Allez, un peu de médialogie accélérée, sauvage et aussi furtive qu’un drone Dassault. Avez-vous remarqué comment les villes de Sirte et Beni Walid ne font parfois plus qu’unes avec leurs cœurs de centres… dans la presse ? « Soit par Issy, soit par Ivry, cent loups sont entrés dans Paris, » chantait Serge Reggiani. Là, ils viennent plutôt de la mer. Faucons, éperviers, busards, ou aoûtats téléguidés. Venus non point cette fois « de Germanie ». Benghazi les applaudit, avant, sans doute, de les dénoncer pour tenter de réconcilier des factions divisées.

Bien sûr, mes sources n’ont pas l’air très fiables. C’est Islam On Line (.net) qui rapporte ces propos d’un senior s’adressant aux « révolutionnaires » d’un point de contrôle à la sortie de Syrte : « Ce ne sont pas les partisans de Kadhafi, ni vous, ce sont les avions français qui nous frappent jour et nuit. Ils ont détruit le toit de notre maison. C’est comme cela qu’on doit mourir ? ». En fait, c’est total pompé de l’une ou l’autre des dépêches d’une ou d’une autre agence occidentale (AP, AFP, Reuters, sans doute pas Al-Jazeera). Plus « original », c’est le commentaire. « Le CNT est contraint de peser les désavantages d’une lutte prolongée qui retarderaient ses ambitions de gouverner et une victoire rapide qui, si elle était trop sanglante, pourrait accentuer les divisions régionales et gêner l’actuel pouvoir et ses soutiens étrangers. ».

J’avance ou je recule ?

Benghazi promet un peu tout, sauf la Lune, aux mutilés, aux combattants, et à leurs familles. Des sous, pour une période indéterminée, dont il ne sait vraiment comment et quand il pourra en débloquer les fonds. Aux représentants des groupes ou tribus des villes assiégées, aux intermédiaires, il propose des fonds, immédiatement palpables, mais ses interlocuteurs ne veulent pas pour autant désarmer : on ne sait jamais ce que réservera l’avenir immédiat (des pillages, des viols, des exécutions…) ou le futur proche.

Je ne suis pas partisan. Enfin, si. Ma sympathie va surtout aux civils sans armes d’un bord ou de l’autre pour lesquels Bernard-Henri Lévy n’aura sans doute jamais le moindre mot.

Je ne sais pas si le moment viendra où des représentants du CNT diront aux populations assiégées qu’ils ne pouvaient leur venir en aide en raison des bombardements coalisés qui auraient pu aussi les frapper de « tirs amis ». Ce qui permettrait aux vaincus de faire semblant de les croire. De ne pas rappeler que des commandants « révolutionnaires », soucieux de la vie de leurs hommes, réclamaient encore plus de frappes aériennes. Mais, fondamentalement, ne pouvant trop massacrer des dizaines de milliers d’habitants, ce que même les insurgés de Misrata n’ont pas fait à Tawargha (ville peuplée surtout de Libyens Noirs), ce que la presse occidentale ne pourrait longtemps taire, les commandants espèrent surtout que la faim et la soif, œuvre des coalisés (qui ont coupé l’approvisionnement en eau, et instauré le blocus alimentaire), et d’eux-mêmes, qui bloquent les vivres, finiront par retourner les habitants contre les loyalistes. D’où les avancées et les retraits.

Libye, terre de contrastes

À lire la presse occidentale, j’ai l’impression que la Libye est restée comme le Maroc de la moitié des années 1960. Quand, à Tan-Tan, la distance de Tamanrasset était exprimée en journées de méharée. Nul besoin de situer le port ou l’aéroport de Syrte par rapport au parvis de la mosquée la plus centrale de Syrte. Il ne doit pas y avoir de panneaux indicateurs mentionnant les distances en Libye.

Car on nous serine que les « révolutionnaires » ont pénétré dans les villes. Et reflué ensuite. Nul besoin de consulter Google Maps et d’évaluer les distances : des photos suffisent. Entre Syrte et son aéroport, ce n’est pas du tout un continuum urbain comme entre l’île de la Cité et Roissy ou Orly. Mais quand les « révolutionnaires » avancent, on les croirait sur le parvis de Notre-Dame. Quand ils refluent, ce n’est pas du tout comme s’ils se repositionnaient à l’aéroport de Paris-Beauvais ou au port de Rouen. Toutes proportions gardées, bien évidemment.

Les secrétaires de rédaction, si prompts à situer Misrata par rapport à Benghazi ou Tripoli quand les reporters de terrain l’oublient (histoire, aussi, d’affirmer leur pouvoir sur la copie), ne s’en inquiètent pas trop. On n’en était pas non plus à 50 km près quand il s’agissait d’indiquer que les insurgés étaient « aux portes de Tripoli ». Je vous épargne les exemples, multiples.

C’est un peu comme pour les exactions commises à l’encontre des Libyens Noirs, et surtout des Noirs étrangers : parfois, on les évoque. Mais quand même pas deux ou trois journées de suite. Le (très) triste sort des nounous et employées de maison, philippines ou autres, des fils et des brus Kadhafi est tellement plus « sexy ». Les présumées « distributions de Viagra » aux « mercenaires étrangers » aussi. On nous a joué « Libye, terre de contrastes ». D’un côté, les médecins, ingénieurs, techniciens en armes chers à BHL, de l’autre les tortionnaires et sbires de la dictature.

Encore un exemple ? Les milices de Kadhafi ont bien sûr libéré et armé des prisonniers de droit commun, qui se sont livrés à des pillages, des exécutions sommaires. Ce n’est pas faux. Quid des « révolutionnaires » qui ont aussi vidé les prisons ? Ah, non, ils n’ont élargi, et mis au large, que des prisonniers politiques. À d’autres… Que ce soit dans la confusion ou de par la volonté de libérer des proches, quels qu’aient été les motifs de détention, les deux camps ont plus ou moins agi de même.

Tant mieux pour les voleurs de poulets « bicyclette » (comme au Burkina) des bleds libyens. Cela vaut-il la peine de rappeler que, contrairement au Burkina, pratiquement personne n’en était réduit, en Libye, à voler pour simplement se nourrir de la main à la bouche ?

Très farce

J’évoquais récemment la formation militaire de femmes à Benghazi. Bizarrement, Gulf News pointe qu’il n’y a qu’une femme parmi 42 hommes dans l’exécutif du CNT. Contre deux en mai dernier. Sous Kadhafi, il y avait des comités de femmes : toutes de bonnes bourgeoises venant rafler des sacs Vuitton lors de rencontres féministes en Europe. Même Ben Ali n’osait pas trop présenter à l’étranger de telles caricatures. Abdul Jalil promet de nommer des ambassadrices. On attend…

Plus sinistrement pathétiques, les déclarations des officiers supérieurs de l’Otan : il n’y a pas de confirmation de cas de civils victimes des frappes aériennes. Même si le choléra se déclare, ce sera la fatalité. Bien évidemment, poursuivre des criminels de guerre occidentaux reviendrait au cas de figure de l’Allemagne exigeant de la Russie de lui livrer des violeurs, devenus héros de l’Armée Rouge (et pas que des Russes, d’ailleurs…). « The end is near », a proféré le colonel Roland Lavoie, en évoquant la fin des combats. Bref, ne pas confondre : il ne s’agit pas de la fin du monde, d’un Hiroshima ou d’un Nagasaki, pour les civils de Syrte ou Beni Walid.

Pour se concilier Tripoli, le CNT y a fait chuter le prix des vingt litres d’essence à trois dinars (15 auparavant, jusqu’à 80 durant le siège). L’eau est aussi de retour à Tripoli. Pas vraiment à Syrte ou Beni Walid. Tiens donc, pourquoi ? Il s’appliquait déjà à qui, l’embargo des forces coalisées ? À toutes les parties. Ah bon… En fait, les civils mangent quelques dattes par jour dans les villes assiégées. Les combattant kadhafistes bénéficient sans doute de rations plus copieuses.

Dans un genre mineur, on ne savait plus trop ce vendredi soir si l’ex-porte-parole du clan Khadafi, Moussa Ibrahim, a bien été capturé alors qu’il se dissimulait sous des vêtements féminins, ou s’il s’agissait de propagande et de « wishful thinking » (vœux « pieux »). Hormis des personnalités trop visiblement mouillées telles que lui et d’autres, les anciens tortionnaires de rang intermédiaire de la capitale s’attendent à l’impunité, sauf représailles incontrôlées. Histoire d’assurer la relève. Cela se dit comment, Papon, ou Bousquet, en dialectal local ?

En revanche, à Syrte et Bani Walid, les ex-partisans de Kadhaffi ne se battent plus pour le « Guide », mais simplement pour tenter de sauvegarder leurs familles. Ils savent ce qui est survenu à Tawargha. Ce n’est pas l’héroïsme, ou le fanatisme, c’est le sentiment qu’ils sont le dos au mur et qu’il vaut mieux périr que se rendre qui les anime.

Peut-être se rendraient-ils à des forces coalisées. En Grande Kabylie, les tribus vaincues, par les assauts répétitifs des zouaves et des spahis, et la politique de la terre brûlée (les douars rasés, incendiés, les vergers aux arbres sciés, les champs roussis), ont fini par négocier en n’avançant qu’une exigence : ne pas être livrés à « des arabes ».
Mais pour ce genre de solution, des Sarkozy, des Cameron, et des BHL, ne sont pas des Mac Mahon ; ils sont beaucoup trop pleutres pour se dévoiler, admettre qu’ils ont joué les apprentis sorciers. Et puis, comme, au final, la presse dominante leur accordera l’amnistie, pourquoi donc s’inquiéter des populations ? Il n’est pourtant pas sûr que les Libyennes et Libyens, dans leur ensemble, se montreront, à un lustre ou une décennie près, aussi conciliants. Les éventuels « harkis » libyens de demain ou d’après-demain s’en souviendront eux-aussi plus durablement.