Vite fait, mal fait, et sans filet. Des échos des atrocités commises par des « pro-Tripoli » et des « pro-Benghazi » sur les divers fronts ont commencé à parvenir, sinon à être largement répercutés : tortures et mutilations. La guerre, même en jabot et dentelles, n’a jamais été jolie. La thèse coalisée d’une intervention purement humanitaire prend l’eau de toutes parts, mais comme personne n’y a jamais vraiment cru, ce n’est même pas une information. On peut en revanche avancer quelques conjectures sur le choix de Londres par Moussa Koussa tandis que, jusqu’à nouvel ordre, Nouri Mesmari resterait en France.

Pas grand chose de fondamental ou de vraiment nouveau à traiter à propos de la Libye aujourd’hui. Inutile d’assurer un suivi sur les opérations, les flux et reflux des forces loyalistes ou de celles du Conseil intérimaire mais une illusion se dissipe : l’amiral Mike Mullen dresse le rapport des forces et considère que le Conseil joue à dix contre un avec à sa disposition un millier de combattants plus ou moins fiables seulement.

En fait, comme je renâcle à me lancer immédiatement dans le compte-rendu de l’audience en appel du Conseil de l’Ordre des médecins opposant l’expert judiciaire Michel Dubec aux instances de l’Ordre, voici quelques rapides réflexions « intermédiaires » sur une situation « intérimaire » qui risque de durer  en longueurs et douleurs.

Première remarque : Moussa Koussa est arrivé à Londres accompagné de son fils. Première question bonnasse : a-t-il pu ou dû activer partie de ses anciens réseaux d’ex-chef des services secrets libyens pour exfiltrer son fils ou les a-t-on laissés sortir de Libye et dans ce cas, selon quelles visées ? Seconde interrogation : pourquoi donc ce dignitaire du régime, qui savait bien les inconvénients de son choix puisqu’il ne pouvait espérer l’immunité pour l’affaire de l’attentat de Lokerbie et d’autres affaires (une policière britannique tuée par des tirs provenant de l’ambassade de Libye dans la capitale, par ex.), a-t-il choisi Londres et non Paris ?
À moins que les deux hommes aient été kidnappés à Tunis, ou trompés par les services britanniques et américains lui garantissant une impunité, se rendre à Londres ne peut passer pour un choix inconsidéré. La motivation avancée par Moussa Koussa paraîtrait plausible si elle émanait d’un autre dignitaire du régime moins mouillé dans les opérations de répression passées. Moussa Koussa s’inquiéterait du sort des civils ! Allons donc. C’est un peu comme si Jean-Marie Le Pen avait été motivé en Algérie par la défense des civils arabo-berbères. Croit-on vraiment que, parmi les shababs, aucun ne s’en prend à des civils, désarmés ou armés rapidement par l’armée loyaliste libyenne ? Il y a désormais des civils ou des combattants torturés avant de finir en cadavres atrocement mutilés de part et d’autre, et du côté des shababs, ce ne sont plus seulement des combattants venus du sud de la Libye, des mercenaires (Kadhafi avait de longue date accordé la nationalité libyenne à des étrangers incorporés dans son armée ou occupant divers postes administratifs ou autres).

Pourquoi Londres ? Parce que Nouri Mesmari, intermédiaire avec le colonel Abdallah Gehani pour Paris, serait un rival ? Parce que Gehani, officier de l’armée de l’air passé du côté du Conseil clame que Koussa a beaucoup de sang sur les mains ? Il se pourrait fort bien que Koussa ait fort à dire sur Gehani… Sylvain Lapoix, d’Owni, qui rapporte à la suite du quotidien italien Libero les bonnes grâces de Paris à l’égard de Mesmari, ne rappelle pas le rôle de cet ancien « chef du protocole » de Kadhafi. Ce personnage n’était pas seulement le metteur en scène du « Malik moulouk » (le roi des rois, reines, princes, princesses, dignitaires, chefs traditionnels africains), l’assistant dans le choix de ses boubous et gris-gris. Il était aussi chargé d’une multitude de missions mais de toute façon, le « Guide » ne fait vraiment confiance qu’à ses fils, voire à ses belles-filles et affiliés familiaux. On se demande donc si Sarkozy n’a pas été dupé, tout comme Bush l’avait été par des opposants irakiens qui assuraient que Saddam Hussein était unanimement détesté, conspué secrêtement, haï. Les relais politiques et militaires en Irak n’ont pas été, dans un premier temps, beaucoup plus fiables que Karzai et son entourage en Afghanistan.

Le choix de Londres peut s’expliquer de deux manières dont la plus évidente est que Paris a perdu la main. Mesmari n’a pas vraiment déstabilisé l’entourage de Kadhafi, la défection de Koussa n’est peut-être pas non plus un atout majeur, surtout s’il s’est agi, pour Kadhafi, de se séparer de la présence à ses côtés d’une sorte d’émissaire apte à sonder les réelles intentions du seul acteur capable de lui donner de réelles assurances pour la suite, soit Barrack Obama. Les États-Unis peuvent bien, pour des raisons tant intérieures qu’extérieures (les relations qu’ils entretiennent avec certains pays du Golfe, par exemple, avec d’autres en Afrique), proclamer qu’ils laissent la Méditerranée aux Méditerranéens (France, Italie, Turquie…), la réalité est sans doute toute autre. Ce qui se décidera conjointement avec le Royaume-Uni, ou en dépit des réticences britanniques éventuelles, n’est absolument pas clairement discernable. Paris disposera peut-être d’une certaine marge de manœuvre, mais elle sera mesurée à l’aune de ses apports utiles, absolument pas de ses ambitions passées, ni même actuelles. Lesquelles sont désormais bien incertaines. 

Ah, selon Jay Camey (Maison Blanche), l’opération Aube de l’Odyssée s’est achevée à 06 heures GMT, ce matin du jeudi 31 mars 2011. Ali Abdel-Salam al-Treki, ex-ambassadeur libyen à l’Onu, a aussi fait défection. Cela n’indique aucunement que le régime de Kadhafi s’érode. Que la France change le nom de l’opération Harmattan ou le conserve, que l’Otan fasse le choix d’un nom ou d’un autre, reste accessoire. La représentativité de Mohamed bin Sayyid Hassan al-Senoussi, le prince héritier lybien, vaut peut-être bien, aux yeux de Londres et de Washington, tout autant que celle du Conseil intérimaire. Mais rien de crucrial ne semble encore décidé, car rien de très décisif n’est encore intervenu.