Ce mardi 4 septembre, la Cour européenne des droits de l’Homme à Strasbourg devrait entendre les arguments de quatre chrétiens britanniques victimes de discrimination au travail, deux en raison du port d’insignes chrétiens, deux autres pour s’être refusés à traiter de cas (mariage civil, vie conjugale homosexuelle) en raison de leurs convictions chrétiennes. L’ancien archevêque de Canterbury,  George Carey, invoque la liberté de conscience et reproche au gouvernement britannique de renier sa promesse de laisser les chrétiens exprimer librement leur foi.

Lord Carey, devenu baron et pair d’Angleterre après avoir pris sa retraite d’archevêque anglican en 2002, est un personnage controversé : progressiste sur l’ordination des femmes, et autant que le défunt cardinal milanais catholique Carlo Maria Martini quant aux couples divorcés et remariés, il s’est fortement opposé aux relations homosexuelles.
Il vient de prendre globalement position sur quatre cas soumis à l’examen de la Cour européenne des droits de l’Homme. Le premier est celui de Shirley Chapin, infirmière des hôpitaux publics, qui s’est estimée obligée de prendre sa retraite après 30 ans de service parce qu’on lui reprochait de porter un crucifix en pendentif au-dessus de son col d’uniforme. Le second est celui d’une hôtesse de comptoir de British Airways, Nadine « Nadia » Eweida, qui avait refusé soit de dissimuler un tel pendentif, soit d’accepter un poste sans contact avec le public. Tony Blair, alors Premier ministre, catholique lui-même, avait appuyé cette employée et la compagnie BA avait assoupli ses règles, mais Mrs Eweida avait porté son affaire devant les tribunaux britanniques en vain car elle fut déboutée en appel, la Cour suprême refusant de casser ou valider l’arrêt.

Les deux autres cas se rapportent à une employée municipale de l’état-civil, Lilian Ladele, qui refusait d’assister à des cérémonies de validation de vie commune civile (l’équivalent du pacs), en particulier lorsqu’il s’agissait de couples du même genre, et à un conseiller conjugal, lui aussi chrétien. Gary McFarlane, de l’association Relate, avait tout simplement estimé qu’il était mal placé pour conseiller des gays ou des homosexuelles, et indiqué que d’autres collègues pouvaient se charger de les recevoir. 

Ces affaires divisent le Royaume-Uni et l’ancien évêque de Rochester a fait valoir que le gouvernement appliquait un système de deux poids, deux mesures, en assouplissant par ailleurs les règles de port d’insignes distinctifs religieux, notamment le turban sikh, le foulard islamique, ou les extensions de nattes tressées à l’africaine.

Par ailleurs, le Premier ministre actuel, David Cameron, avait plus ou moins clairement laissé entendre qu’il souhaitait que des symboles religieux puissent être plus libéralement affichés. Le gouvernement britannique fera soutenir par ses avocats que les divers jugements ayant débouté les plaignants restent valides, la ministre pour l’Égalité, Lynne Featherstone, ayant dicté la ligne de défense gouvernementale.

Leurs arguments seront que tout employé désireux de proclamer sa foi est libre de se trouver un travail le lui permettant hors des sociétés ou institutions ne le tolérant pas, que l’affirmation d’une foi chrétienne n’oblige pas à manifester une opposition à l’homosexualité, et que l’appartenance à une église chrétienne n’oblige pas les fidèles à faire montre de signes distinctifs apparents. 

Coïncidence, l’audience de Strasbourg s’ouvrira au lendemain d’affrontements violents à Belfast entre des groupes de loyalistes (majoritairement anglicans) et de républicains (majoritairement catholiques) qui ont provoqué des blessures à 26 policiers et à un nombre indéterminé de manifestants et contre-manifestants. Les heurts se sont poursuivis dans la nuit de dimanche à hier, lundi.

Diverses autorités ecclésiastiques chrétiennes dénoncent de plus en plus fréquemment « le sécularisme agressif » (selon les termes du rvd Michael Nazir Ali, ancien évêque anglican de Rochester)  qui caractériserait, selon elles, nombre de sociétés d’Europe occidentale. Elle dénoncent aussi le fait que leur opposition à l’endroit de l’homosexualité affichée ne justifie pas qu’elle soit considérée telle la marque d’une homophobie ou d’une propagande homophobe. Cette opposition relevant de la liberté d’expression.

 

L’arrêt de la Cour européenne ne sera sans doute pas rendu avant plusieurs semaines. Il pourrait influer – ou non – sur les législations de divers pays adhérant au Conseil de l’Europe (la Russie, mise sur le devant de la scène avec l’affaire de la condamnation du groupe Pussy Riot, étant adhérente depuis 1996). Pratiquement seule en Europe, la Biélorussie n’a pas rejoint le Conseil.

 

En 2011, la CEDH a eu à traiter de cinq cas relatifs à la liberté de penser, de conscience et de religion (un chacun en Turquie, Arménie, Bulgarie, Grèce et France), de 32 se rapportant à la liberté d’expression, et de sept portant sur diverses discriminations (source : La CEDH en faits et chiffres 2011).

 

La loi française d’interdiction du voile islamique intégral dans l’espace public (circulaire d’application d’avril 2011) a été critiquée par le Conseil de l’Europe. L’Assemblée parlementaire du Conseil s’était exprimée en juin 2010, admettant toutefois que des restrictions légales puissent être justifiées « pour des raisons de sécurité ou lorsque les fonctions publiques ou professionnelles d’une personne lui imposent de faire preuve de neutralité religieuse, ou de montrer son visage ». Dans le même temps, l’APCE invitait la Suisse à abroger son interdiction de construction de minarets, considérée discriminatoire.

 

En juillet dernier, Nils Muiznieks, commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil, avait demandé aux gouvernements de « renoncer aux lois et mesures visant spécialement les musulmans ». L’Assemblée avait adopté un projet de résolution invitant les gouvernements à « imposer des sanctions efficaces, proportionnelles et dissuasives en cas de discrimination dans l’accès à l’emploi et sur le lieu de travail » du fait de motifs d’ordre religieux (rapport du 11 juin 2012 de la commission sur l’Égalité et la non-discrimination). La rapporteuse souhaitait que soit introduite la notion de « discriminations multiples » en tant que « notion juridique » pouvant être inscrite dans les législations nationales.

 

Athina Kyriakidou (Chypre) relevait notamment un élément du rapport Soros (des Open Society Foundations, de déc. 2009) visant la Grande-Bretagne où une infirmière musulmane s’était vue interdire par les patients l’accès à leurs chambres. Elle invitait les cliniques et hôpitaux à mieux prendre en compte « les différentes coutumes religieuses ».

Divers députés ou sénateurs français, de l’UMP, du Nouveau Centre, du MoDem et le sénateur socialiste Jean-Claude Frécon ont voté, à Strasbourg, pour cette résolution, adoptée à l’unanimité.

 

Bien évidemment, ce qui vaut pour un groupe religieux doit valoir pour un autre, monothéiste ou non, mais aussi, à l’inverse, pour les groupes areligieux ou opposés à toute forme d’expression publique d’une conviction religieuse. Et même pour les tenants des doctrines lucifériennes, satanistes, &c.

On ne sait pas si le christianisme, le judaïsme et l’islam auront à gagner ou à perdre d’une décision favorisant le port ostentatoire de signes religieux distinctifs. Mais les divers médaillers, qui fabriquent indifféremment des breloques sous diverses formes (croix diverses, croissants, pentagrammes lucifériens, marteau de Thor, insignes maçonniques, &c.), ne pourraient que l’applaudir. Après tout, au cou d’un Sicilien, la très païenne Méduse au triskel ( « trois jambes », en grec) de la trinacria cohabite fort bien avec une petite croix. Le coup serait en revanche rude pour les avocats des diverses confessions qui défendent le droit de fidèles à se manifester ainsi.