Le général Younès ayant été abattu avec deux de ses aides de camp, revoilà opportunément le général Omar Hariri, parvenu à temps sur le front ouest, proche de la Tunisie, pour apparaître sur les écrans de la chaîne quatari Al-Jazeera. Un petit tour devant les caméras et puis s’en retourne à Benghazi ? Ou s’agit-il de donner les mains libres, sur le front est (vers Syrte), au général Khalifa « Hunter » Heftar, le rival du défunt Younès ?

Voici une petite demi-heure, au moment d’écrire ces lignes, petit « flash » d’Al-Jazeera en provenance des localités qualifiées de « stratégiques » pour les forces du djebel Nefoussa qu’elles venaient de prendre (ou reprendre, ou qu’elles reperdront et reprendront un jour). Images habituelles de tirs en l’air, de combattants déterminés et puis, tout à coup, plan « américain » sur le seul général Omar Hariri, surgi de nulle part et que l’on croyait à Benghazi.
D’où vient-il ? Pas du quai de la gare la plus proche, en tout cas. Peut-être d’un aéronef venu de Benghazi et que les forces coalisées se sont bien gardées d’abattre en dépit de leur mission d’interdiction de survol aérien. Peut-être de la Tunisie proche, après ou non escale au Caire ou à Malte ou on ne sait où. Toujours est-il que sa présence devant les caméras vient accréditer l’idée d’une coordination entre les offensives à l’est et au sud de Tripoli aux lendemains de l’assassinat du général Younès.

Il faut absolument relire Bernard-Henri Lévy dans La Règle du Jeu et Libération (« Qui veut  lâcher la Libye ? », 11 avril dernier). «  Hommage soit rendu, de ce point de vue, à Omar Hariri qui est en charge, au sein du Conseil, des affaires de défense et qui fut emprisonné de 1975 à 2001… ». De Younès, dont c’était le rôle, alors qu’Hariri passait largement au second plan, même derrière Khalifa Hunter, autre général passé par les États-Unis, il n’était guère question. Du Conseil national transitoire, BHL assurait « je connais chacun de ses membres. Je connais, plus exactement, tous ceux dont les familles ne sont pas retenues en otage dans les villes contrôlées par Kadhafi et dont les noms ont donc été rendus publics… ». Donc il doit peut-être connaître celui qui, proche par des liens tribaux ou autres, a su favoriser l’élimination du général Younès, d’une manière ou d’une autre.

J’ai cru comprendre que BHL et son acolyte,  Nicolas Sarkozy, se seraient entendus dire à Paris qu’il fallait aider très directement le front sud-ouest, donc sans passer par Benghazi. Par ceux-là que BHL connaît un par un, ou par l’un de ceux dont les noms n’ont pas été rendus publics. Pourtant, BHL, qui connait les tribus libyennes depuis sa plus tendre enfance ou presque (à le lire, on se demande s’il n’est pas né sous une tente bédouine), mieux qu’un Lawrence d’Arabie connaissait celle du Moyen-Orient, aurait eu l’air légèrement décontenancé. Nous n’étions pas, pas davantage qu’Alain Juppé, encore une fois subissant un camouflet, du nombre de ce petit cénacle, donc, ne jouons pas notre omniprésent et omniscient Bernard-Henri Lévy. Et comme l’information est douteuse, volatile, épargnons à nos sources un revirement ou un rectificatif.

Or donc, le 14 juillet, qui devait marquer la fin de Kadhafi (voir nos articles précédents, issus de la presse britannique, repris par Le Nouvel Observateur, le Canard enchaîné et Le Monde… avec une latence… certaine), s’est déroulé sans que le chef libyen soit traîné, enchaîné, derrière le char d’Auguste Sarkozy. Un drone américain aurait subi une avarie ou aurait été abattu au-dessus de la Libye. Abattu ? Sans doute pas par un missile Milan parvenu dans le djebel Nefoussa (les combattants réels n’ont pas vu l’ombre des armements annoncés dans la presse) et peut-être revendu à on ne sait qui (puis, allez savoir, aux troupes de Kadhafi). Tir ami ? Exclu. Mais perte assurée pour le contribuable étasunien.

Pendant qu’on se chamaille à Benghazi, les frappes aériennes continuent. 124 sorties, rien que 56 frappes  vendredi dernier. L’Otan s’en est pris à l’immeuble de la télévision loyaliste, en plein accord avec les termes de la résolution de l’Onu, «  with the intent of degrading Gadhafi’s use of satellite television as a means to intimidate the Libyan people and incite acts of violence against them. » (afin, en substance, de faire taire un chaîne utilisée pour intimider le peuple libyen et appeler à des actes de violence contre les habitants). On voit bien que l’Otan n’écoute jamais la télé de Benghazi, ne lit pas les sites de Benghazi. Sinon, c’est sûr, les bombardements seraient incessants. Ah, bien sûr, les habitants de Tripoli ou d’ailleurs fidèles à Kadhafi sont des « mercenaires » à la solde de… l’étranger, peut-être ?

De part et d’autre, on ressuscite ou noie de nouveau Ben Laden, la lessiveuse fonctionne. Elle ne blanchit pas tout. On s’y perd. Peut-être que le jour où Apple fournira gratuitement quelques gadgets aux écoles de Benghazi, on aura mieux compris. La trésorerie d’Apple est du montant de celle de l’État fédéral (des disponibilités) tout entier, mais si l’austérité frappe en priorité les plus démunis des Américains, Apple fera acte de solidarité envers le « peuple libyen ». Alleluyah !

Sarkozy espérait que les soldats libyens retourneraient leurs armes contre leurs propres généraux. Ils en ont rarement l’occasion, les généraux étant rarement à leur contacts, au plus proche des affrontements. L’un d’eux s’est fait abattre en ville, pas d’une balle dans le dos en montant à l’assaut. Ce n’était pas, paraît, le bon, nous assure-t-on. Sur Al-Jazeera, on a vu un général fort isolé, seul face à la caméra. Peut-être était-il escorté assez lourdement, peut-être pour contenir des combattants qui ne voient venir de Benghazi qu’un promeneur en uniforme alors qu’ils demandent des armes, des munitions, des vivres. Eh, peut-être fallait-il y penser avant, avant, quand, contre toute évidence, BHL chantait que la guerre est jolie…

Voir aussi les commentaires pour l’actualisation : une brigade « fidèle » au CNT en a attaqué une autre, estimée « dissidente » pour avoir organisé l’évasion de prisonniers du CNT ; bilan aux dernières nouvelles (dimanche midi), quatre morts de chaque côté. Mais cela peut évoluer en cours de journée, avec des appréciations contradictions selon tel ou tel « porte-parole » du CNT.