CUBA l’infidèle (première partie)

 

Cuba, berceau d’un renouveau du capitalisme ? Malgré les fermes collectives où le port de l’uniforme est obligatoire, les commissaires politiques plutôt bonasses dans les villes, et l’omniprésence pesante d’une propagande surannée, le pays semble se réveiller d’un mauvais rêve. Un cauchemar de 53 ans qui s’effiloche depuis que Castro n’en finit plus de mourir.
Les Cubains réinventent la petite entreprise, avec des ambitions et des appétits d’ogres pour un futur proche, tandis que des groupes financiers du monde entier se disputent l’honneur d’y investir. En s’associant sans vergogne avec des "communistes" qui n’en auront bientôt plus que l’étiquette comme en Chine.
A moins que la société évolue "à la Gorbatchev" ? Tout paraît possible…

Bienvenue chez les Shadoks

La logique suit ici des chemins détournés. Diluant les slogans rigides de la dialectique marxiste dans un capharnaüm afro-latino bon enfant. D’immenses panneaux routiers glorifient partout l’ordre, la discipline et l’obéissance. Quatre ou cinq sortes de polices différentes (sans parler de la police
secrète) ponctuent les itinéraires. Et des points de contrôle à l’entrée et à la sortie de tous les patelins arrêtent les voitures et camions suspects.
Malgré cela, une joyeuse anarchie semble être la règle.
Sur les autoroutes à 6 pistes où il passe 10 voitures à l’heure, on roule à gauche sauf quand une vieille Buick qui a raté une sortie mal indiquée remonte à contre-sens. Sans que cela ait l’air de perturber quiconque. On s’écarte, on klaxonne, et puis c’est tout.
On double à droite par la voie centrale. Et on évite celle de droite réservée aux chars à boeufs, aux véhicules hippomobiles, aux ânes, aux cochons et aux cyclistes. Avec quelques hidalgos aux allures de Zorros hiératiques chevauchant de vifs alezans, traversant l’autoroute comme un vulgaire chemin de terre. "Cool Raoul" pourrait être le nouveau slogan officiel depuis que Monsieur, frère du roi, occupe le poste de régent.

Partout, la signalétique est infiniment plus timide que la propagande. Autour de La havane, c’est du pur délire. Ubuesque autant que surréaliste.
Craignant une invasion américaine mille fois annoncée comme imminente, Fidel avait fait enlever ou mettre au mauvais endroit la plupart des panneaux indicateurs. Pour mieux tromper l’ennemi. Depuis, rien n’a changé. Circuler de jour est une galère. Et de nuit, c’est quasiment impossible. Les Cubains eux même s’y perdent. Sauf les jineteros, ces jeunes gens avisés placés aux points stratégiques, qui tirent profit de la situation. Guidant les étrangers pou 10 ou 20 CUC. Quelques euros pour nous. Mais une belle somme pour eux, dans un pays où le salaire moyen d’un enseignant est l’équivalent de 40 CUC/mois, celui d’un médecin de 60.
"Mourir pour la patrie" comme on continue à inviter la population ne semble plus à l’ordre du jour. Faire du fric par tous les moyens est plus réaliste.

Hors de la capitale, malgré des distances annoncées très approximatives (euphémisme !) on est un peu mieux informé. Sauf quand le panneau continue d’indiquer à droite là où il faut aller à gauche parce que depuis quelques années le tracé routier a changé et qu’on a oublié de le signaler.
Finalement, aux embranchements, la logique consiste à suivre la voie la moins pourrie si on veut rester sur une "nationale". Et le chemin le plus défoncé si on ose se risquer une route secondaire. En faisant toujours bien attention aux zigzags des cyclistes carburant au rhum sous le nez des flics
blasés.

Le capitalisme de la rustine

Le réseau routier constellé de nids d’autruches et de dos de chameaux a contribué à la renaissance de la petite entreprise. Le moindre village a sa "ponchera" où l’on vous répare les crevaisons pour quelques pesos. Changer un pneu ? N’y pensez pas ! Ici on rechape et on rechape. A 300.000 bornes, une voiture est considérée comme neuve. Même si après quelques marbres, les portières ont du mal à s’ouvrir. Qu’importe, on passe par les fenêtres et on se glisse entre les sièges avant pour s’installer à l’arrière. Je parle de vécu.

Pour des raisons pratiques, parce que les services étatiques étaient incapables de répondre à la demande, et que seul le transport routier pouvait suppléer aux carences d’un chemin de fer asthmatique, des petits ateliers de mécanique privés se sont développés à côté des poncheras. De façon d’abord discrète, puis de plus en plus officielle dès lors qu’ils payaient des taxes.
Et ensuite, fort logiquement, s’y sont ajoutés la location meublée chez l’habitant, puis les buvettes et restos privés ainsi que quelques commerces de comestibles. D’abord tolérés, puis restreints, et aujourd’hui en plein essor.  Etals, puis cabanes, puis paillottes, accompagnant le renouveau du tourisme international. Sous des panneaux-fresques façon réalisme soviétique, clamant qu’"On ne doit travailler que pour la collectivité" et que "La solidarité a définitivement remplacé le profit".

Avec, ici et là, entre autres shadokeries, la survivance dérisoire d’anciens réflexes bureaucratiques. Ainsi, à Bayamo en plein centre rural de l’île, après 90 Km sans voir une station service, 4 pompes à essence se succèdent dans la rue principale. Mais… Aucune n’a le droit de vendre aux étrangers ! Des fois qu’ils seraient l’avant-garde des bandidos de la contre-révolution ?
Finalement, à la dernière station, on s’arrange avec un Cubain qui déclare crânement prendre 40 litres pour sa mobylette (quand la plupart achètent pour leur voiture par bidons de 10 litres leur essence. Chère pour eux malgré les cadeaux de Chavez)
Et le pompiste ne se fait pas prier dès lors qu’il a son papier signé en bonne et due forme.

Ailleurs, à Trinidad, il faudra sortir les passeports pour faire le plein ou manger une langouste servie par de nouveaux entrepreneurs qui ne sont pas encore défaits de leurs mauvaises habitudes de cadres du parti. Car, vous vous en doutez, les premiers à bénéficier de la renaissance du capitalisme sont les plus valeureux communistes ! Dans l’intérêt de la patrie. Bien évidemment.
Mais ce capitalisme artisanal reste anecdotique. Des épîphénomènes comme ces rouleurs de cigares à leur compte, concurrençant à la marge les manufactures d’état. Piètres miettes à côté des grands investisseurs qui sont en train, petit à petit, de changer les paysages, les  structures sociales et plus globalement la physionomie du pays. A suivre…

2 réflexions sur « CUBA l’infidèle (première partie) »

  1. Excellente description de la réalité à Cuba. On n’aimerait lire plus souvent des articles comme celui_ci. Pendant quelques minutes j’ai cru que j’étais retourné la bas…

Les commentaires sont fermés.