Hier, dans un village de pêcheurs de la côte équatorienne, deux Colombiens ont été arrêtés par la foule qui les accusait d'avoir dépouillé et assassiné, quelques heures plus tôt, un commerçant de la région âgé de 64 ans.
Malgré leurs efforts désespérés, les policiers n'ont pu empêcher la multitude de s'en prendre aux deux suspects et de les frapper sauvagement. À demi inconscients, les deux Colombiens furent traînés jusqu'à la place du village où ils furent encore brutalisés.
Ensuite, on les plaça sur un bûcher improvisé, un homme est sorti de la foule et a copieusement aspergé d'essence les deux suspects avant d'y mettre le feu. La foule a fait un cercle autour des deux hommes en flammes pour continuer à les huer et à les insulter.
Lorsque les policiers purent enfin approcher ce qui restait des suspects, ils découvrirent sur l'un des corps un document de la chancellerie équatorienne lui accordant le statut de réfugié politique : il venait de fuir la Colombie pour échapper à la violence qui y règne…
Les images présentées par la télévision équatorienne ont provoqué un choc en Colombie, pays où la peine de mort a été abolie par la Constitution en 1910, c'est-à-dire 70 ans avant la France !
Cet acte de barbarie a sûrement été favorisé par les tensions politiques qui dominent actuellement les relations entre la Colombie et l'Équateur, tensions sans cesse attisées par les discours du président Correa depuis l'attaque du 1er mars des forces armées colombiennes contre le camp des FARC situé en territoire équatorien.
Brûlés vifs sur la place publique… le Moyen-âge n'est plus très loin.
Pour ceux qui ont le coeur bien accroché :
Article sur le même sujet
J’ai rédigé un article sur le même sujet en 2003, avec une présentation de certains aspects juridico-constitutionnels. Article toujours en ligne sur LATINREPORTERS
http://www.latinreporters.com/equateursoc20052003.html
Equateur – Châtiments corporels sur l’altiplano andin: justice indienne et justice des blancs
par Philippe Herriau
QUITO, mardi 20 mai 2003 (LatinReporters.com) – Ce matin-là, Elena, à moitié dénudée, est fouettée en place publique. Son bourreau a le visage dissimulé par une cagoule. “Qui es-tu, d’où viens-tu, que faisais-tu sur notre territoire ?” crie-t-il. Elena sanglote sous les coups, puis s’agenouille et, le visage tourné vers son bourreau, les mains jointes, elle implore le pardon. Une partie de la population hurle son soutien au bourreau, mais la grande majorité se contente d’approuver en conservant un silence épais. Plus tard, Elena et sa compagne Paola sont aspergées d’essence et menacées d’immolation. On les fouette à l’aide d’orties et, enfin, on les baigne dans de l’eau glacée. Voilà deux jours qu’elles subissent ce châtiment, décidé par l’assemblée des chefs de 18 communautés indigènes. La scène se passe à 150 km au sud de Quito, dans le village de Salasaca.
Leur crime ? Avoir tenté d’escroquer un commerçant indigène en lui proposant d’échanger un billet de loterie falsifié contre de la marchandise.
Ce cas de justice parallèle sur les hauts plateaux équatoriens n’est pas isolé ; ce serait le dixième depuis le début de l’année. En fait, cela fait environ dix ans que certaines communautés indiennes rendent ainsi leur justice. Un code oral des peines existe. Des tribunaux ont été construits. Des cachots aussi. Il y a des juges… Et il y a des bourreaux.
Les chefs évoquent des traditions pluri-séculaires : “Nous appliquons nos lois car nous ne croyons pas en la justice commune”. Dans ces communautés, on raconte que meurtriers et violeurs ne passent pas plus de six mois dans les prisons d’Etat avant de retrouver leur liberté. Les Indigènes, eux, croient que leur justice est plus efficace et plus dissuasive. A cela, les juges officiels répondent que de tels actes relèvent de l’auto-justice et sont donc constitutionnellement interdits.
L’opinion publique non-indigène estime que la police devrait avoir un meilleur contrôle du territoire. D’autant plus que ces châtiments peuvent durer, au vu et au su de tous, deux à trois jours avant que les “coupables” ne soient éventuellement remis aux forces de l’ordre. Toutefois, chacun sait aussi que, dans ces communautés plutôt fermées, la police, craignant de violentes réactions, n’intervient qu’avec beaucoup de précaution.
Au-delà de l’aspect tristement spectaculaire de ces procès et au-delà des raisons des uns et des autres, il faut rappeler un contexte historique particulier. L’Equateur a été colonisé pendant près de trois siècles par l’Espagne. Son indépendance a été obtenue par la rébellion des Espagnols y résidant contre ceux représentant le pouvoir madrilène. On peut dire que ce sont des blancs qui ont mis dehors d’autres blancs, que ce sont des Espagnols qui en ont remplacé d’autres. Un pays comme l’Equateur, surtout dans sa partie andine, reste marqué par cette réalité. Aujourd’hui encore, il y a la justice des blancs et la justice des indigènes. La justice “légale” et “l’illégale”. Ou vice-versa, selon le point de vue.
L’évolution de la conception politique a donné des droits spécifiques aux peuples natifs. Ainsi, la dernière Constitution dont s’est doté l’Equateur en 1998 précise en son article 181 : “…Les autorités des peuples indigènes exercent des fonctions de justice en appliquant des normes et des procédés qui leur sont propres dans le but de solutionner des conflits internes et ceci en conformité avec leurs coutumes ou leurs droits ancestraux à la condition qu’ils ne soient contraires à la Constitution et aux lois. La loi organisera la compatibilité de ces fonctions avec le système judiciaire national.”
Cette reconnaissance constitutionnelle, au même titre que le droit de préserver leur identité ou de parler leur langue, autoriserait les Indiens à châtier. Reste la question de l’organisation et du contrôle d’une telle justice. Or, il semblerait qu’en ce domaine, les pouvoirs publics équatoriens n’aient pas, volontairement ou non, fait tout ce qu’ils auraient dû faire. Dans un tel contexte, certains indigènes n’hésitent pas, au risque d’enfreindre la loi, de pratiquer leur propre justice
La volonté de retrouver ou de préserver une identité jusque dans des traditions judiciaires peut être compréhensible. En revanche, les flagellations en place publique, si manifestement contraires aux droits de l’homme, ne sont certainement pas le meilleur moyen pour convaincre de la légitimité d’une telle justice.