Les corps de 63 loyalistes, abattus lors de combats ou froidement exécutés, viennent d’être découverts à Syrte où un dépôt de carburant a explosé, provoquant (opportunément ?) une soixantaine de morts… Comment la communauté internationale pourrait-elle avoir le culot de demander que ces crimes ne soient pas impunis alors que deux pilotes français ont manqué de peu l’exécution de Kadhafi et réussi celle d’une trentaine de ses partisans en fuite ?

Il existe quand même une « légère nuance » entre le fait de torturer et d’éliminer des prisonniers en temps de paix, comme le faisait lui-même Moussa Koussa, désormais réfugié au Qatar et protégé par la France et le Royaume-Uni, et en temps de guerre, se livrer à des exécutions massives dans le feu de l’action.
Mais Syrte a désormais quelques divers « Oradour-sur-Glane » à… oublier.
On se sait qui, des brigades al-Nimar, al-Isnad, al-Fahad, al-Asad ou al-Qasba a bien pu liquider une cinquantaine de prisonniers dans l’hôtel Mahari et une dizaine de pire à proximité, à Syrte.
De même, alors que des habitants et des visiteurs revenaient s’approvisionner en carburant, on ne peut dire si l’explosion d’un dépôt est accidentelle ou non.
Peut-être était-elle destinée à éliminer des gens susceptibles de contrecarrer des pillages.

Il y avait aussi des partisans de l’insurrection à Syrte : certains ont pu s’échapper, d’autres, 23 au moins, ont été retrouvés, mains liées, exécutés par un groupe loyaliste voici quelques jours.

Tawergha, anciennement 35 000 habitants, est une autre « Oradour » : Asne Seierstad, de Newsweek, rapporte que les seuls cadavres, dans cette ville ravagée et déserte, sont à présent ceux de chats et de chiens. « Nous avions tout, sauf la liberté, » commente Mabrouk, un professeur de physique, passé à présent du bon côté, qui ne regrette pas d’avoir serré la main de Kadhafi à Tawergha lors de sa visite dans la ville « juste avant la Révolution… ». Mabrouk est certes dans le bon camp, mais il n’a plus rien, sauf une précaire liberté : il n’est pas « tout blanc », en tous sens du terme. Les lieux des massacres des « révolutionnaires » sont soigneusement nettoyés des victimes humaines ; restent parfois des ossements de moutons ou de chameaux sacrifiés pour fêter les diverses victoires, ceux d’animaux domestiques…

Pour le juge Ahmed Naas, de Tripoli, que la correspondante de Newsweek a rencontré, c’est de nouveau « business as usual » après 40 ans de bons et loyaux services. Certains de ses collègues n’ont pas cette chance : ils ont été abattus sans sommation. Dans les prisons, où des loyalistes ont remplacé des détenus qui n’étaient pas tous des prisonniers politiques, la peine des survivants consiste à devoir lire le Coran du matin au soir. Allez, encore 8 000 paters et 8 000 avés, et les belles villas retapées seront de nouveau bien gardées, aussi par les mêmes, sous la supervision d’officines de sécurité européennes et américaines, qui affluent déjà… Peut-être les mêmes sociétés de mercenaires que celle, sud-africaine, composée d’anciens policiers, qui a réussi a exfiltrer vers l’Algérie quatre membres survivants de la famille de Kadhafi (sa femme, Safia, sa fille, Aïcha, et ses fils Hannibal et Mohamed).

Que faire des membres de la brigade d’Élimination des esclaves à peau noire, composée d’habitants de Misrata, qui ont « nettoyé » au facies Tawergha ? Comme l’a exprimé Jibril, « personne n’a le droit de s’immiscer dans cette affaire si ce n’est les habitants de Misrata… », rapporte le Wall Street Journal. Fermez le ban. D’ailleurs, que peut dire d’autre Mahmoud Jibril, actuel Premier ministre en titre, qui se donne de nouveau démissionnaire d’ici peu ?

En fait, une amnistie quasi-générale arrangerait tout le monde. La priorité donnée à la reconstruction (les Coréennes Daewoo et Hyundai E&C sont déjà pratiquement à l’œuvre, le Bengladesh offre de prendre à sa charge le retour en Libye d’environ 36 000 travailleurs) et le très « mauvais » exemple de l’exécution de Kadhafi donné aux peuples d’Afrique fatigués de leurs dictateurs, plaide pour cette, ces multiples injustices : qui peut assurer que les Libyens, prenant conscience des destructions massives du fait des aviations et marines coalisées, ne changeront pas d’opinion sur l’intervention si le pays continue à être en proie à des dissensions persistantes, durables, et non plus rampantes ?

Les services allemands savaient dans quel immeuble, vers les derniers jours de son existence, Kadhafi se terrait. Ils se sont bien gardés de prévenir leurs homologues français ou britanniques. C’était peut-être préserver l’avenir. La sénatrice américaine Susan Collins, qui a rencontré récemment Jibril, doute fort que Kadhafi, comme Jibril le soutient encore, ait été « tué lors d’un échange de coups de feu… ». Jibril a aussi mentionné « l’ingérence du Qatar » à Susan Collins et John McCain. Il est fort possible que « le retour sur investissement » annoncé par Alain Juppé dépende de la bonne volonté du Qatar. Ce n’est peut-être pas plus mal : autant garder un profil bas en Libye dans les mois qui vont suivre, et ne pas en rajouter dans un sens ou dans l’autre.

Selon Associated Press, une femme se trouvant à bord du convoi de Kadhafi fuyant Syrte a indiqué au groupe Human Right Watch que ce dernier aurait été « légèrement blessé » par l’attaque aérienne française. Suffisamment blessé et sonné en tout cas pour se laisser prendre sans combattre ou… Peut-être vaut-il mieux se satisfaire du « pieux » mensonge du CNT, en dépit de toute évidence. Le dépôt de carburant ayant explosé à Syrte avait été endommagé par des bombes de l’Otan et selon la version officielle, ce serait en rétablissant le courant électrique qu’une étincelle l’aurait fait exploser. Autant le croire…

Pour l’IDSA (Institute for Defense Studies & Analysis), R. S. Kahla, ancien ambassadeur indien en Irak, considère à présent que « les nouvelles autorités libyennes pourraient devoir se tourner vers les pays asiatiques et l’Inde pour obtenir de l’aide financière à long terme et des cadres. Restituer les avoirs libyens gelés ne suffira sans doute pas. ». En cause : les destructions massives, ayant frappé les infrastructures en dépit d’assurances du contraire. Au Danemark, l’opposition (socialistes et verts), qui avait voté l’intervention militaire, commence à réviser son appréciation. L’Otan serait « allée trop loin » en exigeant la chute de Kadhafi par tous les moyens, forçant peut-être la main à certaines composantes du CNT. Mieux vaut peut-être à présent proclamer que la Libye s’est par elle-même libérée, en dépit des évidences. La France n’a peut-être pas besoin de futurs otages à libérer contre des rançons en Libye…