« Le Vatican, combien de divisions ? » s’interrogeait Staline. Longtemps plus tard, la Pologne, qui préfigura la chute du mur de Berlin, lui fournit une réponse posthume. Le nouvel axe diplomatique Berlin-Rome, qui présentera une contreproposition mardi au sommet de Londres sur la Libye, n’a guère d’autres divisions que celles… d’en face, soit les désaccords de la fragile entente entre la France et le Royaume-Uni avec, en incertains renforts, certains pays de l’Union arabe.

Ouf ! J’ai cru l’espace d’une furtive apnée que les ministres des affaires étrangères italien (Franco Frattini), maltais (Tonio Borg) et libyen loyaliste (Moussa Koussa), s’étaient réunis à Rome pour prôner un cessez-le-feu et les prémisses du retrait du pouvoir de Mouammar Kadhafi à Tripoli.
Sous une photo des trois hommes, The Times of Malta indiquait à l’instant : « Libyan Foreign minister Franco Frattini said today… ».
En fait, Franco Frattini, qui est bien le ministre des Affaires étrangères italien et non libyen, s’est exprimé sur Canale 5 et dans La Reppublica pour évoquer un axe Rome-Berlin : « un asse italo-tedesco per la soluzione diplomatica della crisi libica ». Moussa Koussa, l’un des plus actifs artisans des ambitions libyennes en Afrique et tuteur de Seif al-Islam, mais aussi l’interlocuteur des États-Unis après le 11 septembre 2001, qui « passe pour un modéré aux yeux des partenaires occidentaux », selon Les Afriques (Genève, Casablanca, Paris), n’est pas encore, pas plus qu’Abdullah Sanussi, invité à se rendre à Rome ou à Berlin.

Alors que deux terminaux pétroliers (Brega, Ras Lanuf) ont été repris par le Conseil transitoire, il est de nouveau question de la coalition Shell Cameron-Total Sarkozy. Pour caricaturale qu’elle soit, la métaphore rend compte d’une réalité mais qu’il ne faut pas s’exagérer. Si enjeu pétrolier il y a, ce n’est qu’un aspect du problème et il faut tenir compte des accords multinationaux globaux. Entre Moscou et Berlin, ou entre Moscou et Riyad, il y a bien, au sujet de la Libye, d’intenses échanges diplomatiques, mais Rome et ENI n’ont pas forcément les mêmes motivations que Berlin, Moscou et Riyad. Pour l’Italie, il y a d’autres enjeux financiers à moyen terme et d’autres plus immédiats : à la suite des migrants tunisiens et africains, d’autres, Libyens, pourraient suivre. L’enjeu pétrolier n’est qu’une composante : il existe d’autres facteurs économiques et surtout géopolitiques ; faute d’un départ de Kadhafi, son retrait, y compris derrière des fidèles, arrangerait beaucoup de monde.

L’Italie annonce « se refuser à traiter avec Kadhafi ». En personne, sans doute. « Le colonel n’est pas un interlocuteur acceptable, » a répété Franco Frattini. L’objectif annoncé est donc de lui trouver une porte (africaine ou sud-américaine) de sortie. Mais, bon, on a bien vu Aristide ou Bébé Doc revenir en Haïti. Il s’agit sans doute aussi de trouver une porte de rentrée pour les loyalistes avant même qu’ils aient franchi la seconde porte du sas de sortie.

Voici donc Liam Fox (ministre de la Défense britannique) proclamant que la coalition ne fournira pas des armes au Conseil transitoire au mépris de l’embargo stipulé par la résolution 1973. En fait, que des armements pas trop décisifs parviennent à Benghazi, via l’Égypte par exemple, ne devrait sans doute pas conduire à un blocus.

L’issue de la réunion de mardi dépendra de multiples facteurs, comme, par exemple, l’éventuelle résistance de la ville natale de Kadhafi, Syrte. Si non seulement la ville tombait mais que les shababs y soient accueillis en libérateurs, l’Italie, l’Allemagne et la Turquie seront forcées d’en tenir compte. Si ce n’est pas le cas, la perspective de voir Bernard-Henri Levy faire une entrée triomphale à Tripoli s’éloignera. Celle de mettre en place un nouveau pouvoir, de « réconciliation » que certains espèrent stable et sensible à leurs divers arguments, plus ou moins concertés, laisserait place à l’incertitude. Ce qui n’enchanterait guère ni la plupart des coalisés, ni les autres, comme la Russie, pour ne citer qu’elle…