Libye : règlements de comptes entre « alliés » ?

Un ex-colonel français, Hugues de Samie, délégué de la société de sécurité Épée, a été abattu ce dimanche dans sa résidence de Tripoli. Un suspect libyen est actuellement interrogé mais il semblerait que le vol ne soit pas le motif de cette exécution. D’autres militaires français, actifs ou du corps de réserve, seraient, selon des sources non recoupées, très présents en Libye.

Cela n’a sans doute que peu à voir : le Centre interarmes d’entraînement aux actions en zones urbaines (Cenzub) a reçu, à Sissonne (Aisne), les Argyll et Sutherland Higlanders du 5e bataillon écossais.
Le dirigeant soudanais, Omar al-Bashir, a été reçu par le CNT avec les honneurs à Tripoli. Bashir est supposément recherché par la Cour pénale internationale, mais la Libye n’est pas signataire du traité de Rome.
L’agence soudanaise a commenté que la visite en Libye préludait à la signature d’un protocole portant notamment sur la sécurité.

Tout n’est pourtant pas désespéré en Libye. Samedi dernier, les écoliers ont enfin retrouvé le chemin des établissements scolaires qui n’ont pas été détruits au cours du conflit. De nouveaux manuels d’histoire leur seront distribués… quand les grèves des ports ou les accrochages aux postes frontières seront apaisés.

Le nouveau pouvoir libyen n’est pas rancunier : il fait procéder à la révision de tous les contrats avec des compagnies étrangères, et s’intéresse aux technologies solaires allemandes, alors que l’Allemagne s’était refusée à participer aux opérations de l’Otan en Libye. La Russie, qui a pourtant exigé l’ouverture d’une enquête sur les bombardements de l’Otan, n’est pas plus malvenue qu’un autre pays en Libye. L’Afrique du Sud réclame aussi une telle enquête, mais le pragmatisme en matière de relations commerciales internationales semble guider le réel pouvoir « central » en Libye. Mais le futur pouvoir issu des urnes pourrait comporter une forte présence des Frères musulmans, qui prônent, avec l’appui du Qatar, une sorte de califat sunnite qui pourrait s’opposer prioritairement aux nations chiites ou musulmanes dissidentes, donc à l’Iran et la Syrie. On relèvera incidemment que le général tunisien Rachid Ammar, chef d’état-major interarmes, s’est rendu au Qatar…

Des élections compliquées

La complexité de la future élection créera des tensions. D’une part, la future composition de la chambre risque de ne comporter que 20 femmes sur 200 élus. D’autre part, ne pourront se porter candidats que des personnes n’ayant pas de lien avec l’ancien régime, soit, par exemple, plus de 80 % des avocats du pays, toutes les personnes ayant étudié le Livre vert de Kadhafi (point important pour présenter un cv avant 2011), ce qui regroupe pratiquement une forte proportion des cadres actuels.

La question de la représentativité des tribus a été soigneusement éludée jusqu’à présent. On ne sait si les quelque 7 000 prisonniers de guerre (selon les autorités, 8 500 selon l’ONG Sawasiya) pourront voter et il y aurait jusqu’à plus de 20 000 disparus, dont, des blessés dont les noms ont été transmis par des médecins aux autorités.

L’actuel gouvernement n’inspire pas confiance aux milices, ni trop à la population qui considère que les décisions importantes sont prises ailleurs.

Une nouvelle fois, Moustapha Abdeljalil, président intérimaire qui a prolongé son mandat jusqu’en juin, a évoqué le risque d’une guerre civile. Des accrochages entre thowars restent fréquents. Le général Khalifa Haftar ayant été évincé, le nouveau chef d’état-major, l’ex-colonel Youssef El Mangouch, originaire de Misrata, a été désigné par le CNT. Il ne figurait pas sur la liste des six candidats présentés par les ex-rebelles. À présent, ces derniers disent reconnaître Salah Salem Al Obeïdi à ce poste. Certains groupes armés ont cependant reconnu l’autorité du général El Mangouch, mais ils seraient minoritaires alors que l’armée régulière issue de l’ancien régime reste fractionnée, inorganisée. Pour Zine Cherfaoui, d’El Watan (Algérie), « le CNT aura juste réussi à créer une scission au sein des «thowar» qui peut s’avérer des plus dangereuses. ».

Selon Benoît Delmas, journaliste français résidant en Tunisie, à la frontière libyenne « ce sont les trafiquants qui font la loi. ». Ceux des deux bords de la frontière, faudrait-il préciser. Rappelons que le Tunisien Rached Ghannouchi a proposé à la Libye de s’unir à la Tunisie dans un entretien avec Akhbar el Alam, un site d’informations turc. Sans doute une chimère, mais il s’agit de renforcer le sentiment d’une appartenance commune à une identité arabo-musulmane (en l’espèce, de rite malékite).

Résistance verte ?

Pour affirmer leurs relatifs pouvoirs, les ex-rebelles multiplient les barrages et postes de contrôle, mais encore aussi parfois les confiscations de biens. Pour passer de Tunisie en Libye, il faut parfois encore payer (tarif à la tête du client en octobre dernier : jusqu’à 200 USD). Mais tant que les thowars ne s’en prennent pas au pétrole, sinon marginalement, cela sera plus ou moins toléré.

Tahia Libya, commence-t-on à réentendre en Libye. Prudemment. Plutôt du côté de Bani Walid (Beni Oualid) et Syrte : environ 60 % des personnes ayant évacué ces villes ont préféré revenir dans leurs ruines, d’après une mission des Nations Unies. On ne sait si ces anciens fiefs kadhafistes pourront former leurs propres milices… Sans doute pas. Sans qu’il soit possible de recouper les informations, des groupes tels Dhida Yawme 17 fibrayr Fi Libya (Contre le 17 février en Libye) font état d’affrontements sporadiques tribaux. Une sorte de « résistance verte » (pro-kadhafi, pour tenter de situer) tenterait de s’organiser. Elle viserait les « mercenaires occidentaux » et des groupes isolés d’ex-rebelles. À Benghazi même, ville fort peu kadhafiste, des dissensions se feraient jour et des chefs de famille feraient passer leurs familles en Égypte.

Mais en revanche, à l’ouest de Tripoli, le lancement d’un chantier qatari de complexe touristique de très grand luxe serait effectif.

Pour le dire crûment, beaucoup d’observateurs ne comprenaient pas trop la Libye des Kadhafi. Ils observent à présent un silence prudent, pressentant que les réalités de la nouvelle Libye risquent tout autant de leur échapper. Les événements risquent de les dépasser, et même un Bernard-Henri Lévy aura bien du mal à feindre de les organiser.

Selon le site Ozim, l’exécution d’Hugues de Samie aurait en fait suivi celle de deux autres, membres des forces spéciales, dans une attaque ayant aussi fait quatre blessés à Tripoli dans un immeuble qualifié de centre d’opéation du Commandement des opérations spéciales de l’armée française. Cette information, provenant de l’énigmatique « résistance libyenne » n’est pas, ce jour, recoupée. Pas plus que certaines affirmations de BHL, en tout cas.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

4 réflexions sur « Libye : règlements de comptes entre « alliés » ? »

  1. Cette histoire d’identité arabo-musulmane de la Libye est totalement fumeuse, une pure affabulation. Musulmane, oui, de fait. Mais arabe, alors que la plupart des Libyennes et Libyens sont d’origines berbères, africaines, européennes (via notamment les janissaires turcs, notamment, et quant à Kadhafi, c’était fort mélangé), c’est pousser un peu loin dans l’idéologie sans aucun fondement.
    Les « arabes » qui se sont implantés en Libye étaient des Yéménites mâtinés de Mésopotamiens, puis sans doute d’Égyptiens très peu « arabes ». Mais qu’importe, tout est dans le coran sans doute et l’ADN doit être une invention païenne ou « roumi » sans doute ? Et si c’est impie parce qu’un imam le décréterait, plus besoin d’aller vérifier, c’est plus simple.

  2. La dernière phrase publique de BHL sur la Libye remonte à fin novembre, lors d’un raout de belles âmes dont [i]La Règle du Je[/i](u) rend compte :
    « [i]Peut-être que l’islamisme radical se développera, [/i]ajoute BHL,[i] mais il va tomber sur un os. Cet os, c’est la Libye, avec cette évidence qui a déboussolé les radars et sidéré les Libyens en premier lieu : le juif Sarkozy (comme on l’appelle là-bas) et le juif Levy, ont emmené le désir d’une coalition internationale s’employant à leur libération sans qu’ils n’y puissent déceler aucun complot.[/i] »
    Peut-être qu’il prend son pénis pour un os pensant.
    S’il y a une résistance des « juifs Kadhafi » (comme on les avait appelé là-bas), ce sera sans doute un osselet.

Les commentaires sont fermés.