D’abord distant, discret et bafouillant face à la crise égyptienne, le pouvoir américain continu toujours à hésiter et à se faire prendre de vitesse par les évènements. Car lâcher Moubarak semble être un Rubicon trop lourd de conséquence. Avec à terme le risque de voir émerger un régime qui accentuerait un peu plus un affaiblissement américain déjà patent au regard de ses nombreuses hésitations actuelles.

Aujourd’hui, mardi, l’opposition égyptienne a appelé à un grand rassemblement populaire allant d’Alexandrie au Caire. Le chiffre d’un million de manifestants étant espéré, pour totalement pouvoir s’imposer comme une force apte a définitivement renverser le régime. L’armée a promis de ne pas intervenir. Dès lors de l’importance du rassemblement dépendra l’avenir du régime. Face à cette éventualité c’est toute la région qui retient son souffle, l’Egypte étant le pays pivot du Moyen-Orient.

La réaction d’Israël est, plus particulièrement, étonnante. Au delà des amalgames grossiers entre révolution iranienne de 1979 et ce qui se passe aujourd’hui en Egypte, on assiste à une attitude étonnante de la part de l’Etat juif sur la question. En effet choisissant délibérément le silence, Israël fait par ce choix montre de sa compréhension du problème, mais aussi de ses craintes. De sa compréhension d’abord puisque les dirigeants israéliens ont compris qu’à trop soutenir telle ou telle option de politique intérieure égyptienne ils pouvaient en arriver à aller contre leurs intérêts géopolitiques.

Sur la question l’Etat hébreux se contente de rappeler vouloir assurer la stabilité et la sécurité politiques de la région, avec à l’horizon, la crainte de voir les palestiniens de Cisjordanie céder à cette envie de protestation et se mettre, à leur tour, à manifester contre l’occupation israélienne.

Autre griefs des rares paroles israéliennes sur la question, celui, plus discret dans sa formulation, portant contre les erreurs de l’administration Obama.

Une administration souvent prise de court

Et de fait force est de constater que sur la question Washington a souvent été débordé par la rue égyptienne. Parler d’une administration prise de court, tout comme la diplomatie française pu l’être sur le cas tunisien, n’est pas exagérée. A chaque fois le même problème : celui d’un régime perçu comme solide de l’extérieur et pour lequel on n’a qu’incorrectement imaginé le niveau d’impopularité qu’il avait engendré à l’intérieur de ses frontières.

La presse américaine, plus spécifiquement, n’a pas manqué de critiquer la lenteur de réaction de Obama ainsi que d’Hillary Clinton, secrétaire d’Etat. Cette dernière s’est même vue rayer par une partie de la presse pour ses propos vantant, au début des évènements, la stabilité d’un régime égyptien, allié des Etats-Unis depuis trente ans.

Plus grave, et symbole des contradictions qui pèsent sur les Etats-Unis, les propos récents d’Hillary Clinton, appelant à une « transition ordonnée » ont effrayé la Jordanie et l’Arabie Saoudite, autres alliés dans la région. Alors même que ces propos sont très modérés au regard des intentions portées par certains journaux américains, comme le Washington Post, qui samedi estimait que « les Etats-Unis (devaient) rompre avec Moubarak. »

Des hésitations qui illustrent un affaiblissement américain

En se montrant ainsi chahutés entre ce que leur dictent leurs grands principes idéologiques et leurs intérêts géopolitiques les Etats-Unis font état d’une faiblesse qui tout à la fois exprime un affaiblissement réel, bien que relatif, et une irrationalité dans tout ce qui est reproché et attendu de la part de la première puissance mondiale.

Car il est irréaliste de croire que les Etats-Unis peuvent tant que ça influencer le cours de l’histoire égyptienne. L’histoire des 1,3 milliards de dollars versés annuellement à l’Egypte l’illustre. Car, certes, cette somme représentait 20% du PIB égyptien en 1980, mais elle ne concerne plus qu’un pourcent du PIB actuel du pays.

Avec cet exemple s’incarne, incontestablement, le principe d’un affaiblissement relatif des Etats-Unis dans la région. Bien qu’ils restent la puissance étrangère dominante, les Etats-Unis expérimentent, ici, le dilemme que leur domination a fini par devenir. Car accusés de trop dominer, et détestés pour cela d’un coté, les Etats-Unis se voient, en retours, accusés de ne plus rien contrôler et de tout laisser faire, lorsque les évènements se précipitent.

Et puis prendre parti pour un régime démocratique n’est-ce pas un saut dans le vide qui risquerait d’un peu plus précipiter leur perte d’influence dans la région, un régime démocratique étant plus difficilement contrôlable de l’extérieur ? Les américains qui avaient pu engager la guerre d’Irak au prétexte qu’il fallait démocratiser la région, pour faire reculer l’antiaméricanisme et donc le terrorisme, se trouve ici face aux contradictions de leurs modes de pensée. Car démocratiser l’Egypte n’est-ce pas aussi laisser s’avancer les partis islamiques vers le pouvoir ?

Mais la crise égyptienne fait aussi intervenir un autre acteur pouvant expliquer cet affaiblissement relatif : les réseaux sociaux, comme force de mobilisation, d’information et de rassemblement. Innovation en partie due à la domination économique, culturelle et technologique des Etats-Unis. De même tous les experts s’accordent à dire que Wikileaks a pu, par ses révélations, contribuer à rendre de plus en plus difficile toute anticipation possible des évènements par les chancelleries du monde, qu’elles soient américaine ou autres.