Watergate, Woerthgate… Liborgate désormais, tant le scandale de la manipulation des indices du Libor semble prendre une tournure inquiétante. D’une part, il n’y a sans doute pas que le Libor (Londres), le Tibor (Tokyo), l’Euribor (Europe) d’affectés, l’Eibor (Émirats) semble aussi douteux que les autres. D’autre part, les dépositions de « Sir » (le restera-t-il ?) Merving et du « Lord » (id.) Tucker devant le Parlement britannique sont édifiantes : auraient-ils joué la montre ?
Donc, diverses banques manipulaient les plus importants indices de référence fixant le taux des emprunts interbancaires, mais aussi une foultitude d’autres. Donc, dès juin 2008, la Fed américaine alertait la Banque d’Angleterre (BoE), soit Paul Tucker et Merving King. Donc, ils ont fait la sourde oreille… C’est ce qui ressort de la déposition des deux individus devant le Parlement britannique.
Comment l’interpréter autrement ? Voici Mervyn King assurant avec aplomb qu’il n’a été vraiment alerté que voici deux semaines. Voici Tucker faisant mine de regretter de n’avoir pas très bien compris ce que lui communiquait son homologue de la Fed, et déplorer que l’alarme n’avait pas été suffisamment bien perçue…
La farce continue donc. Tucker n’avait pas pris conscience de ce que dénonçait Tim Geithner, de la Fed. Incompétent, mais non coupable. Tu peux venir à Lagardère, Lagardère fait le sot, en quelque sorte. Mervyn King a cependant été mis dans la confidence à l’époque puisqu’il assure, rétrospectivement, qu’en fait il ne voyait pas trop où se situaient les malversations.
Il y avait certes des anomalies, mais pas de fraude évidente. Cachez cette tumeur que je ne voudrais surtout pas voir… Enfin, ne me la montrez pas, on pourrait nous voir… En substance, cette histoire de cartel faussant la concurrence sous l’œil du pion peut se résumer ainsi : le surveillant s’est laissé benoitement berner, soit par incompétence, soit parce qu’il s’était assoupi. Les banksters savent si bien susurrer d’apaisantes berceuses !
Compères et larrons
Ce qui a bien du mal à passer. Les deux compères se défaussent, et l’un sur l’autre dans le cas de Mervyn King envers Tucker. Et les deux se défaussent sur la British Banking Association, présumée juge et surtout partie ; la BoE s’en est lavé les mains : affaire interne à la BBA.
On croirait entendre Noyer, gouverneur de la Banque de France, au sujet de la Société générale (qui est semble-t-il soumise à enquête à présent). La BBA aurait, elle, été abusée par la Barclays, la première banque à se faire prendre la main dans le sac. Comme c’est touchant !
Mais quand même, la BoE avait quand même adressé à Barklays de légères remontrances, mais cette dernière s’était récriée, et cela avait suffi.
Belle métaphore nautique : c’est normal pour une banque de frôler le cyclone, mais quand cela se produit trop souvent, on peut vaguement commencer à douter de la raison du capitaine, résume, cauteleux, Mervyn King.
L’ennui, c’est que le gouverneur-adjoint, Tucker, rencontrait régulièrement divers dirigeants bancaires pour évoquer le Libor. Diamond, de la Barclays, n’était pas cul et chemise, mais un peu comme le coq du bord et le mousse, sauf que Diamond faisait le coq et Tucker le mousse, alors que cela aurait dû être l’inverse. On est bien sûr à tu et à toi, on s’appelle Bob et Paul.
Déclarations cinglantes
La déclaration de David Blanchflower, du comité monétaire de la BoE, au Huffington, est cinglante. D’une part, il préconise de mettre à la retraite le gouverneur avant la fin de son mandat, en juin 2013. D’autre part, il atteste que le gouverneur était au parfum, mais il se plaquait un mouchoir sous le nez et regardait ailleurs. « Cela ne l’intéressait pas, il ne nous communiquait aucune information sur le sujet… », précise David Blanchflower. Tucker devrait remplacer Mervyn King si, et uniquement si, sa réputation ne sortait pas entachée par le Liborgate.
Difficile de croire que Barclays aurait pu tout dissimuler. Mais Barclays, en la personne de Jerry del Missier, démissionnaire, est allé plus loin : la BoE aurait recommandé à la Barclays de jeter un voile sur ses difficultés. Or, user de fausses informations communiquées au Libor était un moyen de le faire.
David Blanchflower incite à faire vite, et à débarquer Mervyn : « il est grand temps de récurer les écuries d’Augias, » a-t-il conclu en substance (“it’s time to sweep clean the top levels of the Bank of England”). Obsédé par le maintien de l’inflation à des taux raisonnables, la BoE, au plus haut niveau, n’a rien vu venir : ni la récession d’octobre 2008, ni le Liborgate.
Comme on dit en américain, « le ventilateur disperse la merde » et tout le monde s’essuie sur le voisin. Mais la collusion apparaît clairement, même si la presse britannique se garde bien de reprendre les commentaires, allant tous dans le même sens, de ses lecteurs.
La Fed peu rassurée
Peu après que les deux individus déposaient, l’acteur chef de la Fed, Ben Bernanke, était entendu par le Sénat américain. Peut-il assurer devant le peuple américain que le taux du Libor est correct et sincère à présent ? Non, il ne peut l’assurer totalement… Car la British Banker’s Association n’a pas pris toutes les mesures que la Fed lui recommandait. Il avait auparavant signalé que la Fed avait été alertée dès avril 2008. La BoE et la BBA avaient reçu des recommandations dès mai, et non juin, 2008. Il aura fallu donc plus de quatre ans pour que le gouverneur de la BoE les retrouve dans ses cartons… Deux sénateurs avaient posé la question : la Fed avait-elle été assez ferme ?
Bernanke n’a pas vraiment répondu directement, mais son prédécesseur comme lui-même sont, eux, couverts.
La Financial Services Authority, l’autorité des marchés britanniques, « s’est montrée terriblement timorée » vis-à-vis de Barclays, estime Nils Pratley, du Guardian. C’est net, mais cela frise encore l’euphémisme. La FSA jappait davantage qu’elle n’aboyait et en tout cas, ne mordait jamais.
Mais, tiens donc, on songe à Sir Michael Rake pour remplacer Bob Diamond à la tête de la Barclays. Le toutou de la FSA, qui aurait dû sanctionner la Barclays, pour la diriger ? C’est presque un jeu de chaises musicales avec autant de chaises que de joueurs : tout le monde est gagnant.
Medhi Hasan, de l’Huffington Post (.co.uk), rapporte plus crument les choses et donne la parole un sachant qui conclut que le gouverneur de la BoE était « soit impliqué, soit incompétent, ou les deux ». Une implication compromettante (“either compromised or incompetent”).
Bizarrement, Tucker n’avait pas attendu que la Fed entre en contact avec lui pour s’inquiéter de dysfonctionnements du Libor. Il s’en était préoccupé dès novembre 2007. Mais, alors, personne ne pensait à des fraudes… Ou peut-être avait-il compris que creuser le sujet pourrait nuire à sa carrière.
Bien, le gouvernement de Sa Majesté s’empressera à présent d’attendre les enquêtes du FBI américain pour songer à, peut-être, faire diligenter des magistrats britanniques. Pour le moment, c’est le ministre des Finances, le chancelier George Osborne qui est dans ses petits souliers. Il avait tenté de rejeter le Liborgate sur le revers de son prédécesseur, Ed Balls. Mais les pales du ventilateur ont tourné. Bah, il suffira de l’échanger avec l’actuel ministre des Affaires étrangères, et tout cela se calmera, considère peut-être David Cameron, le Premier ministre.
Rien n’est moins sûr. Chaque jour, et pour quelques semaines et mois, le scandale du Libor prend de l’ampleur. Pour le moment, Tucker ou King semblent pouvoir faire de bons portiers de banque à Monaco ou au au Luxembourg… Parfaits pour ouvrir grandes les portes aux membres de la British Bankers’ Association de passage. Laquelle ne parle toujours pas de réformer le calcul du Libor.
Poursuites judiciaires américaines
Cinq procureurs américains de cinq États vont s’intéresser au Liborgate, ceux de New York, du Connecticut, du Massachusetts, de la Floride et du Maryland. Car ces divers États (et tant d’autres, et pas qu’aux États-Unis) auraient pu subir des pertes du fait de la manipulation du Libor.
Leur but est d’obtenir des compensations pour les institutions des États, les municipalités, les écoles… mais aussi, par exemple, le fonds de pension de la police du Connecticut, des brigades de pompiers, &c. Les retraités de la fonction publique californienne auraient aussi pu être lésés…
Le Liborgate est souvent mal compris de l’opinion. Effectivement, c’est complexe, et c’est fait pour. Même taillé sur mesure pour les banksters dont le jeu favori est le pile, je gagne, face, tu perds…
On en a une fois de pire la démonstration.
Et au fait, Noyer, le gouverneur de la Banque de France, il voyait cela de loin par le gros ou le petit bout de la lorgnette ?
En France, rien de rien…
En France, Christian Noyer n’a non seulement rien vu, rien entendu, mais il le dit haut et fort. Il en a bien parlé avec des banquiers mais comme ils lui ont répondu « mais comment pouvez-vous penser cela ? », il affirmé clair et net : « personne n’a dit, n’a émis l’idée qu’elles [les banques] avaient participé. ».
Bien sûr, le Financial Times pointe deux banques françaises, la Société générale et le Crédit agricole (et aussi Deutsche Bank et HSBC), mais il ne faut pas croire tout ce que disent les journaux…
Et puis surtout, si tant bien même cela se serait produit en France, tout cela, c’est du passé.
Voila bien le feuilleton le plus effrayant de cet ete 2012; avec des consequences mondiales sans fin. Bravo les banksters
excellent comme toujours, Jrff