Dédicacé « aux trois femmes de [sa] vie », Machin, livre au format PDF (éds Onlit.net), de Pierre-Brice Lebrun, n’est pas tout à fait un roman d’amour, ou alors vraiment singulier. Il doit son titre au surnom d’un enfant que le narrateur n’a pas plus connu qu’il ne cherchera à le connaître. Garçon, fille ? Peu importe… Parler, écrire à cet(te) inconnu(e), c’est se replonger dans le souvenir d’une (ou de) femmes aimées. En particulier d’une amie d’enfance, qui ne fut jamais une amante, mais le restera mentalement à jamais.

Ce qui frappe, c’est le style, direct, fluide, du monologue, de ceux qu’on ressasse en s’adressant à – ici, une ou confident – pour déballer envies, impulsions, désirs, regrets, remords, mais aussi espérances dont le contour reste encore incertain.

Pierre-Brice Lebrun, dont l’existence est rythmée par une passion doublement alimentaire (il traite de gastronomie dans La Fureur des Vivres, qui divulgue des recettes et ses chroniques), ne vit pas que d’amour et d’eau fraîche, mais son carnet de bord reste discret sur les autres aspects de son quotidien. Je l’avais rencontré lors de l’un de ces débats littéraires assortis de dédicaces d’un auteur célèbre, et je crois que nous avions parlé kapousta, choux, minci, feuilles farcies, &c. Gourmandises et gourgandines ? C’est plus facile.

« Il » rencontre «Elle », de nouveau, fillette et complice d’enfance devenue femme, et enceinte, et les « décore », l’enfant à naître comme sa maman, « de mille baisers ». Le père a fui, encombré d’une paternité future, et il, lui, le compagnon « arrivé au bon moment », assumerait volontiers une famille.

Mais la vie en décide autrement. Le gendre parfait s’est éloigné, ou l’a été (car la fille de famille lui cache a lui aussi sa grossesse), l’idéal tel que se conçoit le narrateur qui recueille une femme encore adolescente, et cohabite avec deux autres, n’ose vraiment se déclarer.

En fait, c’est plus compliqué, évidemment. Mais c’est en filigrane, et peu importe les situations, les lieux, ou si la jeune future maman est animatrice dans la même colonie de vacances que le narrateur ou si tout cela est transposé. Qu’elle se réfugie ensuite chez lui, puis rejoint sa famille, déballe tout, fugue, est reprise par les siens, forcée à contracter un mariage de convenance, contrainte à tenter un avortement qui n’est plus légalement possible, nulle part, n’est pas qu’accessoire. Mais c’est surtout sa décision, à elle, d’offrir finalement le « meilleur » convenable à Machin, qui scelle un éloignement qui tourne définitif.

Il, le narrateur, l’avait, les avait, tellement espérés que, longtemps plus tard, en son for intérieur, l’auteur transcrit, leur adresse sa bouteille à la mer. « Elle devait te donner mon prénom. Elle devait un jour revenir. Je vous attends toujours… ».

Neuf vieilles années s’ensuivent, et il se marie, espérant toujours. Puis dix autres. Il se remémore encore. Puis, 26 après avoir joué constamment la date de naissance de Machin, il se lâche. En 45 pages, qui peuvent vous hanter autant que les protagonistes, s’ils existent vraiment.

C’est donc, comme on voudra, un court roman ou une longue nouvelle, intensément chargé(e) d’émotions revisitées. C’est . Encore moins cher qu’une production des éditions Indigènes (à peine moins d’un euro au lieu de trois et quelques), d’autant plus cher que les renoncements les plus déchirants sont poignants. « Merci pour cette douceur – commente une lectrice –que j’ai dévorée en entier, aussitôt possédée. ». Belle chute pour un récit qui vous entraîne – peut-être – à retrouver par la mémoire toutes les femmes (ou les hommes) avez qui « on » avait rêvé d’enfant.

Machin ne lira jamais sans doute cette évocation, pas davantage que Françoise, qui ne se reconnaîtra sans doute pas, à laquelle je dédicace ce bref compte-rendu de lecture, tout comme à d’autres, ultérieures…