Indignés par la suppression en cours de plusieurs milliers d’emplois chez Carrefour, tant au siège que dans les magasins, les salariés et les syndicats s’inquiètent de la nouvelle casse sociale qui accompagnerait un éventuel rapprochement entre Carrefour et Casino…

Plus de 5 000 emplois selon la CFDT, environ 7 000 selon le magazine spécialisé Linéaires, près de 10 000 selon la CGT : telles sont aujourd’hui les principales évaluations qui circulent sur la facture sociale finale du « plan de transformation » lancé par Carrefour en début d’année 2018.

Aux 2 400 emplois supprimés au siège (sur un total de 10 500, soit près de 23 % des effectifs), s’ajoutent déjà les quelques 2 000 salariés des ex-magasins Dia, laissés sur le carreau après la fermeture de 244 points de vente l’été dernier. Une mesure particulièrement mal vécue par les personnes concernées qui avaient participé depuis quatre ans à la transformation de leurs magasins Dia en Carrefour Contact, Express, Marché ou autre Proxi.

Près de 250 magasins liquidés

« Carrefour liquide sans état d’âme les magasins ex-Dia : combien de salariés bradés et sacrifiés ? », s’indigne la Fédération Commerce Services de la CGT. Selon le syndicat, « Carrefour a racheté en 2014 les magasins Dia pour éviter, notamment, qu’ils partent à la concurrence. Comment croire qu’ils allaient tout faire pour céder ces magasins à des enseignes concurrentes en 2018 ? Compte tenu des propositions a minima de la direction pour reclasser les salariés, tout porte à croire qu’ils veulent en réalité se débarrasser d’un maximum d’entre eux ».

Les promesses de la direction, de reclasser au sein du groupe au moins la moitié des 2 100 collaborateurs concernés, ne seront en effet pas tenues. « On atteindra 300 reclassements au mieux. C’est de la casse sociale », affirme la CFDT. Force ouvrière dénonce de son côté « des propositions de reclassement indignes », « sans aucune prise en compte des statuts, des qualifications, des métiers, des situations familiales et même des préconisations de la médecine du travail ». « Des propositions dévoyées qui sont faites pour être refusées ».

« Il y a de fortes disparités de qualification et des baisses de salaire allant jusqu’à 500 euros sur un salaire brut de 2 100 euros », estime Bruno Biguet, délégué syndical FO Carrefour Proximité France. « Des chefs de magasin ont reçu des offres d’employé de boucherie ou de boulangerie. Ils l’ont vécu comme une humiliation de plus », rapporte Frédéric Roux, délégué CGT des magasins de proximité. Sur les 854 salariés agents de maîtrise des ex-magasins Dia, plus de 90 % ne se sont vu proposer que des postes d’employé, selon le collectif CGT Carrefour. « Stupeur », « incompréhension », « colère », « indignation », « humiliation », tels sont, selon les mots des syndicats, les sentiments ressentis par les salariés concernés devant ce qu’ils considèrent comme un total « mépris » de la part de la direction de Carrefour.

Plusieurs milliers d’emplois supprimés

Mais la purge ne s’arrêtera pas aux salariés des ex-magasins Dia. Le plan de réorganisation de la direction prévoit aussi, entre autres, un plan de « simplification et centralisation » des tâches administratives dans les hypermarchés, ainsi que la disparition de postes de caisse en stations-service. Deux mesures qui devraient déboucher sur la suppression de quelque 500 postes de plus.

Et ce n’est pas fini ! La mise en service d’une plate-forme de préparation de commandes en Ile-de-France va également conduire à alléger les effectifs des « drives » : pour les 20 premiers sites concernés, cette nouvelle organisation devrait ainsi entraîner, selon Linéaires, la suppression de 200 emplois supplémentaires. Une triste addition à laquelle s’ajouteront encore les disparitions d’emplois qui accompagneront nécessairement, selon FO, le plan de réduction de surfaces dans les hypermarchés, mais aussi le transfert en 2018 d’une trentaine de magasins Carrefour Market en location-gérance.

« A terme, un tel plan va concerner plus de 5 000 postes », estime Sylvain Macé, délégué syndical CFDT de Carrefour Groupe. Linéaires chiffre de son côté le bilan total de cette casse sociale à 7 000 emplois supprimés, soit 6 % des effectifs du groupe en France… Tandis que la CGT évalue l’ampleur finale de ce vaste plan de restructuration à 10 000 emplois détruits.

Carrefour-Casino : la fusion serait catastrophique pour l’emploi

Dans ce contexte, on peut comprendre l’inquiétude qui a saisi les salariés et leurs réprésentants à l’évocation, fin septembre, d’une tentative de rapprochement avortée entre Carrefour et Casino, ou d’une possibilité d’offre de rachat « hostile » du premier sur le second. Les « réductions de coûts » et les « synergies » attendues par les marchés financiers d’une telle fusion se traduiraient à nouveau immanquablement par des milliers de suppressions d’emplois dans les sièges et les fonctions supports… mais aussi dans les magasins.

En effet, compte tenu de la position des deux groupes sur le marché français (33 % de part de marché cumulée dans la distribution alimentaire et même plus de 70 % sur le segment de la proximité à Paris et en région parisienne), l’Autorité de la concurrence imposerait au nouveau « méga-groupe » des cessions massives de magasins dans de nombreuses zones de chalandise.

Et il y a fort à parier que ces « cessions », comme pour les ex-magasins Dia, se transformeraient pour la plupart en fermetures pures et simples, Carrefour préférant éviter que des points de vente bien implantés, notamment dans les centres villes, ne tombent dans l’escarcelle d’un concurrent.

Le bilan social d’un regroupement entre Carrefour et Casino serait donc assurément très lourd. Sans compter que toutes ces fermetures de magasins de proximité pénalisent à chaque fois les populations les plus fragiles et les plus isolées, notamment les personnes âgées, les personnes à mobilité réduite et celles qui ne sont pas véhiculées, comme le souligne la Fédération Commerce Services de la CGT. Elles contribuent donc aussi à la destruction des liens sociaux dans les quartiers et dans les villages.