Nicolas Sarkozy avait différé légèrement ses vœux à la presse, histoire, pensait-on d’affiner quelques mesures et les éléments de langage associés. En fait, si son discours n’a pas été tout à fait convenu, il n’a pas permis d’approfondir divers aspects des bénéfices (ou inconvénients) attendus des réformes annoncées, ni de rectifier les contre-vérités énoncées lors de son dernier discours télévisé…

Le Parisien a titré « Sarkozy à la presse : “je me suis beaucoup trompé par le passé” ». Il aura surtout trompé tant la presse que les électeurs, dès sa campagne de 2007. Notamment, aussi, la presse régionale, car il avait beaucoup promis localement, et il a très peu tenu.
On ne saura pas en quoi le président-candidat estime s’être trompé, mais on sait ce sur quoi il a trompé, et continue de leurrer (voir, pour le plus récent, « Sarkozy : un sens instantané du ridicule authentique »). N’y revenons plus.
Mais quelques banalités et originalités de son allocution valent pourtant d’être relevées.
Nicolas Sarkozy a les qualités de ses défauts, et inversement, ce qui donne cette phrase sibylline : « Il vaut mieux le défaut de ses excès que l’excès inverse. ». Soit un excédent de défauts ? On croyait que cela valait pour lui-même.
Non, c’était une critique lénifiante, la presse étant accusée d’abus somme toute véniels : « un monde où la presse ne se tromperait pas, où finalement on s’ennuierait. ».
Il y a l’ennui, et le nuisible. Il fallait comprendre qu’une presse ne rendant compte que des trains entrant en gare à l’heure serait mortellement barbante, à l’excès.
Confusion
Il faudrait que les professionnels de la presse laissent « à la sphère de l’auto-information la pulsion de l’information immédiate ». « Gardez l’information crédible, » a-t-il exhorté. Justement, peut-être que la presse gagnerait à ne reprendre tels quels certains propos, immédiatement, et qu’elle puisse les mettre rapidement en lumière. Ainsi de ce rappel de la mort de Gilles Jacquier en Syrie. « Nous exigerons des autorités syriennes la vérité sur cet assassinat, » reprend immédiatement toute la presse, sans commentaire. D’une part, il s’agit d’un acte de guerre, d’autre part, c’est de toutes les parties qu’il faut exiger la vérité. Sans évidemment, trop croire aux diverses versions. Pour le moment, deux, voire trois thèses se contredisent : bavure ou acte délibéré de « révolutionnaires » contre guet-apens du pouvoir syrien. Sans que rien ne puisse vraiment étayer l’une ou l’autre avec ne serait-ce qu’une demi-certitude.
Il est fort possible que le citoyen en revienne « à une forme d’information plus explicative, plus pédagogique. ». L’offre existe, notamment via les blogues des journalistes professionnels qui, affranchis du papier et de ses contraintes, complémentent et prolongent leurs articles imprimés.
L’herbe plus verte
Avec lucidité, en tout cas à l’égard de certains medias, Nicolas Sarkozy a décelé une volonté de changement. « Je vois bien vos tentatives de me remplacer, ou d’essayer autre chose… ». Soit d’aller voir un ailleurs où « l’herbe est toujours plus verte ». Cela s’adressait sans doute aux journalistes-citoyens car, professionnellement, plus l’herbe est envahie de parasites, moins elle est « normale », avouons-le, mieux elle fournit de quoi faire noircir de l’encre, d’Internet ou de rotative. De ce point de vue, avec le Woerthgate et d’autres affaires, le quinquennat aura été loin d’être décevant.
Pourvu que cela dure ? Non point, pourtant. S’il était remercié, Nicolas Sarkozy a laissé entendre qu’on n’entendrait plus parler de lui. Sa relève est largement assurée… non pas que par le seul Copé. Quant à son souhait d’« une année 2012 où on ne s’ennuie pas », il sera sans doute, avec ou sans lui, largement exhaussé.
Mais ce qui n’a guère changé, et ne changera sans doute pas jusqu’au soir du premier tour du scrutin présidentiel, c’est la volonté de Nicolas Sarkozy de soigner son image. Photos, prise de son, étaient prohibées, seule la chaîne parlementaire LCP avait le droit de filmer.
L’intégrale vaut d’être visionnée. C’était effectivement un « je t’aime, moi non plus », comme l’a résumé François Vignal. Admettons-le, il n’a guère manqué d’humour, ne serait-ce qu’en évoquant ses incessants déplacements : « vos familles doivent souffrir parfois. Mais à la différence de moi, on n’en parle pas… ». Il aurait dû avoir aussi un mot sur les CRS, les gendarmes mobiles, et leurs familles…
Moutonniers
Dénoncer le comportement moutonnier d’une presse ayant, pour partie, conforté son élection, avait, chez lui, quelque chose de paradoxal. Ayant admis, par conviction, « et non en encouragement », car point trop n’en faut, que les critiques de la presse étaient nécessaires, et même indispensables, il a conclu que « nous avons besoin de nouvelles idées (…) de nouveaux concepts. ». D’un nouveau Karl Marx, peut-être ?
Sans sourire, il a estimé que ce serait « la plus importante campagne présidentielle » depuis fort longtemps en fonction de l’influence du « monde extérieur ». De par sa présence aussi, fallait-il lire sur ses lèvres.
« Chacun devient un media à part entière. Je décèle pour vous la difficulté (…) vous n’avez plus le monopole de l’information et même plus le monopole des médias. ». « Tout le monde va à l’endroit où il y a du bruit (…) cela redonne, passé l’enivrement de la quantité d’information, l’envie d’une information plus explicative, plus pédagogique. ». Le gouvernement a mis 580 millions d’euros supplémentaires pour la presse écrite, et il continuera de se préoccuper de l’avenir économique de la presse. Dont acte. La presse plus explicative, plus pédagogique, sera-t-elle privilégiée ou l’aide ira-t-elle aux plus gros tirages ?
Il sortirait en France autant de livres hostiles au président de la République que de premiers romans, ce qui « témoigne de la vitalité de la profession, » a-t-il plaisanté (on l’espère, car les chiffres risquent fort de le contredire).
Quittant la tribune, il y est remonté pour annoncer que les Rafale seront achetés par l’Inde. « Cela fait 30 ans qu’on attendait ce jour (…) c’est un signal de confiance pour toute l’économie française ». Ce sera sans doute l’un des premiers contrats d’armements peu alourdi par le poids des commissions, voire des rétrocommissions ? Espérons que d’autres contrats, civils, suivront…
Les réformes à venir seront promulguées
Bernard Accoyer, président de l’Assemblée nationale, avait présenté aussi ses vœux à la presse, en particulier aux journalistes parlementaires, soit en partie aux mêmes (le 11 janvier). C’était fort moins drôle. Mais Accoyer aura fait au moins la preuve qu’il est digne de la préfectorale. « Qui peut conduire la France et protéger les Français ? Qui est le plus à même de rassembler ? » a-t-il lancé sans citer de nom. En réponse à une question de la salle, il a estimé que les textes à venir pourront être votés et promulgués : « cet objectif est à portée de main ». Ce fut sa seule affirmation directe. Car il a « quelque peu » (litote) botté en touche en réponse à une question du devenir de l’actuelle majorité.
La presse française n’a guère changé : la question n’a été ni répétée, ni reformulée. Même noyade de poisson à propos de la TVA sociale. Est-il personnellement pour ou contre ? On aura compris que le sujet était légitime et qu’il fallait ouvrir le débat. Mais est-il oui ou non pour cette taxe, à ce taux ? Allez savoir…
Anita Hausser (Atlantico) ensuite a tenté de faire préciser si la taxe allait surtout servir à freiner les délocalisations ou conforter la protection sociale. On a cru comprendre que le premier objectif sera privilégié, le second n’ayant même pas été évoqué en réponse. Hop, autre question, sur les signatures de Marine Le Pen. Là, « ce serait un problème majeur si un mouvement politique représentant une part trop significative de l’opinion politique ne soit pas représenté. ». Mais que convient-il de faire ? On ne saura pas trop.
On passera « dans les salons adjacents » sans avoir eu de réponses précises à la plupart des diverses questions. Cela m’a rappelé mes bâillements lors des comices agricoles… Tout à coup, j’ai été pris d’une soudaine sympathie envers Nicolas Sarkozy qui souhaite une presse plus critique, plus pugnace. Et c’était finalement bénéfique pour tous qu’il n’ait pas souhaité qu’on lui pose des questions à l’issue de ses vœux. On aurait peut-être risqué d’être déçus s’il s’était soudain livré, avec son style inimitable, au numéro d’esquive d’un Accoyer.
Au fait, amusant, le titre du Canard enchaîné : « La facture salée de la tournée de vœux du président candidat ». Tous ces efforts pour n’avoir plus, aux yeux de Fillon, « plus que 20 % de chances de l’emporter », et se retrouver, alors que des Rafale sont enfin vendus, « sur un siège éjectable… ». Qu’on se rassure, pour la presse, le buffet, salé ou sucré, n’a pas été particulièrement somptueux. Ce sont plutôt les vœux délocalisés du candidat président qui ont alourdi copieusement la note. Au moment où sort le livre de René Dosière (voir par ailleurs notre article), intitulé L’Argent de l’État, se montrer si dispendieux n’était pas forcément indiqué. On appréciera en tout cas les propos que le volatile prête à Sarkozy : « j’espère être réélu… triomph’ allemand… ».