Les ratées inéluctables de la diplomatie européenne sur les dossiers tunisiens et égyptiens

 

Près d’une semaine fut nécessaire à l’Europe pour adopter un point de vue tout à la fois mou, inaudible et inopérant sur la question égyptienne. Loin de n’être qu’un énième épisode des lenteurs institutionnelles du vieux continent, ce cas illustre, en réalité tout un ensemble d’erreurs faites dans la lecture des réalités arabes.

Alors que la diplomatie américaine, malgré ses hésitations et lâchetés,  semble agissante et réactive depuis les premières heures de la révolution égyptienne, force est de constater que l’Europe, elle, ne peut en dire autant.

Longtemps silencieuse et anesthésiée, la diplomatie du vieux continent ; tâchant encore de se remettre du cas tunisien, est incontestablement passée à coté de son sujet une fois de plus. D’autres grandes puissances diplomatiques n’ont, elle aussi, pas forcément fait montre de la plus explicite des réactivités, mais elles n’avaient pas le degré de proximité culturelle, historique et géographique que l’Europe peut avoir avec l’Afrique du nord.

Une première explication, un peu facile, répétitive et incomplète, consiste, une fois encore, à incriminer les institutions européennes qui se fondent, encore, sur un fonctionnement de concertation, d’unanimisme et de discussions entre Etats. Procédure de prise de décisions forcément lente.

L’excuse, pertinente avant le traité de Lisbonne, ne marche pourtant qu’à minima de ses responsabilités possibles dans le cas présent. Car malgré la mise en place d’un président « stable » du Conseil européen et celle d’un haut représentant à la politique étrangère, force est de constater qu’en matière de politique internationale c’est encore le peloton des grands Etats qui donnent le « la » en Europe.

D’ailleurs la déclaration commune des 27 chefs d’Etats et de gouvernement adoptée lors du Conseil européen du 4 février n’a réellement fait parler d’elle qu’au prétexte d’avoir réussit à incarner une position commune propre à Angela Merkel, Nicolas Sarkozy, David Cameron, Sylvio Berlusconi et José Luis Zapatero.

Si l’explication institutionnelle est incomplète c’est bien qu’en réalité un tel retard dans ses réponses, de la part de la diplomatie européenne, est bien le fait d’une incompréhension abyssale de l’ensemble des enjeux en présence.  Car c’est bien pour se fourvoyer dans des politiques arabes de courte vue et de petite ambition que l’Europe n’a cessé, ces dix dernières années, de voir grandir l’incompréhension entre elle et les voisins de son pourtour méditerranéen.

A titre d’exemple ont citera  les deux pans de la politique méditerranéenne qu’ont été le processus de Barcelone et l’Union pour la Méditerrané (U.P.M). Cette dernière étant censée poursuivre les ambitions du processus de Barcelone, malheureusement sans en effacé les défauts ni en reprendre les bonnes intuitions. L’idée de conditionner la coopération économique avec le respect des libertés fondamentales, contenue dans les accords de Barcelone, n’a, par exemple, jamais trouvé à s’appliquer. L’U.P.M. ne la même pas remarqué.

Mais plus intrinsèquement si ces deux projets ont échoué, avec l’ensemble de la politique arabe de l’Europe, c’est en réponse à une mauvaise lecture du problème. Depuis trop longtemps l’Europe regarde vers le sud avec pour grille de lecture un triptyque trompeur : stabilité-sécurité-développement. Dans cette optique l’absence de secousses politiques à l’intérieur de ces pays impliquerait une stabilité politique gage de sécurité, puis de développement. Tout le monde en sortirait gagnant, les arabes, tout d’abord, mais surtout les européens hantés par le flux migratoire qui se presse sur ses cotes méridionales. Cette inclinaison a été incontestablement renforcée par les attentats du 11 septembre 2001, à compter desquels la réalité arabo-musulmane n’a plus cessé d’être lue qu’au prisme de la menace islamiste. Qu’un régime puisse en éviter l’incarnation et il serait soutenu, au prétexte de ce fameux souci de stabilité.

L’erreur fut catastrophique car elle poussa la diplomatie européenne dans deux directions fausses. Tout d’abord l’impossibilité de voir dans l’islamisme autre chose qu’un retour au religieux. Qu’il puisse cristalliser des tentatives de réponses à d’autres problèmes frappant les sociétés arabes n’a jamais été une hypothèse sérieuse. Car, deuxième erreur des européens, ils n’ont pas vu que l’islamisme n’était qu’un problème parmi d’autres frappant ces sociétés. Ces dernières sont aussi déchirées par l’incurie des Etats, l’inégalité des richesses, la corruption, le retard économique ; mais d’abord et surtout par la pauvreté. On pourrait presque dire que c’est la somme de tous ces problèmes qui a conditionné l’émergence d’un islamisme politique.

Pour l’Europe il fallait refuser cette réalité pour mieux se concentrer sur ce qu’incarnait le monde arabe en termes d’obession sécuritaire (le problème islamiste), en termes d’obsession identitaire (le problème de l’immigration) et en termes d’obsession économique (la question énergétique).

Pour les pays ayant un « passif » colonial, autre abord de l’obsession identitaire, a pu jouer la peur du néocolonialisme ou de la non-ingérence.  C’est pourquoi parler d’échec européen, en réponse à un échec des politiques arabes, implique de voir différents degrés de responsabilités entre les pays européens. Au premier rang d’entre eux, il est incontestable que la France a une vraie part de responsabilité. Peut-on demander à la Finlande ou à l’Estonie, par exemple,  une égale implication, un égal souci et donc une même responsabilité sur ces questions ? L’argument de la plus grande proximité ayant même été invoqué, par la France, dans le projet initial de l’U.P.M., qui pensait courir jusqu’aux portes du Sahel.

Face à toutes ces lacunes il y a donc urgence à repenser notre perception des enjeux méditerranéens. La Tunisie en illustre toute l’espérance, la complexité et l’enjeu. Car il est incontestable que le statut de pays à coopération avancée, que le régime de Ben Ali réclamait, ne saurait suffire dans l’avenir. L’installation de la démocratie à Tunis ne règlera pas du jour au lendemain tous les problèmes du pays, à commencer par le plus préoccupant d’entre eux : le chômage massif des jeunes.

C’est vraisemblablement vers un quasi plan Marshall, à l’échelle magrébine et de financement européen qu’il faudra aller. Mais, autre problème : l’Europe en a-t-elle les moyens ? Pas sûr. De même en a-t-elle l’intention ? Vu que cela supposera l’autocritique et la remise en question rapide de certains de ses choix les plus récents, pas sûr non plus.