BNF- Tacuinum sanitatis"

 

 

Voici quelques temps, sur ce même site, j’ai lu avec grand plaisir un article fort joliment tourné de notre rédacteur Citron pressé, intitulé «  les fleurs du mal » .

Avec de subtiles références à l’œuvre de Baudelaire, il nous donnait à connaître quelques détails intéressants sur les « hellébores », fleurs d’hiver délicatement nuancées, originales et pourtant mal connues, réparant ainsi un flagrant mais bien injuste traitement !

 Cette lecture me fit soudain souvenir d’un travail commencé voici une dizaine d’années lorsque, avec une équipe de bénévoles, nous entreprîmes de créer sur un terrain communal « un jardin d’inspiration médiévale » pour embellir notre village.

Partie sur les traces des  « potherbes »,  « plantes tinctoriales et textiles », « aromatiques », « simples médicinales »,  en passant par les fleurs du « jardin de Marie » traditionnellement destinées à la décoration des autels, j’avais alors trouvé sur mon chemin livresque certaines herbes dites « magiques »  et autres plantes maléfiques, dont la réputation sulfureuse a passé les siècles pour nous faire rêver encore aujourd’hui …

C’est à ces plantes magiques que je consacrerai cet article en espérant qu’il vous aidera à mieux les connaître et à imaginer à votre tour moults contes un peu fantastiques …

L’univers des plantes magiques accompagne les hommes depuis la nuit des temps puisque que l’on retrouve déjà sur les parois de la grotte de Lascaux des dessins de végétaux symboliques.

 Mais c’est au Moyen-Age qu’il prend une importance considérable car les connaissances encore rudimentaires dans le domaine médical et scientifique  laissent une large place à l’expérimentation quelquefois bienfaisante mais souvent aléatoire, et parfois dangereuse des plantes sauvages ou cultivées. S’entremêlent alors étroitement des pratiques tour à tour œuvre de guérisseurs, mages et sorcières, la connaissance des plantes, sensées recéler les bienfaits de Dame nature, étant bien souvent le seul moyen de  porter remède aux nombreux maux donc souffrait une population affamée, à l’hygiène déplorable et au mode de vie calamiteux …

L’utilisation des plantes naturelles et de leur substances fongiques, sous forme de potions, infusions, brouets, onguents ou fumigations  débouchait à la fois sur l’aspect guérison des souffrants mais pouvait également  conduire à la punition et à l’empoisonnement des fâcheux , persécuteurs des membres du groupe social .

La connaissance des plantes et des herbes fut souvent réservée aux femmes et sa transmission assurée par la tradition orale dans des conditions de mystère et de secret  . Le savoir de ces femmes, mystérieux à l’époque, leur donnait un pouvoir vénéneux, voire surnaturel, qui accrédita bien trop souvent l’idée de sorcellerie et de magie noire …

Il reposait pourtant tout simplement sur l’expérience empirique , qui , au fil des temps avait permis de découvrir peu à peu les propriétés « magiques » de toutes les plantes présentes dans les jardins, les landes , les prés et les bois …

  Quelles étaient donc ces plantes magiques et maléfiques aux si grands pouvoirs ?  

"weinemann" amsterdam 1746 – Bibliothèque centrale du muséum

d’histoire naturelle

 

La plus célèbre de toutes est sans conteste la MANDRAGORE : appelée aussi plante de Circée, c’est une plante basse banale, à large feuilles et aux baies semblables à de petites pommes, c’est grâce à ses racines bien particulières qu’elle joue les vedettes parmi toutes ses sœurs ! Ces racines, avec un peu d’imagination, ont en effet la forme d’un corps humain et accréditent la croyance  que la plante est née de la semence d’Adam rêvant sous l’Arbre du bien et du mal  …De là à lui accorder des pouvoirs inquiétants , il n’y a qu’un pas , vite franchi … La mandragore entra vite dans la croyance populaire , fut utilisée dans la composition de philtres magiques et maléfiques, on lui attribua des vertus aphrodisiaques et ses potions étaient sensées apporter fertilité et inspiration à l’amour …Beau programme en vérité mais qu’il fallait mériter par des rituels de cueillette élaborés et très contraignants . Pour finir laisser moi vous dire que la mandragore emet, paraît-il un cri mortel lorsqu’on l’arrache de la terre-mère ! Ouah….

Vient ensuite la BRYONE  dioïque  ou navet du diable : plante grimpante particulièrement dangereuse  dans tous ses éléments ( 15 baies  suffiraient à tuer un enfant !). Sa racine est parfois employée médicalement car c’est un purgatif et vomitif puissant, mais gare au surdosage …. On dit qu’elle poussait particulièrement sous les gibets ou auprès des tombes des suicidés …Elle peut également provoquer par simple contact cutané des dermites Et ne vous avisez pas d’ingérer aucune des parties de la plante sous peine de vous mettre à délirer gravement !

Voici maintenant la JUSQUIAME : la favorite de Circée la magicienne  qui la fit boire dans un philtre  à Ulysse et ses compagnons pour les transformer en porcs. Elle contient en effet des alcaloïdes puissants , qui génèrent des hallucinations violentes , souvent en rapport avec les animaux . On dit que la Pythie de Delphes y puisait l’inspiration de ses oracles , et que des essais furent faits au XXème siècle pour en extraire des hallucinogènes (JB329) particulièrement dangereux et vite abandonnés .   Appelée aussi Herbe de Sainte Apolline, la jusquiame porte des baies dont on dit qu’elles apaisent les rages de dents …

Portant le nom de la troisième Parque, celle qui tranchait le fil de la vie, la BELLADONE  ou Atropa belladonna a des propriétés toxiques dûes à la scolopamine et à l’atropine qu’elle contient …Herbe des sorcières par excellence, c’est un hallucinogène très dangereux fournissant la base d’un célèbre «  baume d’envol » servant aux sorcières pour partir vers le sabbat..On l’appelle aussi herbe saturnienne  ou cerises de satan , et les belles dames de la Renaissance italienne utilisaient le jus de belladone pour dilater leur pupille et donner ainsi plus d’attirance à leur regard , afin d’attirer les hommes rencontrés.

Née de l’écume de rage sortie de la gueule de Cerbère  le chien des enfers vaincu par Héraclès , l’ACONIT a une sinistre réputation de tueuse ! Elle est bien connue des empoisonneuses célèbres telles Hécate ou la Brinvilliers car ses effets sont foudroyants et sans antidote connu, 1 mg d’aconitine étant  capable d’occire tout humain qui l’ingérerait … Appelée « casque de Jupiter » pour la forme de ses fleurs, c’est pourtant une plante magnifique , utilisée à dose homéopathique contre les crise d’angoisse, l’accélération du rythme cardiaque liée au stress, l’anxiété et hypertension …Le suc d’aconit servait à empoisonner les pointes des flèches et des lances.

Bien connu encore de nos jours, le PAVOT  est également une plante hallucinogène et sédative . On en tire aujourd’hui l’opium, mais il fut connu de tous temps depuis la civilisation sumérienne. Couronnant le sommeil ( Hypnos) mais aussi la mort ( Thanatos) dans la mythologie grecque , il servit au célèbre médecin Hippocrate pour préparer ( avec d’autres ingrédients) une potion appelée « thériaque » qui fut considéré comme universel et resta dans le Codex médical français jusqu’en 1884. Le pavot a de nombreuses variétés qui contiennent toutes des alcaloïdes  dont les plus connus sont la codéine et la morphine qui se transforme illicitement  en héroïne. Mais l’opium  servit également de tous temps en chirurgie militaire aussi bien que civile notamment dans la médecine asiatique …

 

On pourrait décrire encore de nombreuses plantes reconnues de tous temps comme magiques  …Pour ne pas allonger inutilement cet article je citerai seulement le DATURA, la DROSERA , la CIGUË, le SAULE , le CHANVRE  ….

Vous les retrouverez, ainsi que bien d’autres dans un livre magique , lui-aussi de Michèle Bilimoff, paru aux éditions Ouest-France  en 2003  auquel j’emprunterai ma conclusion en guise d’hommage :

«  Pourquoi certaines plantes ont-elles été reconnues comme magiques  depuis la nuit des temps ? Pourquoi sont-elles toujours investies de ces pouvoirs aux yeux d’un si grand nombre de personnes, en un siècle où la science progresse à grands pas ? [….] Complices des humains pour le pire et le meilleur ….Coupables ou innocentes, elles sont toujours là, proches de nous , à la fois bien réelles mais aussi toutes auréolées du mystère et des espérances que les humains leurs ont ajoutés. Tandis que la science précise les durs contours du réel, elles contribuent à apporter cette part de rêve dont chacun d’entre nous a besoin. »