À défaut d’assurer ses cours en fac, l’ancien ministre Luc Ferry pourrait devoir plancher… au Maroc, ou devant des enquêteurs marocains en France. Mustapha Errachdi, avocat de l’une des deux associations marocaines ayant porté plainte contre X dans l’affaire du présumé ancien ministre français ayant, selon Luc Ferry et Le Figaro, possiblement eu des relations sexuelles à Marrakech avec des mineurs, va plus loin. Pour lui, Luc Ferry pourrait être « poursuivi pour non dénonciation de crime. ». C’est aller un peu vite…

Douste-Blazy a finalement fait savoir qu’il n’était pas l’ancien ministre visé par les propos de Luc Ferry et du quotidien Le Figaro. Dommage, après la confirmation  par son ancienne épouse, Dominique Cantien, qu’il s’était bien produit entre elle et lui, à la Mamounia, une scène de ménage, il aurait pu faire valoir que cet incident avait porté à confusion et serait démesurément amplifié. Luc Ferry confirmait que la rumeur portait sur ce seul incident, et l’affaire était rapidement évacuée. Ce qui serait souhaitable, au moins pour Luc Ferry et quelques anciens ministres, et le palais royal marocain, si cette affaire n’était réellement qu’une rumeur de plus, comme tant d’autres qui se sont dégonflées. En revanche, la prostitution au Maroc, de mineur·e·s et de majeur·e·s, est en passe de faire figure de phénomène de société qui secoue les consciences marocaines.

La ministre de la Famille du Maroc, Nouzha Skalli, a révélé que le procureur royal de Marrakech avait ouvert une enquête approfondie « sur instruction du ministre de la Justice. ». En clair, selon les vœux du palais royal, voire du roi lui-même. Rien n’empêchait la police marocaine d’enquêter, mais formellement, l’ouverture de cette enquête judiciaire, annoncée officiellement, dédouane le palais et le makhzen, voire le roi lui-même, de vouloir étouffer l’affaire.

Deux raisons, en sus du fait qu’il semble tout à fait normal d’ouvrir une enquête à la suite de plaintes contre X, expliquent cette prompte réaction. D’une part, comme on pouvait s’y attendre, la presse espagnole a donné un fort retentissement à cette affaire. L’Espagne et le Maroc ont des relations en dents de scie du fait des enclaves espagnoles dans le nord du Maroc. L’image de marque du royaume en prend un coup. De plus, si les reportages en caméra cachée ou effectués par des journalistes se prétendant de potentiels clients en venaient à s’intéresser plus globalement à la prostitution, ce ne serait pas que le tourisme sexuel « ordinaire » qui pourrait être visé. À tort ou à raison, avec la dose d’exagération qui caractérise les rumeurs, la rue marocaine attribue aux émirs et hommes d’affaires du Proche Orient, soit aux Saoudiens et aux Émiratis en particulier, des pratiques peu conformes à la morale islamique. De Marrakech, l’attention de la presse étrangère pourrait se déporter sur Agadir ou Casablanca, hauts lieux présumés de parties fines.« Nos femmes sont devenues des marchandises pour les pays du Golfe, » estime un commentateur du site Demain on line.

D’autre part, alors que les réformes tardent à se concrétiser, c’est à la personne même du roi que les commentateurs des sites d’information marocains commencent à s’en prendre. « Il est temps de renverser ce régime criminel, » peut-on lire. Cela déborde aussi avec l’accueil présumé bienveillant que le régime réserverait à des « call-girls du Mossad ».
Plus largement, une partie de l’opinion marocaine considère que la misère pousse non seulement les jeunes, mais même les familles, à se tourner vers la prostitution. De ce point de vue, elle ne serait pas qu’un phénomène urbain. Non seulement il existerait des « maisons » dans les petites localités, mais le touriste de passage, qui ne serait pas qu’Européen ou Proche-Oriental, mais aussi Marocain ou provenant de pays voisins, n’éprouverait guère de difficultés à solliciter des services sexuels auprès de jeunes femmes et de femmes se prostituant occasionnellement.
Comme toujours, un tel débat sur un sujet sensible suscite des exagérations, des généralités abusives. Mais au-delà des déclarations de Luc Ferry, le phénomène plus global interpelle le pouvoir marocain au moment où il reste vivement contesté. S’il n’est pas tout à fait sûr qu’il y aura durablement un avant et un après l’affaire DSK en France, il n’est pas plus assuré qu’il y aura un avant et un après l’affaire Luc Ferry au Maroc. Il reste à constater l’usage qu’en feront les diverses composantes de l’opposition marocaine. Une chose est sûre : Luc Ferry ne doit pas s’attendre à un accueil chaleureux de sa majesté chérifienne s’il lui prenait l’envie d’aller voir sur place si ses propos étaient ou non fondés…

Actualisation :

Finalement, Matignon, en fait Bercy, donc le contribuable, remboursera l’université Paris-Denis-Diderot des sommes que représentent les cours non assurés par Luc Ferry. Et s’il doit répondre à une convocation de la police marocaine, la République l’acheminera ?