"Je regarde comme impie et détestable cette maxime, qu’en matière de gouvernement la majorité d’un peuple a le droit de tout faire, et pourtant je place dans les volontés de la majorité l’origine de tous les pouvoirs (…).
Lors donc que je vois accorder le droit et la faculté de tout faire à une puissance quelconque, qu’on appelle peuple ou roi, démocratie ou aristocratie, qu’on l’exerce dans une monarchie ou dans une république, je dis: là est le germe de la tyrannie, et je cherche à aller vivre sous d’autres lois.
Ce que je reproche le plus au gouvernement démocratique, tel qu’on l’a organisé aux États-Unis, ce n’est pas, comme beaucoup de gens le prétendent en Europe, sa faiblesse, mais au contraire sa force irrésistible".
Alexis de Tocqueville, "De la démocratie en Amérique"
Force est de constater que la légitimité acquise par Nicolas Sarkozy, fort de ses 53 % obtenus lors du scrutin du 6 mai 2007, semble placer le chef de l’Etat au-dessus de tout, et contraindre ses opposants au silence, condamnant toute opposition, jugée malsaine car allant sur un chemin de traverse différent de celui suivi par la légitimité électorale. Ainsi, Gilles de Robien a déclaré dans les colonnes des journaux Le Monde et Marianne : “François Bayrou ne semble pas comprendre qu’il y a un président de la République élu, fort du suffrage universel, qu’il se doit de respecter" Il ajoute qu’ "il serait malsain d’appeler à la résistance contre la légitimité du scrutin”. N’est ce pas le symbole d’une véritable ambiguïté de la culture politique à la française ?
Nombreux sont les Français à vouer un véritable culte au statut même du chef de l’Etat, l’érigeant presque sur le piédestal ultime du sauveur de la nation. Son auréole est telle que le moindre de ses opposants et aussitôt taxé de "gauchiste", terme bien péjoratif me direz-vous. Gare à celui qui ose émettre toute critique désobligeante envers le président de la République légitimement élu, il serait aussitôt vu sous le prisme d’un homme allant à l’encontre même des préceptes démocratiques fondamentaux et de la légitimité populaire sacrée, les citoyens étant la base même du lien politique selon Hobbes (Le Léviathan). En effet, tout individu osant critiquer un homme élu par la majorité populaire est aussitôt accusé d’être à proprement parler "antidémocratique", car ne respectant pas le résultat du scrutin.
Relisez la citation d’Alexis de Tocqueville susvisée. Il nous fait part du danger prééminant dans toute société démocratique : celui de la dictature de la majorité. L’opposition n’est-elle pas l’essence même de la démocratie ? Elle en serait tout du moins un garant. Le président de la République est loin de représenter l’ensemble des courants de pensée ayant libre cours au sein de la population nationale. Sans opposition, la démocratie est en péril et va jusqu’à risquer sa disparition au profit d’une dictature monopartite. Le devoir de l’opposition est bel et bien de se porter garant de la culture démocratique en veillant à ce que la majorité ne sorte pas de ses attributions prévues par les textes constitutionnels et les Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR, contenus dans le bloc de constitutionnalité créé par le doyen Louis Favoreu). L’opposition, qu’elle soit de droite ou de gauche, a un devoir de critique, se doit de constituer une force de proposition et d’alternative sans tomber dans les bassesses de la politique d’opposition politicienne se contentant de critiquer systématiquement sans demi-mesure. L’opposition, quel que soit son bord politique, n’a pas à s’enfermer dans le mutisme et l’aphasie et se doit de sauvegarder un équilibre institutionnel.
Nicolas Sarkozy, notamment lors du congrès du Bourget du 28 novembre 2004, avait annoncé son désir d’une "démocratie irréprochable". Une démocratie irréprochable n’a t-elle pas le devoir de donner un véritable statut à l’opposition ? Le problème dans notre beau pays est que cette dernière est souvent diabolisée au sein de certains courants de pensée politiques. Elle est souvent présentée comme un froid monolythe conservateur, facteur d’obstruction et de statu quo. Quel rôle jouerait le Parlement alors sans opposition ? Autant confier le soin de débattre et de voter les lois au seul gouvernement ! Si l’Assemblée nationale, siège ultime du pouvoir législatif, est composée de 80 % de députés de la majorité, force est de parier que les débats n’auront jamais lieu, le Parlement devenant par là même une simple chambre d’enregistrement des normes législatives.
Donner un statut à l’opposition, certes. Cependant, la condition à remplir pour l’opposition sera de ne pas tomber dans la critique et la contestation systématique dans une perspective électoraliste. La critique systématique est loin d’être une critique constructive. L’éternel clivage gauche-droite est devenu bien trop obsolète et plonge la France dans un immobilisme fortement préjudiciable à l’épanouissement démocratique. Redonner un statut à l’opposition est une chose. Cependant, il est grand temps de mettre un terme aux bassesses de la politique politicienne et partisane.
C’est un fait : la bipolarisation de la vie politique française a imposé cette fameuse dictature de la majorité. L’UMP comme le PS, lorsqu’ils se trouvent sur le strapontin peu confortable de l’opposition, sont en désacord avec la plupart des mesures prises par le gouvernement en place. Comment justifier certains désaccords systématiques ? Tout simplement par la perspective de briguer un futur mandat, donc en d’autres termes par souci purement électoraliste. De là naissent les alternances politiques, caractéristiques de l’histoire constitutionnelle et politique française sous la Ve République. Espérons que la pratique politique mûrira dans un avenir plus ou moins proche.
Le Quinquennat est dangereux, la chasse aux tuteurs aussi…. comme le démontre si bien votre article
J’ai lu avec beaucoup d’attention votre article…
Déjà, sous les autres gouvernements, il y a eu aussi ce genre de dérapages…
En tous les cas, le Quinquennat, la chasse aux tuteurs, sont deux choses très dangereuses, comme le démontre si bien votre article
Pour preuves, je vous invite, ainsi que vos lectrices et vos lecteurs, à lire mes papiers consacrés à ce sujet :
– « L’art et la manière de s’en aller à la chasse au… tuteur… » ( http://www.come4news.com/index.php?option=com_content&task=view&id=4370 )
– « Il est urgent de revenir, par voie référendaire, au septennat présidentiel » ( http://www.come4news.com/index.php?option=com_content&task=view&id=3147 )
De plus, il serait préférable d’instaurer l’élection législative à la Proportionnelle intégrale, sans pour autant qu’il soit obligatoirement nécessaire de réduire le nombre de députés (577 actuellement).C’est ce qui s’est passé aux Législatives « 1986 ».