Non, bien évidemment, la Biélorussie (pas davantage que la Serbie ou d’autres pays européens) ne fournit pas des mercenaires à Kadhafi. C’est sans doute démenti à juste titre. En revanche, la Jordanie se joint au Qatar, au moins symboliquement, mais l’Algérie est à présent soupçonnée de ravitailler Tripoli.

Le magazine Salon a publié une tribune libre de Ned Resnikoff intitulée « la vraie raison de notre entrée précipitée en (une autre) guerre ». Ce n’est pas, comme l’a titré Newsweek, parce que l’homme qui a soufflé à l’oreille de Sarkozy (Bernard-Henri Lévy), aurait aussi convaincu l’entourage de Barrack Obama. Mais parce que les deux grands partis étasuniens ont cessé, selon Ned Resnikoff, d’accorder la moindre importance à l’opinion des classes populaires ou moyennes américaines et que les ultra-riches pensent avoir tout à gagner d’une nouvelle guerre sans en supporter le moindre risque. C’est gratuit : ils échappent à l’impôt, et cela peut rapporter gros. En sus, leurs enfants ne sont plus officiers d’artillerie, d’infanterie ou pilotes de chasse. Ainsi de ces pilotes français postés en Corse qui, pour Charles Bremmer, de The Australian, expriment des sentiments très « classe moyenne » comme le colonel Pierre Wenker qui voit même dans les « Verts » (pro-Kadhafi) des pères, des fils, des enfants. « Nous sommes des êtres humains », titre Bremmer à propos de ces pilotes. Après cela, on  ne s’étonnera pas que la presse américaine de « droite » (ultra-extrême, soit la presse « patriote » normale) est encore persuadée que la chasse française largue des fromages sur les troupes de Kadhafi : je n’exagère rien, les consommateurs de « Liberty fries » (frites pas French, circa le début de la guerre d’Irak) en sont persuadés et restent entretenus dans cette opinion.

Que racontent les colonels Wencker et Vinot-Préfontaine qui contredisent en partie le général « intérimaire » Younès, lequel accuse l’Otan de laisser sans défense aérienne Misrata et d’autres villes ? Que les pilotes de Solenzara doivent s’assurer de l’identité des cibles alors que les colonnes au sol sont entremêlées et que parfois, ils s’abstiennent de tirer. On sait, c’est un partout dans la presse française, que le général Younès a véhémentement protesté contre l’inaction de l’Otan. Ce que la presse non-européenne ajoute c’est que, parfois, les chasseurs de l’Otan interviennent « huit heures après avoir été alertées. ». Ce qui laisse penser que les troupes du Conseil ont été équipées de moyens de communication et disposent sans doute d’instructeurs (étrangers) au sol, ce que l’on savait aussi déjà. Tout comme on sait que, depuis la Corse, pour intervenir, il faut être ravitaillé en vol. Parvenus à 4 500 m au-dessus de l’objectif, l’instructeur est reparti depuis longtemps ; la situation, les positions respectives, ont varié du tout au tout.

Or donc, le Royaume-Uni veut engager de nouvelles versions de ses Eurofighter, plus aptes pour mener des attaques au sol. Cela concerne… quatre appareils. La Lybie est très vaste, les objectifs ne sont pas forcément ceux que désigne prioritairement le général Younès. Et ce n’est pas l’unique appareil que vient de détacher la Jordanie qui va changer cette donne.

Mais, donc, la Jordanie rejoint le Qatar dans l’effort de guerre (ou simplement la surveillance de l’espace aérien et l’interception éventuelle d’avions loyalistes que l’on donne cloués au sol ?). Selon l’Otan, ce n’est encore que le tiers des capacités militaires loyalistes qui aurait été détruit. Alors, on espère que la défection de l’un, de l’autre, d’un troisième, et l’effet du blocus auront raison du clan Kadhafi. Lequel manifeste bien l’intention de négocier, mais non de se retirer de Libye. Cela, alors même que la Turquie vient de rejoindre la tardive position italienne : les Kadhafi doivent renoncer.

D’un côté, on soupçonne l’Égypte d’armer les troupes du Conseil, de l’autre, il est dit que les Palestiniens du Fatah fourniraient de l’armement israélien à Kadhafi et que l’Algérie ravitaillerait les troupes loyalistes en carburant. En fait, tout comme la Biélorussie qui n’envoie pas des mercenaires à Kadhafi (puisque ces mercenaires, dont la présence est attestée sur le terrain, sont des volontaires), l’Algérie, dont la compagnie Sonatrach ne traite plus avec la Libye, ne doit certes pas ravitailler officiellement les troupes loyalistes. Il est même possible que cela se fasse à l’insu d’une majeure partie du pouvoir algérien.

Ce qui importe dans la perception nouvelle de ce conflit c’est qu’avant que les hommes d’affaires puissent repasser des contrats ouvertement, et laisser l’attention se porter sur le business humanitaire (pour le plus grand profit des laboratoires, des fournisseurs d’équipements médicaux, du secteur agro-alimentaire, &c.), ce sera beaucoup plus long qu’envisagé par un Bernard-Henri Lévy ou un Sarkozy, dont les intérêts privés ne sont pas minces.

En dépit du fait que l’opinion internationale continue de penser que la population de Tripoli n’attendrait que la chute de Kadhafi pour clamer sa joie, il semble que le « trop peu, trop tard » imputé à la coalition fasse place au sentiment que les insurgés ont agi « trop peu, trop tôt ».

Christopher Dickey, de Newsweek, accorde bien un rôle décisif à Bernard-Henri Lévy dans l’engagement du conflit armé international en Libye, mais il décrit surtout un Sarkozy se laissant guider par des impulsions d’adolescents avant de tenter de faire oublier ses frasques et de redemander de l’argent de poche… aux partenaires européens. Selon Dickey, hormis Kadhafi, il n’est pas d’autre personnage dans cette affaire d’aussi énigmatique et marquant les esprits que Sarkozy. Vexé de s’être abaissé en vain à satisfaire toutes les exigences de Kadhafi lors de sa réception à Paris, l’infantile Sarkozy aurait sauté sur l’occasion de se réconcilier avec son compagnon de vacances de l’Alpe d’Huez et de la Côte d’Azur ou des nuits d’Antibes, BHL. Sarkozy n’avait aucune information fiable sur les chefs de file des insurgés, BHL l’assure qu’il va réussir à s’informer alors qu’il ne connaît personne sur place, se rend comme tout le monde à l’hôtel Tibesti de Tripoli, et parvient à s’immiscer dans une réunion du futur Conseil (alors « transitoire » en devenir, à présent « intérimaire »). S’ensuit un vrai coup de poker : Sarkozy reconnaîtra Abdul Jalil et son entourage sans même prévenir Alain Juppé et les partenaires européens, tous placés devant le fait accompli.

À présent, à Benghazi, on s’interroge : « mais où est donc Sarkozy ? ». La fragilité de la zone euro s’est peut-être rappelée à lui… autant que d’autres problèmes, tant internes qu’extérieurs. Ce qui n’empêche pas la France, et c’est la conclusion du reportage, d’alimenter Benghazi par la mer en munitions, et en instructeurs et conseillers militaires : « c’est toujours la guerre de Sarkozy. ».

Ce qui est étonnant, dans cet article comme dans tous les autres (sauf omission involontaire) de la presse étrangère, c’est que s’il est relevé que l’opinion française n’a pas désapprouvé l’intervention, plus personne ne parle de la France ou des Français épris de valeurs universelles, d’idéaux révolutionnaires, de droits fondamentaux des peuples à disposer d’eux-mêmes, &c.

Pourtant : Omar Fathi bin Shatwan, ancien ministre de Kadhafi, qui vient de se réfugier à Malte, décrit une administration loyaliste tenaillée par la peur des représailles de Kadhafi. Mais ces notables qui ne représentent surtout qu’eux-mêmes pourraient être tentés par un statut quo : soit un cessez-le-feu négocié, une partition temporaire. Tant pis si des Libyennes et des Libyens sans visibilité, sans relations avec l’ancienne nomenclature, devraient, surtout évidemment dans les zones contrôlées par le clan Kadhafi, en subir les conséquences s’ils se montraient trop véhéments.

Curt Weldon, un ancien représentant républicain de la Pennsylvanie, serait à Tripoli avec une petite délégation invitée par Kadhafi. Chris Stevens, envoyé par la Maison Blanche, est à Benghazi. Si la guerre restera peut-être celle « de Sarkozy », la paix (ou la cessation provisoire des hostilités) ne lui sera pas créditée.