L’heure zéro

Vous reprendrez bien une tranche de mystère ?

J’étais tranquille, allongé, peinard, en train de jouer avec le sein gauche de ma copine lorsque soudain elle me demanda en s’étirant comme une panthère :

« T’as envie de faire quoi ce soir ? »

Moi (pensant naïvement m’aventurer en territoire connu) : « J’irais bien me faire un petit ciné »

Elle (tellement enthousiaste que j’en perds le contrôle du sein gauche) : « Bonne idée ! Et si on allait voir l’Heure Zéro, c’est un film français qui reprend un bouquin d’Agatha Christie, ça a l’air bien »

Je ne sais pas si vous vous rappelez mais dans « Kill Bill » à chaque fois que la mariée se retrouve face à un des membres des Deadly Viper Assination Squad, l’écran devient rouge et une sirène qui fait : Wion ! Wion ! Wion ! se met en route et bien là c’était tout pareil dans ma tête :

Warning ! Tentative d’adaptation d’un auteur anglais par un cinéaste français ! Navet en vue ! Je répète navet en vue ! Evacuez le navire ! Les femmes et les critiques d’abord ! […/…]

 


Je ne veux pas tenter de justifier mes préjugés à l’égard des artistes français qui adaptent des auteurs anglais mais…bon d’accord. Mais j’ai des circonstances atténuantes !

J’ai vécu récemment une expérience traumatisante dans ce domaine. J’ai été voir à Paris « De l’importance d’être Constant » avec en tête d’affiche deux acteurs très connus (indice : l’un « joue »dans Taxi et ce n’est pas Samy Nacéri et l’autre a « joué » dans « L’américain » et possède un nom de famille qui fleure bon l’Outre Rhin en VO)

Et c’était tellement horrible que j’en ai encore des cauchemars dans lesquels le fantôme d’Oscar Wilde vient me voir et me dit : « Comment as-tu pu regarder une chose pareille, Stan ? »

Ils jouaient ça non pas avec flegme et distance, en enfilant les bons mots comme des perles sans avoir l’air de les remarquer, non ils jouaient ça comme ça du Feydeau, comme un bon gros vaudeville de nos campagnes en accentuant lourdement tous les effets comiques et en ayant l’air aussi britanniques que Roberto Benigni.

Seul le majordome et ses sandwichs aux concombres étaient dans le ton.

J’espère que vous comprenez mieux mes préjugés à l’égard de « L’Heure Zéro » et que vous les comprendrez davantage quand je vous dirai que pour moi, parvenir à adapter un texte anglais dans un film français et à plus forte raison une enquête policière où tant de choses reposent sur la crédibilité psychologique des personnages sans que tout cela ne sonne faux relève de la parfaite gageure.

Vous l’aurez compris, je m’apprêtais à subir placidement près de deux heures de torture cinématographique pour les yeux de ma belle.

 

Et bien j’avais tort !

Voilà c’est dit je ne sui qu’un vil brequin, bouffi de préjugés, prompt à juger sans avoir vu et jamais prêt à donner sa chance aux films français, obsédé que je suis par l’art anglo-saxon.

Vraiment, « L’heure zéro » est un très bonne surprise.

Pendant un instant j’ai eu peur parce que je trouvais les acteurs trop raides, trop figés, le texte ne coulant pas de source et puis au bout d’un moment j’ai arrêté de faire la traduction simultanée dans ma tête en anglais et ça allait beaucoup mieux. Ils étaient même très convaincants les bougres !

Mention spéciale à Laura Smet qui gère avec brio un personnage qui aurait pu vite perdre toute crédibilité et sombrer dans le grotesque.

Exemple de son talent : tout au début quand ils longent le court de tennis, son ami gigolo essaie de l’embrasser et elle le laisse faire puis soudain, elle le repousse d’un petit mouvement tête qu’on croirait vraiment naturel.

Ca c’est la grande classe.

Il y a aussi Danièle Darrieux qui nous rejoue un peu la vieille dame riche et surannée de « 8 femmes » mais on s’en fout parce qu’elle le fait bien.

Au final, tout le casting tient largement la route et parvient à franciser les personnages sans leur faire perdre leur identité. Cependant, le lien avec le nonsense anglais n’est pas perdu grâce au trio des domestiques dont la folie contrôlée crée une respiration absurde tellement britannique.

Longue Vie à la Reine !

Ce qui confirme au passage ma théorie développée lors de l’épisode des concombres (si vous ne suivez pas, retournez à la case départ sans toucher… (c’est combien en € maintenant ?)) :

Dans comédie française, le tempérament le plus proche de l’anglais lambda est celui du domestique français.

 

Et puis bien sûr, il y a le scénario sorti du cerveau machiavélique de cette bonne vieille Agatha avec la révélation finale, les faux indices, les faux coupables, les faux semblants, les faux plafonds… Bref largement de quoi occuper votre cerveau pendant toute la durée du film (si elle sait que je sais qu’elle a fait exprès de me donner cet indice alors la conclusion logique est…) et bien entendu, vous réalisez à la fin que vous vous êtes fait manipuler comme tout le monde ! Mais ici encore, c’est ça qui est bon avec Agatha la petite coquine (qui se permet d’ailleurs une blague d’écolier facétieux sur le thème de la deus ex machina)

Heureusement, la mise en scène emballe tout très proprement avec un jeu très intéressant sur les époques : on se croirait tantôt dans les années 20 et tantôt au XXIème siècle.

Et surtout, apparition inattendue qui ajoute un peu de profondeur : un kiosque à musique motorisé qui rode dans le film comme un chœur grec et dont les musiciens dégagent par leur seule présence un sens tragique à l’affaire.

 

Je le répète « L’Heure Zéro » fut une excellente surprise.

Un petit film bien ficelé, agréable, intelligent et…français !

Tout ce qu’il faut pour passer une bonne soirée en compagnie d’un solide et délicieux mystère.

Vive Agatha et vive les improbables chapeaux du commissaire !

 

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