Voici donc le sieur Ratzinger, alias Benoît Sixtine, pape apostolique romain de son état (de santé précaire) qui se prononce une fois de plus sur la crise européenne. La finance étique, c’est éthique. Bah, il n’y a pas à s’inquiéter : lors du tout récent solstice d’hiver, à Stonehenge, l’aube a mieux éclairé les mégalithes que les années précédentes, assurent les druides celtes et les fils d’Odin… Tout ira bien en 2012. Et les ondinistes, un avis sur la question ?

Ne pas confondre les odinistes, païens et fiers de l’être, et les ondinistes.
Pas du tout apparentés.

Les uns, comme les druides celtes, voient un bon présage lorsque le soleil s’aligne sur des pierres dressées, pour les autres, on ne sait pas trop si leurs jets de pipi plus droits ou plus courbes sont de bons ou mauvais auspices.

Les premiers rassemblent jusqu’à 40 000 personnes pour le solstice d’été à Stonehenge (vu le prix d’entrée, j’imagine qu’ils négocient des tarifs de groupe), mais guère plus d’un millier pour celui d’hiver.

Mais qu’importe le nombre des participants : s’il y a de la brume et qu’on ne voit pas le soleil, comme l’an dernier, c’est mauvais ; si le soleil est bien visible et que la fin des rites coïncide avec sa survenue à l’horizon, c’est du nougat pour un an. Mais attention à la virgule, l’an calendaire n’est pas l’an solaire, plus long de 0,2422 190 517 jour (soit près de six heures, mais cela se raccourcit de 0,53 seconde par siècle). C’est avec ce genre de décimales que, quelque part, un ordinateur achète du dollar contre de l’euro, du yen ou du yuan. Et les autres embrayent…

Là, à Stonehenge, c’était super. Les traders vont pouvoir s’en donner à cœur joie, prendre des risques, au moins pour un an…

Pas du tout, pas du tout, rétorque le tenant de l’Anno Domini Nostri Iesu Christi, soit l’An du Seigneur, qui siège au Vatican. Certes, l’horizon est ouvert pour entrer dans le monde de Dieu, rapporte l’Osservatore romano. Mais la « crise éthique s’étend sur le vieux continent », a relevé Sa Sainteté le Souverain Pontife Benedetto qui, ayant renoncé à son titre traditionnel de patriarche de l’Occident, voit les choses d’un peu plus haut, plus universel.

J’ai beau nourrir un petit faible pour les druides et une sympathie plutôt tiède pour le successeur des Borgia, je n’en considère pas moins que ce dernier n’a pas tout à fait tort. « Des valeurs comme la solidarité, l’attention au voisin, la responsabilité à l’endroit des pauvres et des souffrants ne sont pas discutables (…) mais la motivation est souvent trop faible chez des individus et de larges secteurs de la société pour (…) faire des sacrifices. ». N’y voyons pas une critique déguisée du patriarcat orthodoxe grec qui a fait filer en Suisse une partie de ses avoirs…

Turkson à Davos

Je doute que des druides se rendent à Davos, au Forum économique mondial, le 25 janvier. Mais Peter Kodwo Appiah Turkson, cardinal ghanéen, y sera, en compagnie de Mgr Diarmuid Martin, évêque irlandais. Son Éminence révérendissime Peter A. Turkson préside le Conseil pontifical Justice et Paix. Lequel, le 24 octobre dernier, avant que Nicolas Sarkozy reçoive le G20 à Cannes, avait prôné une réforme du système financier international « dans la perspective d’une autorité publique de compétence universelle… ». Rien que pour l’Europe, on ne sait trop ce qu’en pense le Dr Rowan Williams, archevêque (anglican) de Cantorbéry. Récemment, David Cameron, à l’occasion du quatre-centième anniversaire de la bible du roi Jacques, lui avait gentiment suggéré de ne pas trop se préoccuper de ce genre d’affaires, ou de le faire in pectore, dans le secret, par devers soi, et non point in partibus, en chaire, ou sur le parvis des Indignés d’Occupy London, à Saint-Paul.

Turkson et ses collégiens avaient chanté : « L’actuelle crise économique et financière a révélé des comportements égoïstes, marqués par la cupidité collective et l’accaparement des biens à grande échelle [et] la domination de l’utilitarisme et du matérialisme, de l’individualisme, et de l’idéologie technocratique. ».

Il plaidait pour la taxation des transactions financières. Sur ce front, les Néerlandais viennent de rejoindre les Britanniques, la « coalition des volontaires » (17 ou 26 ?) se fissure : au contraire, semblerait-il, pour favoriser la relance, les États devraient sans doute accorder des bonus sur les transactions financières (non, les Bataves n’ont pas osé aller jusque là).

Était aussi préconisé la séparation des activités bancaires de dépôt et d’investissement, dont, sauf erreur, mais j’ai cherché, le projet présidentiel de la très chrétienne Marine Le Pen ne dit mot (on lit bien : « L’allocation privilégiée de l’épargne des Français à la dette publique sera encouragée par des mesures fiscales et réglementaires et la Banque de France prendra des mesures similaires en direction des banques et des assurances. » ; voui, mais quelles mesures au juste ?).

Mais que nous disent donc les très catholiques Français de France catholique ? « La crise financière internationale a été provoquée par les responsables du tout-Etat qui ont remplacé la subsidiarité par la centralisation du pouvoir et le bien commun par la licence – en fait le droit – d’agir de manière irresponsable. Les maux du système ne seront pas résolus par la création d’un super gouvernement, global cette fois, susceptible de commettre des erreurs plus importantes et plus coûteuses, assuré par des bureaucrates qui prennent la liberté pour le droit d’imposer leurs propres valeurs. Le cardinal Turkson et ses collaborateurs auraient été bien avisés de relire des auteurs catholiques versés dans la subsidiarité et le bien commun tels que Jacques Maritain, Michael Novak, et bien sûr G.K. Chesterton. ». Et Marine Le Pen ? Voire certains druides (pas trop portés sur l’interventionnisme étatique) ?

Du coup, la Curie avait embrayé : le document de Justice et Paix « est en contradiction flagrante avec l’encyclique Caritas in veritate de Benoît XVI. ». Ce qui se discute autant que le sexe des anges.

Finalement, les druides…

D’une certaine manière, la finance, qui se repose sur des formules mathématiques et des flopées d’ordinateurs toujours plus puissants, pourrait tout aussi bien aller couper du gui et surveiller le vol des corbeaux et corneilles pour s’orienter. Car on en est un peu là : on consent des sacrifices, sous forme de prêts bancaires à taux très réduits (0,1 %), on abonde le FMI, pour prêter aux banques. C’est beaucoup plus coûteux, finalement, que de leur sacrifier quelques poulets, cochons, ou moutons.

Remarquez, on fait mieux : on leur offre le financement de Jeux olympiques. De coupes et de championnats internationaux. On les associe à des plans de partenariats public-privé…

Alain Juppé a dû entendre et les druides et le pape romain : le voilà qui donne le baiser de paix à David Cameron. Il n’est nullement question d’expulser le Royaume-Uni de l’Union européenne, comme l’avaient déjà fortement rappelé la chancelière Merkel et son ministre des Affaires étrangères.

C’est sans doute une bénéfique retombée du lever du soleil sur Stonehenge.

Mauvais signe pourtant : en Grèce, on s’en prend indirectement aux familles des défunts, car les corbillards vont devoir s’acquitter d’une taxe routière six fois plus coûteuse, protestent les sociétés de pompes funèbres. Et rien sur les services religieux ?

On se demande parfois si taxer la mort retarde ou non l’enterrement de l’euro. Allez, vite un nouveau conclave de chefs d’États, en espérant qu’ils auront cette fois pris la peine de consulter quelques oracles autres que les agences de notation…

À chacun ses druides. Pour une fois, je vais faire semblant de croire ceux de Stonehenge. Enfin, au moins jusqu’au coucher du soleil, ce soir, et le premier coup de chouchen… Très bonne journée à toutes et tous…