Nommé récemment au poste de ministre des Affaires étrangères, à grand renfort de promesses en faisant le sauveur de la droite et de la diplomatie française; Alain Juppé semble pourtant pieds et poings liés à bien trop d’handicaps pour réussir à honorer tant d’attentes. En effet, bien trop en décalage idéologique avec le président sur les questions internationales, il semble condamné à une diplomatie de l’impossible ou du reniement.

Arrivé, il y a peu, au Quai d’Orsay ; avec proportionnellement autant d‘espoir placés sur sa personne que ses prédécesseurs avaient pu décevoir, Alain Juppé peut-il initier une diplomatie ambitieuse ?

L’actualité récente, tout comme les prises de position politiques antérieures du toujours maire de Bordeaux, ne semblent pas l’accréditer.

En effet, certes ce dernier a-t-il obtenu pour condition à son arrivée la mutation des conseillers à la diplomatie de Nicolas Sarkozy (Jean David Levitte parti à la retraite, Claude Guéant nommé à l’intérieur),  mais cela n’a pas empêché l’Elysée de continuer à court-circuiter le Quai d’Orsay. La reconnaissance, il y a moins d’une semaine, de l’opposition libyenne s’est faite sans que ne soit consultée ou même associée le ministre des Affaires étrangères.

Mais encore n’est-ce là qu’un accident au regard de tout ce qui idéologiquement sépare le président français de son nouveau ministre diplomate. A tel point qu’on peut très sérieusement s’interroger sur deux points. Tout d’abord ce type de coup en douce n’est-il pas appelé à se reproduire, rendant tout à la fois impossible une diplomatie française de plus grande cohérence, tout comme la possibilité, pour Juppé de totalement être ce sauveur de la droite qu’on a voulu faire lors de sa nomination ?

Un ministre nécessairement faible ?

Mais plus gravement ces divergences idéologiques entre les deux hommes posent incontestablement la question visant à savoir si Alain Juppé aura les moyens de sa propre politique. Sera-t-il, lui aussi, dans la grande tradition sarkozyste des ministres des Affaires étrangères à faible marge d’action ?

Si tel est le cas les promesses esquissées lors de la démission forcée de Michèle Alliot-Marie concernant une politique étrangère désormais moins soumise à l’Elysée n’auront été que vaines et passagères.

Car de fait, si Alain Juppé cherchait à pratiquer une politique qui le satisfasse,  les handicaps n’iront qu’en s’accumulant pour le nouveau ministre des Affaires étrangères.

Tout d’abord le temps lui est terriblement compté. S’il est un poste qui réclame de la patience c’est bien le sien. Car que peut faire un ministre des Affaires étrangères en 14 mois ? Intrinsèquement rien ou pas grand-chose. Si sa nomination intervenait après des passages remarqués dans la fonction il pourrait en espérer plus que ce que cette bien trop courte durée lui autorise. Mais pour lui qui passe après deux ministres sans grand relief ni bilan, la tache s’annoncera encore plus impossible.

Reste éventuellement la tache, oh combien symbolique et d’importance, de réorganiser la diplomatie française et de lui redonner tout à la fois la confiance en elle-même et les moyens qui semblent, cruellement, lui manquer depuis 2007. Le ministre, d’ailleurs, a suscité nombre d’espoir en ce sens à sa nomination de la part des diplomates, qui se souvenaient de  ces deux années (1993-1995) passées à ce même poste. S’il y arrive, ce bilan, agrémenté de tous les départs de conseillers occultes que sa nomination nécessitait, serait appréciable et salutaire.

Des différences idéologiques bien plus graves

Car en dehors de cette mission presque essentiellement reconstructrice les points d’accord avec le président vont être difficiles à trouver. Se souvient-on, en effet, que Alain Juppé fut parmi les ténors de la majorité ayant le plus implacablement critiqué certaines des décisions phares du président Sarkozy en fonction ?

Le retour de la France dans le commandement intégré de l’Otan ? Juppé y voyait un « marché de dupes », sans trop de raison, pour qu’aujourd’hui il ne se mette à y voir autre chose.

Sur la question afghane, le suivisme français vis-à-vis des Etats-Unis, tant sur la lecture géopolitique que sur les déploiements, certes à moindre échelle, de troupes, l’a toujours gêné. C’est lui, Alain Juppé, qui parlant de cette guerre parlait d’un « terrible bourbier ».

Alors simple maire de Bordeaux il avait fait paraître dans Le Monde daté du 14 octobre 2009, un vibrant appel à un « monde sans armes nucléaire ». Quand sera-t-il de cette initiative aujourd’hui que le voilà aux responsabilités dans le gouvernement d’un président qui ne partage pas ses vues sur la question ?

Lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères du gouvernement Balladur Alain Juppé avait pour directeur de cabinet un certain Dominique de Villepin, dont les inclinaisons gaullistes sont explicites, comme l’atteste son discours devant l’ONU de 2003 contre la guerre d’Irak. Guerre que Nicolas Sarkozy aurait certainement faite si il avait été aux responsabilités à ce moment là. Là encore le différent idéologique entre les deux hommes est clair. Si avec Michelle Alliot-Marie le président avait un ministre prétendument gaulliste, très en lien avec l’héritage RPR, il a avec Alain Juppé hérité d’un homme très certainement moins prompte aux reniements que celle que l’a précédé.

Enfin que dire de la question turque ? Nicolas Sarkozy ne cesse de se déclarer contre l’adhésion d’Ankara à l’Union européenne, là où son ministre des Affaires étrangères ne serait pas contre cette opportunité même avec quelques réticences.

Bref c’est bel et bien à une diplomatie de l’impossible que s’est condamné le ministre des Affaires étrangères, sauf à ne rien faire d’autre que de la figuration durant les quatorze prochains mois.

Pas sur que la diplomatie française en soit sauve et meilleure pour autant.

http://www.al1jup.com/

http://www.sudouest.fr/2011/03/14/libye-alain-juppe-agace-par-l-intervention-de-bhl-342202-625.php

http://www.lejdd.fr/Politique/Actualite/Bernard-Henri-Levy-s-est-montre-tres-actif-sur-le-dossier-libyen.-281781/

http://fr.news.yahoo.com/82/20110314/tfr-faisceau-brouillentre-alain-jupp-et-4abdc0f.html

Grégory VUIBOUT