C’est avec une certaine fierté que je souhaite un joyeux anniversaire à mon journal favori. Lecteur de la première heure de ce qui était à l’époque un pari insensé, un journal de gauche indépendant sans publicité, j’avais mis la main à la poche à l’appel de Jean-Pol Sartre pour sauver ce qui est vite devenu « Libé ». La première Une date du 5 février 1973

La personnalité hors normes de Sartre a permis ce sauvetage même s’il commençait à dérailler un peu dans ses délires maoïstes. Pourtant j’ai la faiblesse de croire que j’y suis pour quelque chose avec mon petit chèque en répondant à la souscription lancée en 1974. C’était le journal au jour le jour, l’incertitude sur le lendemain.

A cette époque, le souvenir de mai 68 était très présent dans les esprits. Charlie Hebdo, le vrai, le seul, celui de Cavanna, de Reiser et autres joyeux drilles et Libé réinventent la presse, une presse se revendiquant libre. A l’époque, les lecteurs pouvaient s’y exprimer sans aucune censure : Libé invente les petites annonces gratuites. Autant vous dire qu’on y lisait de drôles de choses ! 

Les journalistes étaient jeunes et relativement inexpérimentés et il faut dire que le journal manquait un peu de professionnalisme, mais ça correspondait bien au courant de l’époque. En 1981, Serge July donnera une toute autre direction, plus modérée, au journal en tournant le dos au gauchisme. Autre fait notoire, il introduit de la publicité dans le quotidien, ce qui permet une plus grande aisance financière mais un renoncement aux principes de base. Libération est alors un titre comme les autres.

Aujourd’hui dirigé par Nicolas Demorand, Libé est devenu un journal sérieux et respecté mais il n’a plus rien à voir avec celui qu’on a connu. Est-ce un clin d’œil de l’histoire ? Libé empêché de sortir en kiosque à cause d’une grève pour fêter son anniversaire et son directeur qui vilipende les ouvriers du livre. Qu’aurait dit Sartre en 1973 ?