C’est vers 20 heures, samedi soir, qu’un appartement de Tripoli où étaient censés loger des membres de la famille de Kadhafi a été détruit par une frappe de l’Otan. L’annonce de la mort d’un des fils de Kadhafi et de trois petits-enfants de moins de 4 ans a été saluée, dimanche matin, par des manifestations de joie avant que le Conseil transitoire libyen ne mette en doute la véracité de ces décès. Un adulte (deux en fait), trois enfants tués, évidemment, cela vaut d’être célébré. On peut espérer que celui qui a guidé la frappe sera décoré et fêté tel un héros « coalisé ».

7 février 1962 : divers attentats à la bombe revendiqués par l’Organisation de l’armée secrète secouent la région parisienne. L’appartement du ministre de la Culture, André Malraux, à Boulogne-sur-Seine, a été visé et une fillette de quatre ans, l’enfant d’une voisine, est très grièvement blessée, défigurée, handicapée. Le lendemain, une manifestation dénonçant ces attentats qualifiés de terroristes, suscite la ratonnade (visant prioritairement les manifestants au faciès sémite) et les morts dits de la station de métro de Charonne.

Répercuter platement des faits parus partout dans la presse n’a que peu d’intérêt, tant ici, sur Come4News, que sur de multiples blogues, espaces Twitter ou autres. Tenter de les « éclairer » mérite peut-être une contribution. Bien sûr, toute réflexion sur des faits « secs » n’est jamais neutre, cela relève du commentaire, de la tribune libre, de l’éditorial ; mais non forcément du parti pris.

Dans un premier temps, dimanche matin, l’annonce de la frappe de l’Otan a suscité diverses réactions. Des destructions d’enceintes diplomatiques de pays européens à Tripoli, plus ou moins spontanées, peu ou prou encadrées et suscitées, d’une part. D’autre part, à Benghazi, dans un premier temps, de véritables explosions, au sens propre, des tirs en l’air, des manifestations de liesses populaires scandées par des slogans tels « Allah soit loué !».

L’invocation d’un dieu mahométan, de part et d’autre, ne marque pas une dérive islamiste de qui que ce soit, il convient de le pointer. Il en serait de même lors d’un but marqué lors d’une rencontre de football ; clamer « Dieu sauve la Reine ! » lors d’un mariage princier ne fait pas de parfaits agnostiques des « croisés » chrétiens. Ni même des… Claude Guéant, qui ne paraît sans doute islamophobe que le temps d’une pré-campagne électorale et qui redeviendra islamophile si cela sert ses futurs intérêts.

7 févier 1962 au soir, des militaires, des civils, des « rebelles français » lèvent leurs verres de champagne : le ministre gaulliste a peut-être été tué ou gravement estropié. Mais les gâteaux secs que l’on fait passer n’ont soudain plus de succès : ce « n’est » qu’une fillette de quatre ans, qui fait figure (borgne et ensanglantée) de principale victime, Delphine Renard. Dès le lendemain, sa photo est légendée « ce visage mutilé accuse l’O.A.S. ».

Propagande et contrepropagande sont – des guerres civiles et autres – deux mamelles rebondies de lait amer. Notons qu’hormis la presse sud-américaine, majoritairement, les médias ne se sont pas attardés sur les victimes du missile de l’Otan. Il s’agirait notamment de Carthage (3 ans, fille d’Hanibal Kadhafi) et Mastoura (4 mois, fille d’Aïcha Kadhafi) et de Saif (2 ans, fils de Mohammed Kadhafi). Il y aurait eu, selon un « religieux italien », en fait Giovanni Innocenso Martinellia, vicaire apostolique catholique romain, un autre mort de taille adulte, qui aurait été revêtu d’un linceul blanc.

À Benghazi, on met donc en doute ces dépouilles, pas encore en rappelant les cadavres issus de la morgue de Timisoara, mais c’est tout comme. Si jamais ces victimes étaient bien celles que le régime libyen annonce, verra-t-on une foule remise en joie scander de nouveaux slogans ? Sans doute pas. Les conseillers en communication sauront faire valoir qu’il vaudrait mieux manifester contre les destructions de locaux diplomatiques occidentaux à Tripoli.

Bien sûr, Hugo Chavez, via Europa Press, proteste véhémentement, bien sûr, l’agence Tass répercute les propos de Serguei Lavrov (qui dénonce la dérive de l’interprétation de la résolution 1973), et les agences de presse en font plus ou moins état. La presse du Venezuela dénonce un « assassinat » et signale que les « groupe séparatistes armés » (entendez : Benghazi) maintiendraient, en dépit du témoignage du légat catholique, qu’il s’agit d’une mascarade.

Il y aurait eu des dégâts dans un rayon de 400 mètres de la résidence détruite. Al-Jazeera, dans un premier temps, mis en doute ces morts, et signalé que lorsque les États-Unis de Ronald Reagan avaient visé la résidence de Kadhafi, en 1986, ce dernier aurait « adopté à titre posthume une fillette. ». Les premiers titres de la presse française sont prudents : « Pour Tripoli, le fils cadet de Khadafi est mort » ou « serait mort ». Il s’agit de son benjamin, mais « cadet » est sans doute un mot plus court, plus commode pour titrer. Puis, comme L’Express, on passe à l’affirmatif, en signalant l’âge des enfants. Dans tous les cas, on « enrobe » : en faisant état d’autres événements, en n’insistant guère sur la portée médiatique de ces morts d’enfants.

Bien sûr, on signale que c’était « un centre de commandement militaire » qui était visé, sans reprendre avec trop d’insistance la notion que Kadhafi ferait de sa famille un bouclier humain. Ce qu’on aurait montré était une résidence civile située « dans le même quartier que des objectifs militaires. ». Bref, au pire, c’est une bavure, une erreur… pas forcément humaine. C’est peut-être l’ordinateur… Ah non puisqu’il s’agit évidemment de « frappes de précision » selon l’Otan. Ou alors, on ne veut pas mettre en cause la fiabilité des systèmes de visées de l’israélien Rafael Advanced Defense Systems qui équipent les Typhoon britanniques et les Gripen suédois, allez savoir…

Le général Bouchard (Otan) regrette « toute perte de vie ». C’est mieux que l’O.A.S. qui avait certes déploré les attentats ayant raté leurs cibles (sauf si des quartiers d’« indigènes » en étaient le théâtre, car là, tant pis, cela ne valait pas de faire acte de contrition). De même, le régime de Kadhafi ne déplore pas trop bruyamment les victimes civiles des villes qu’il bombarde à coups d’obusiers ou de lance-roquettes. Mouammar Kadhafi et sa femme, auraient, selon Tripoli, été présents dans la demeure visée mais n’auraient pas été touchés.

De deux choses l’une : soit un renseignement fantaisiste aurait donné Kadhafi et sa femme parmi les leurs, et il est bel et bien visé prioritairement, soit la version de l’Otan est, sinon tout à fait crédible, du moins plausible, feignons donc de l’admettre.

Ah tiens, voilà que le dirigeant du Conseil national libyen fait part de sa tristesse et de son chagrin « chaque fois que le sang coule ». C’est aussitôt pour ajouter « mais le sang des fils de Kadhafi n’est pas plus précieux que celui des hommes et des femmes de Libye. ». Encore un effort : la formule « des femmes et des hommes » serait mieux venue. Nul doute qu’on en tiendra compte à l’avenir.

On ne tentera pas de confronter les versions en espagnol de la BBC avec les autres. Ansa, l’agence italienne, souligne que les forces loyalistes bombardent Misrata et font « des enfants » pour victimes. Elle rappelle les propos de Kadhafi évoquant « un transfert du champ de bataille en territoires ennemis » (donc, aussi, en Italie).

Le Vert allemand Joschka Fischer invoque la « Realpolitik » (et bien sûr des motivations humanitaires) pour condamner l’aveuglement d’Angela Merkel, estimée timorée à propos de la Libye. Cela relève, selon lui, « du provincialisme ». Ah, les vertes provinces ne sont plus ce qu’elles étaient…

Sur Al Arabya, l’Émirati Dr. N. Janardhan évoque Charles Dickens et son Tale of two cities. La « survie des plus aptes » décidera du sort des révolutions dans le monde berbero-arabe. Divers dieux reconnaitront les leurs… Pour Mgr Martinelli, Kadhafi est « un grand ami » des chrétiens. Il n’est pas sûr que tous les Libyens continuent de penser que cela soit si réciproque. À Tripoli, on incendie des ambassades de « croisés », pas encore leurs églises, et à Benghazi, bien sûr, tous les musulmans sont de parfaits démocrates éclairés.

Les chrétiens d’Irak regrettent aussi Saddam Hussein et estiment désormais vivre « en prison » chez eux. En Irak aussi, mais cela n’a bien sûr « rien à voir » avec la Libye, les très démocrates sunnites des Forces Qods ont pu se livrer à un massacre sur des chiites, opposants iraniens pour la plupart, à Achraf (histoire de favoriser des agriculteurs sunnites du coin). Il y aurait eu au moins 40 morts (34 selon l’armée irakienne) et 300 blessés tandis que les forces américaines détournaient prudemment les yeux. Quelques blessés ont été molestés, frappés, avant d’être soignés, plus de nouveau frappés, selon Amnesty International. C’était le 8 avril ; depuis le 15 avril dernier, l’Onu « exige une enquête ». Depuis, l’armée irakienne ferait blocus autour du camp pour empêcher la délivrance de médicaments, les blessés subsistant ne voulant pas risquer d’en sortir. Pour Misrata, en Libye, c’est l’inverse : les loyalistes empêchent l’arrivée des secours aux civils et aux combattants, mais les États-Unis sont « vigilants ». Moins, sans doute, quand Ouattara ou l’un de ses ministres, Guillaume Soro, fait liquider son ex-allié d’Abidjan, Ibrahim Coulibaly. Nicolas Sarkozy ira à Benghazi, puis à Yamoussoukro, le 21 mai prochain, féliciter Alassane Ouattara. Vite, une légion d’honneur pour avoir assassiné Coulibaly.

Lu quelque part : une guerre propre, c’est comme un plan social destiné à sauvegarder l’essentiel de l’emploi préparé par une DRH. Qui veut la fin, veut les moyens, et l’habillage adéquat qui fait bien avec.

Ah, tout autre chose encore ayant si peu à voir avec la Lybie : le Rafale et l’Eurofighter Typhoon seraient en passe de remporter le « méga-contrat » de l’Armée de l’air indienne, contre des appareils américains, des Mig-35 russes et des Gripen suédois. On apprend qu’un Rafale avait détruit un char libyen grâce à un missile AASM tiré depuis plus de 55 kilomètres. Mer et Marine titre sur « La Libye pour banc d’essai ». Pas vraiment transformé avec la mort du fils Kadhafi, et « accessoirement » des enfants… ni pour le Rafale, qui n’a pas été engagé dans cette opération, ni pour l’Otan. Le match reprendra après la mi-temps…