous. Je faisais l’estafette (en auto-stop) avec l’Odéon occupé : difficile de coordonner les actions au niveau national. J’avais 16-17 ans et enfin l’impression de vivre intensément sans voyager en beatnik (Moyen-Orient en 1967, plein de voyages). Nostalgie. Aucun regret. »
De toute façon, c’est tellement incompréhensible pour les moins de 70 ans que cela n’avait aucune chance d’être reproduit. Les journaleux, dès la cinquantaine, sont poussés vers la sortie. Au Monde, plus aucun condisciple ou confrère, j’imagine. À Libé non plus. Mais passons du coq à l’âne. À Émilie, très jeune orpheline axonaise, qu’Aïssa Lacheb fait revivre à Beine-Nauroy, village rasé par l’artillerie. Je ne sais si j’avais été l’Émile de Nauroy, mué en comte de Saint-Germain immortel, traversant mai 1968, toute cette agitation ne m’aurait pas paru dérisoire (en dépit des morts, car il y en eut sous les coups des CRS ou de la police ; peu, et j’avais rencontré le général commandant des CRS par la suite, et nous avions convenu que cela aurait pu être « si pire », comme on dit au Québec).
Le bilan de mai 1968, c’est avant tout qu’il n’y eut pas de guerre civile, comme en l’Espagne de 1936-1939. « Nous » l’espérions presque. Les aînés nous l’ont évité. Et en vieux réac que je suis devenu, pour un peu, je les en remercierai. Ne faut quand même pas pousser. Staliniens et mafieux (genre Pasqua-Papon) du cloaque gaulliste, démochrétiens aux « dents blanches » (Lecanuet), comprenaient dans leurs rangs de multiples crapules. Défaite : on leva l’occupation du théâtre d’Angers parce que des jeunes gens plus âgés que moi me firent savoir que la une du Courrier de l’Ouest (dit « le quotidien de l’évêché ») était déjà composée avec ce titre en gras : « Les gauchistes incendient le théâtre avant de l’évacuer ». Comme des niais, nous avions convié toute la population à venir débattre, sans filtrer les fachos, les bourges venus avec des fioles d’essence, &c. Et nous avons eu les foies. Peut-être aussi parce que parmi nous, les étudiants et lycéens, il y avait des « fils de famille », et des pères de famille (les anars des ardoisières de Trélazé), qui n’auraient pas supporté les conséquences. Judiciaires et familiales. S’ensuivront des dégâts, peut-être moindres que ceux d’une guerre civile : années de came, de sida, de misère et déclassement, &c. Bah, pas plus qu’à Cuba, qu’en la Chine des Habits neufs du président Mao de Simon Leys. Cela rend supportable la cohabitation avec les bouffons, genre BHL ou les amuseurs télévisuels, les jeunots tel Emmanuel Macron, les contemporains du genre Luc Ferry (faiseur et quasi-escroc qui dut rembourser ses émoluments à Paris-Diderot), et avec les conchieurs de Mai, Mais, Paris Mai (Claude Nougaro). Oui, « la Seine de nouveau ruisselle d’eau bénite », les féministes rances pompent les subventions, honnissent les hédonistes, et n’ont plus qu’une avidité d’exposition médiatique et de fric. Bof. « Ces temps-ci, je l’avoue, j’ai la gorge un peu âcre », mais avec mes allocs de retraite sans cesse réduites, je peux encore acheter du thé et du miel, et soigner mon dégoût supportable. Je n’ai que le cerveau d’estourbi, pas la gueule cassée des Poilus de Lacheb. Désormais, tant qu’on m’foutra la paix, j’me tairai. Juste un truc. À l’intention de nos « dirigeants » : les vieillards de 1968 ne supporteront pas qu’on fasse trop la vie dure à leurs enfants et petits-enfants. Et contrairement à Daesch, ils cibleront soigneusement en se faisant sauter ; préférable à l’euthanasie, non ?