Sorti en 2006, édité depuis en format poche chez Actes Sud, « Lignes de faille » est un roman de Nancy Huston, une écrivain d’origine canadienne vivant en France depuis les années 70, et maîtrisant l’écriture en anglais comme en français.
Ce roman a pour objet l’histoire des 4 générations d’une famille, vue à travers des yeux d’enfants de 6 ans. Le narrateur de la première partie, Sol, est un enfant de l’Amérique des années Bush embourbée depuis peu dans le conflit irakien. Pourri gâté par sa mère, narcissique à souhait, surfeur déjà averti du Web, le gamin n’ignore rien des pires images de guerre ou de pornographie qui circulent sur la Toile. Son père, sa grand-mère et son arrière-grand-mère sont les narrateurs des parties suivantes. Après 2004, nous sommes donc transportés en 1982, année où le jeune Randall suit ses parents à Haïfa en Israël, peu avant l’entrée des troupes israéliennes au Liban. La troisième partie se passe au Canada vingt ans auparavant : la grand-mère de Sol, Sadie, y passe une enfance mélancolique chez ses grands-parents installés à Toronto. Jusqu’au moment où sa mère vient enfin la chercher pour l’emmener à New York… Enfin vient le tour du récit de Kristina, l’arrière grand-mère, dans le Berlin de la fin de la 2ème guerre mondiale. Kristina y découvre qu’à l’instar de milliers d’autres enfants, elle a été enlevée en Europe de l’Est pour être confiée à une famille allemande, afin de compenser les pertes humaines subies au front par les nazis.
Ce roman se lit facilement, rapidement, avec une avidité toujours plus forte au fur et à mesure que les pièces du puzzle semées par l’auteur s’emboîtent les unes aux autres. Outre le style fluide de l’écriture, et l’attachement presque immédiat que l’on ressent pour les personnages principaux, le livre présente un double intérêt. D’une part, l’auteur parvient remarquablement à ce que l’expression enfantine soit touchante, drôle, mais jamais mièvre. Elle nous montre à l’occasion combien l’«innocence» des enfants relève du mythe, que celle-ci soit entamée par la surmédiatisation du monde contemporain, ou par le seul récit d’une radio ou d’un camarade dans les années 40. D’autre part, même si « les enfants ne perçoivent pas directement la politique » (1), les récits peuvent se lire comme des tableaux d’une époque et d’une société, déformés par les influences adultes et médiatiques exercées sur l’enfant. Au-delà, le livre est aussi une réflexion sur le poids de l’histoire, de l’hérédité et de la transmission, et sur la façon dont l’enfance peut déterminer la construction d’une vie.
En conclusion, « Lignes de faille » est bien « ce superbe et douloureux roman », dans lequel « Nancy Huston célèbre, avec virtuosité, la mémoire, la fidélité, la résistance et la musique comme alternatives au mensonge » (2).
(2) http://www.buzz-litteraire.com/index.php?2006/09/15/446-lignes-de-faille-de-nancy-huston
Bon article Fabien (comme d’hab!) 😉
Un bouquin tout à fait à propos par les temps qui courent. Après pareille mise en bouche, il ne me reste plus qu’à me le procurer en librairie!
Cordialement