La liberté de la presse continue d’être une chimère dans les pays d’Afrique du Nord. La conférence internationale organisée par le groupe de travail pour la liberté d’expression en Afrique du Nord, (WGFENA), l’association mondiale des journaux (WAN) et l’hebdomadaire marocain Tel Quel, « Quelle stratégie pour faire face aux attaques contre la presse en Afrique du Nord ?» les 2 et 3 mai derniers à Casablanca, en a reconduit le constat.
Un état des lieux appuyé par les témoignages de journalistes et de militants des droits de l’homme en provenance des cinq pays du Maghreb, mais aussi d’Egypte, un pays qui connaît l’émergence de plus en plus influente des bloggers dans le domaine de la diffusion de l’information et de la militance politique. La rencontre, qui s’est fixé pour objectif de définir « une stratégie pour faire face aux attaques contre la presse » dans la région, a surtout permis aux professionnels et militants présents de savoir ce qui se passe réellement chez le voisin.
Entre la ferme résolution des Etats libyen et tunisien de continuer à imposer le bâillon à toute expression libre, qui plus est celle de la presse, et les louvoiements « vicieux » et imprévisibles de leurs homologues marocain et algérien sur la question, l’exemple mauritanien apparaît comme celui qui offre le plus de conditions pour l’épanouissement d’une presse libre.
Celle-ci est déjà une réalité, à en croire Abdallah Hormatallah, jeune patron du quotidien Akhbar el Youm, qui symbolise à lui seul cette nouvelle vague de journalistes pour qui tous les horizons semblent désormais ouverts.
La Mauritanie, en plus d’avoir réalisé avec succès la transition démocratique – après le coup d’Etat qui a mis fin, en 2005, au règne de Ould Tayaa – se présente comme un pays qui possède les arguments objectifs de briguer des classements plus qu’honorables dans la liste des Etats où le journaliste est libre de faire son boulot. L’on s’y apprêterait, entre autres, à ouvrir le champ de l’audiovisuel après les facilités accordées au lancement des publications qui se suffit du seul régime déclaratif (simple dépôt au niveau du ministère public).
Euphorie mauritanienne
Notre confrère ne nie pas cependant l’existence de craintes quant à l’usage qui peut être fait de cette liberté nouvelle dans une société marquée par le poids déterminant de la tribu dans la gestion des affaires publiques. Il reste que l’euphorie mauritanienne a de quoi inspirer beaucoup d’envie aux autres confrères d’Afrique du Nord.
Les Tunisiens en premier sans doute.
Sihem Bensedrine, coordinatrice du WGFENA, nous a parlé des obstacles insoupçonnables dressés par le régime tunisien devant toute velléité d’expression libre. Obstacles et surtout répression qui, en sus des emprisonnements, va jusqu’à la filature permanente de tous ceux qui osent évoquer la gestion des « maîtres du pays ».
Des sites et adresses électroniques seraient par ailleurs parasités par les « services » passés maîtres dans le domaine. Lotfi Hajji, ancien président du Syndicat tunisien des journalistes et actuellement correspondant de la chaîne El Jazeera à Tunis, parle, lui, de « répression d’usure ».
En sus de la pénalisation du délit de presse, des moyens beaucoup moins assumés sont utilisés pour noyer et vouer au discrédit toute voix discordante. Le nécessaire est fait par Ben Ali et ses soutiens, selon Hajji, pour laisser proliférer une presse « privée » dont la tâche préférée est de « dénigrer » l’opposition au moment où la porte de l’agrément reste fermée aux projets porteurs d’ambition d’indépendance vis-à-vis des gouvernants.
Naziha Rejiba, présidente de l’Observatoire pour la liberté de la presse, de l’édition et de la création (OLPEC), regrette, quant à elle, la « tiédeur » des réactions des organisations internationales et l’amenuisement des circuits de solidarité pour des militants et des journalistes qui semblent avoir épuisé les ressorts de mobilisation intérieure.
Mises l’une face à l’autre, les expériences marocaine et algérienne, sans doute les plus épaisses au Maghreb, présentent en le domaine nombreuses similitudes et points de comparaison.
En premier lieu, cette attitude ambivalente des pouvoirs publics dans les deux pays et qui semblent, dans l’un comme dans l’autre, épouser les conjonctures. Ahmed Redha Ben Chemsi, directeur du magazine Tel Quel, rappelle que de grands espoirs sont nés à l’issue de l’accession de Mohammed VI au trône. « Des horizons s’étaient dégagés, on devait tester de nouvelles frontières à la liberté. »
Une lutte citoyenne
C’est dire l’inédit d’une situation où le journaliste voyait tomber, entre autres, le tabou sur la Sahara occidental. Juste près d’une année d’ouverture avant que les saisies de journaux ne reprennent ainsi que les poursuites contres les journalistes, expose notre confrère. Un retour en arrière qui n’empêche cependant pas un dynamisme au niveau structurel puisque les journalistes marocains, leur syndicat, puis la Fédération marocaine des éditeurs de journaux (FMEJ) sont en pleines discussions avec leur gouvernement portant sur de nouveaux projets de loi régissant la profession.
Une corporation qui semble avoir de solides assises organisationnelles en somme, mais qui continue à souffrir d’un déficit d’ancrage dans la société. Tous tirages confondus, les rotatives marocaines ne sortent que quelque 350 000 exemplaires. Autre symptôme, sur près de 107 procès intentés aux journaux en 2007, « 4 à 5 seulement » sont le fait des administrations publiques, selon Noureddine Meftah, secrétaire général de la FMEJ.
Les autres émanant de citoyens qui découvrent l’utilité de poursuites pour diffamation engagées aux fins de faire payer des dommages et intérêts aux entreprises de presse. Un phénomène non connu en Algérie, ou pas encore, puisque, comme le défendra Chawki Amari, chroniqueur à El Watan, invité à la conférence, « la bataille de l’opinion a été gagnée par les journalistes algériens ».
C’est ce que défendra également Mohamed Benchicou en pensant que même si le journaliste venait à céder sur son « droit d’écrire » devant les pressions et les tentations, le citoyen, lui, n’acceptera point d’être privé de son droit d’être informé.
La rencontre de Casablanca a été sanctionnée par un communiqué qui condamne toutes les poursuites engagées contre les journalistes dans les pays représentés. L’engagement a été, par ailleurs, retenu d’explorer d’autres mécanismes de lutte commune d’autant que la solidarité internationale ne semble plus s’exprimer avec la même conviction qu’il y a quelques années.
Source : Le Matin d’Algérie – 09 Mai 2008
Voir les rapports 2008 sur la liberté de la prese au Maroc et en Tunisie:
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La liberté de la presse continue d’être une chimère dans les pays d’Afrique du Nord. La conférence internationale organisée par le groupe de travail pour la liberté d’expression en Afrique du Nord, (WGFENA), l’association mondiale des journaux (WAN) et l’hebdomadaire marocain Tel Quel, « Quelle stratégie pour faire face aux attaques contre la presse en Afrique du Nord ?» les 2 et 3 mai derniers à Casablanca, en a reconduit le constat.
Un état des lieux appuyé par les témoignages de journalistes et de militants des droits de l’homme en provenance des cinq pays du Maghreb, mais aussi d’Egypte, un pays qui connaît l’émergence de plus en plus influente des bloggers dans le domaine de la diffusion de l’information et de la militance politique. La rencontre, qui s’est fixé pour objectif de définir « une stratégie pour faire face aux attaques contre la presse » dans la région, a surtout permis aux professionnels et militants présents de savoir ce qui se passe réellement chez le voisin.
Entre la ferme résolution des Etats libyen et tunisien de continuer à imposer le bâillon à toute expression libre, qui plus est celle de la presse, et les louvoiements « vicieux » et imprévisibles de leurs homologues marocain et algérien sur la question, l’exemple mauritanien apparaît comme celui qui offre le plus de conditions pour l’épanouissement d’une presse libre.
Celle-ci est déjà une réalité, à en croire Abdallah Hormatallah, jeune patron du quotidien Akhbar el Youm, qui symbolise à lui seul cette nouvelle vague de journalistes pour qui tous les horizons semblent désormais ouverts.
La Mauritanie, en plus d’avoir réalisé avec succès la transition démocratique – après le coup d’Etat qui a mis fin, en 2005, au règne de Ould Tayaa – se présente comme un pays qui possède les arguments objectifs de briguer des classements plus qu’honorables dans la liste des Etats où le journaliste est libre de faire son boulot. L’on s’y apprêterait, entre autres, à ouvrir le champ de l’audiovisuel après les facilités accordées au lancement des publications qui se suffit du seul régime déclaratif (simple dépôt au niveau du ministère public).
Euphorie mauritanienne
Notre confrère ne nie pas cependant l’existence de craintes quant à l’usage qui peut être fait de cette liberté nouvelle dans une société marquée par le poids déterminant de la tribu dans la gestion des affaires publiques. Il reste que l’euphorie mauritanienne a de quoi inspirer beaucoup d’envie aux autres confrères d’Afrique du Nord.
Les Tunisiens en premier sans doute.
Sihem Bensedrine, coordinatrice du WGFENA, nous a parlé des obstacles insoupçonnables dressés par le régime tunisien devant toute velléité d’expression libre. Obstacles et surtout répression qui, en sus des emprisonnements, va jusqu’à la filature permanente de tous ceux qui osent évoquer la gestion des « maîtres du pays ».
Des sites et adresses électroniques seraient par ailleurs parasités par les « services » passés maîtres dans le domaine. Lotfi Hajji, ancien président du Syndicat tunisien des journalistes et actuellement correspondant de la chaîne El Jazeera à Tunis, parle, lui, de « répression d’usure ».
En sus de la pénalisation du délit de presse, des moyens beaucoup moins assumés sont utilisés pour noyer et vouer au discrédit toute voix discordante. Le nécessaire est fait par Ben Ali et ses soutiens, selon Hajji, pour laisser proliférer une presse « privée » dont la tâche préférée est de « dénigrer » l’opposition au moment où la porte de l’agrément reste fermée aux projets porteurs d’ambition d’indépendance vis-à-vis des gouvernants.
Naziha Rejiba, présidente de l’Observatoire pour la liberté de la presse, de l’édition et de la création (OLPEC), regrette, quant à elle, la « tiédeur » des réactions des organisations internationales et l’amenuisement des circuits de solidarité pour des militants et des journalistes qui semblent avoir épuisé les ressorts de mobilisation intérieure.
Mises l’une face à l’autre, les expériences marocaine et algérienne, sans doute les plus épaisses au Maghreb, présentent en le domaine nombreuses similitudes et points de comparaison.
En premier lieu, cette attitude ambivalente des pouvoirs publics dans les deux pays et qui semblent, dans l’un comme dans l’autre, épouser les conjonctures. Ahmed Redha Ben Chemsi, directeur du magazine Tel Quel, rappelle que de grands espoirs sont nés à l’issue de l’accession de Mohammed VI au trône. « Des horizons s’étaient dégagés, on devait tester de nouvelles frontières à la liberté. »
Une lutte citoyenne
C’est dire l’inédit d’une situation où le journaliste voyait tomber, entre autres, le tabou sur la Sahara occidental. Juste près d’une année d’ouverture avant que les saisies de journaux ne reprennent ainsi que les poursuites contres les journalistes, expose notre confrère. Un retour en arrière qui n’empêche cependant pas un dynamisme au niveau structurel puisque les journalistes marocains, leur syndicat, puis la Fédération marocaine des éditeurs de journaux (FMEJ) sont en pleines discussions avec leur gouvernement portant sur de nouveaux projets de loi régissant la profession.
Une corporation qui semble avoir de solides assises organisationnelles en somme, mais qui continue à souffrir d’un déficit d’ancrage dans la société. Tous tirages confondus, les rotatives marocaines ne sortent que quelque 350 000 exemplaires. Autre symptôme, sur près de 107 procès intentés aux journaux en 2007, « 4 à 5 seulement » sont le fait des administrations publiques, selon Noureddine Meftah, secrétaire général de la FMEJ.
Les autres émanant de citoyens qui découvrent l’utilité de poursuites pour diffamation engagées aux fins de faire payer des dommages et intérêts aux entreprises de presse. Un phénomène non connu en Algérie, ou pas encore, puisque, comme le défendra Chawki Amari, chroniqueur à El Watan, invité à la conférence, « la bataille de l’opinion a été gagnée par les journalistes algériens ».
C’est ce que défendra également Mohamed Benchicou en pensant que même si le journaliste venait à céder sur son « droit d’écrire » devant les pressions et les tentations, le citoyen, lui, n’acceptera point d’être privé de son droit d’être informé.
La rencontre de Casablanca a été sanctionnée par un communiqué qui condamne toutes les poursuites engagées contre les journalistes dans les pays représentés. L’engagement a été, par ailleurs, retenu d’explorer d’autres mécanismes de lutte commune d’autant que la solidarité internationale ne semble plus s’exprimer avec la même conviction qu’il y a quelques années.
Source : Le Matin d’Algérie – 09 Mai 2008
Voir les rapports 2008 sur la liberté de la prese au Maroc et en Tunisie:
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