Passe-partout, le titre anglais du livre de Florent Aziosmanoff (éditions du CNRS), est beaucoup plus flou que le sous-titre français, « art numérique », quelque peu, à tort ici, « attrape-tout ». En fait, c’est surtout de la vidéo comportementale (interactive), le dada de l’auteur, directeur de création au Cube, le centre d’art numérique d’Issy-les-Moulineaux, dont il est question…
Ma première rencontre avec l’art numérique fut quelque peu déconcertante. Dans le nouvel espace déambulatoire du théâtre de Belfort, encore en chantier sous la houlette de Jean Nouvel, quelques tirages photographiques avaient été collés sur les murs encore frais. Pour l’occasion, Abraham Moles était descendu de Strasbourg et je m’étonnais de le voir s’intéresser tant à des productions dont je pensais que je les aurais surpassées en qualité dans mon labo argentique. La plupart des « gens de l’art » d’alors pensaient de même. L’avenir les détrompa quant à la supériorité technique de leurs pratiques. Ce devait être début 1980, tandis que les tablettes graphiques Calcomp dominaient le marché de la DAO et de l’architecture, que les traceurs Benson animaient en saccades des Rotring et qu’à l’usine Bull de la « cité du Lion », les essais d’imprimantes à bulles d’encre se révélaient peu fructueux. J’allais acquérir mon premier ordinateur portable, un Epson PX-8 à écran affichant six lignes de 66 signes générés par un Wordstar « simplifié » localisé en dur sur un eprom à enficher. Belle machine, que les Amstrad allaient concurrencer mais non égaler. Les tirages de Belfort montraient des carrés ou des ronds en niveaux de gris et franchement, Vasarely pouvait dormir sur ses deux oreilles pour encore une bonne décennie : l’Op art n’avait encore rien à craindre de cette concurrence balbutiante, mais les premiers « tableaux » réalisés avec des imprimantes à aiguilles laissaient augurer qu’une tendance du Pop Art finirait par n’être plus que « super », et non plus « hyper » réaliste. Imaginer que Painter rivaliserait avec les aérographes tenait de l’utopie.
Dix à douze ans plus tard, au magazine Pixel, nous recevions les premières scènes 3D réalisées par des amateurs qui lançaient leurs programmes au moins 72 heures avant de voir apparaître les premiers détails, en nuances de l’une ou l’autre des 16 couleurs de nos très onéreux écrans cathodiques. Joël Laroche, et d’autres, y avaient cru, la presse informatique alignait encore des colonnes de code et reproduisait parfois quelques créations numériques.
Le livre de Florent Aziosmanoff est nécessairement réducteur. Après un historique déjà orienté sur ce qui l’anime principalement, il se concentre et focalise en plan rapproché sur les productions interactives et comportementales du Cube, laissant dans l’ombre des pans entiers de la création numérique. Par ailleurs, il rend peu compte de la dimension collective de l’aventure. Ainsi, mais ce n’est qu’un exemple, lorsqu’il consacre une bonne cinquantaine de lignes au CD Léopold Sédar Senghor, produit par Jeriko en 1999, dont il a supervisé la réalisation, il cite bien une documentaliste (Jacqueline Sorel) et une littéraire (Lilyan Kesteloot) mais ne mentionne nullement La Faktory (Marek Doszla,
J’admets que j’aimerais bien me mouvoir dans le vide et que mes mouvements génèrent des sons, des images animées, des fragrances, en compagnie de robots dont les mécanismes à retour de force me procureraient d’autres sensations. Le réalisme des environnements virtuels est de plus en plus affiné et je ne doute guère que la variété des impressions tactiles reproductibles ira s’élargissant. Disneyland finira par devoir vraiment beaucoup aux artistes numériques…
L’apport de Florent Aziosmanoff est surtout de mettre l’accent sur la nécessité de finement prévoir les comportements induits d’un public mis en situation de générer des événements. Il s’agit, au sens large, d’un art de
je pense qu’il y a une légère erreur de tir sur votre critique du livre. Je parle en tant qu’artiste cité dans ce livre et en tant que défenseur patenté du living art. En effet, le livre développe l’idée que l’art numérique a une spécificité, qui n’est pas celle de la peinture, du cinéma, de la musique, de la sculpture, donc des autres arts. Cette spécificité EST justement l’interactivité comportementale et c’est cela le vrai saut quantique que peut apporter l’art numérique par rapport aux autres arts. Quand vous parlez de création numérique ( « …laissant dans l’ombre des pans entiers de la création numérique » ), vous ne prenez pas en compte ce fait : ce livre n’est pas effectivement une somme exhaustive et critique de l’art numérique – qui est le livre que vous attendez au final -, mais est une réflexion théorique (et pratique) sur l’art numérique comme nouveau medium, avec ses caractéristiques propres qui au final tendent vers le living art. Tout cela n’interdit pas toute autre forme de création numérique et, bien au contraire, il est souhaitable que ces autres formes existent et se développent.
Enfin, le living art n’est pas un « dada », comme vous le mentionnez dans votre démarrage, mais il est DADA ! Ce que je veux dire par là, c’est qu’il n’est pas juste un hobby, que l’on pratique le dimanche en s’ennuyant un peu, mais il est un art qui se vit effectivement, humainement, totalement, et vous faites un peu rapidement fi de tous les visiteurs, passants, qui ont vécu des expériences personnelles artistiques, poétiques et émotionnelles face à des oeuvres qui tentent de développer une nouvelle manière de vivre l’art.
Pour Vincent L.
Dont acte. De très nombreuses personnes découvrent et apprécient… presque tout.
Mettons que je suis peut-être un peu blasé de ce point de vue, et je le regrette.
Pour le reste, nous sommes d’accord, il y a de multiples formes de création numérique.