On m'a beaucoup parlé de cette vidéo ces derniers jours. Sur ce blog ou par mails, on m'a incité à la voir, demandé mon avis, fait part de ses impressions. Vous savez de quelle vidéo je parle, bien sûr. Ce reportage (interdit de diffusion) disponible sur google videos, et vu par (statistiquement) 1 français sur 100. Après l'avoir regardée plusieurs fois, je n'ai pas résisté à l'envie d'en faire un commentaire ici même.

Much ado about nothing, aurait pu en dire Shakespeare. Ou plutôt non, il faut parler de cette vidéo, tant elle illustre parfaitement ce qui empêche la communication efficace et productive entre science et société civile. Pour permettre au lecteur de se repérer, j'ai joint les minutages des extraits que je commente, sous la forme (minutes:secondes), ainsi que quelques images.

L'introduction fait l'amalgame entre l'OGM en tant qu'objet technique, c'est à dire un organisme dont on a modifié le génome pour lui faire acquérir de nouvelles propriétés, et l'OGM MON863 produit par la firme MONSANTO, dont il est réellement question dans ce reportage.

Dès les premières images (0:42), le journaliste superpose des images de la vie quotidienne, comme l'ouverture d'une boite de maïs, à des commentaires sur le danger des OGM.

Le mélange entre un risque technologique et des gestes anodins contribue à la création d'un climat d'insécurité. Le tout premier message implicite de ce reportage, sur lequel il repose d'ailleurs entièrement, est que les OGM sont partout, même la ou ne nous les attendons pas. Le climat de peur, la quasi incitation à la paranoïa, est présent avant même que les premiers faits et les premiers éléments d'information ne soient présentés.

La première définition des OGM qui est donnée (1:42) est fausse. Le journaliste nous parle de plante[s] dans [lesquelles] des scientifiques ont introduit un gène venant d'un animal. C'est faux. OGM est un terme générique qui désigne tout organisme ayant subi une modification dirigée par l'homme de son génome.

Dans la pratique, les transferts de gènes de plantes vers d'autres plantes sont d'ailleurs bien plus fréquents que les transferts plantes/animaux ou inversement. Pour aller plus loin, les modifications concernent souvent des éléments de gènes, notamment ceux chargés de réguler son expression. Les transferts de gènes ne sont pas la seule manière de créer des OGM. Un exemple classique est la navette Brassica campestris, qui comporte un génome nucléaire de colza Brassica napus, et de génomes mitochondriaux et chloroplastiques d'autres espèces végétales.

Le premier exemple donné (1:47) est celui d'un maïs tueur d'insectes. Sans plus de précisions, notamment celle que le mécanisme engagé utilise une particularité biochimique du système digestif des insectes ciblés unique dans le règne animal, il est facile (et naturel, après l'introduction) de penser que les OGM peuvent nous tuer. On présente la plante génétiquement modifiée comme un outil qui provoque la mort. Or, ce maïs, qui est un cas d'école, ne présente aucune nocivité ni pour l'homme, ni pour aucune autre espèce en ayant consommé.

Le reportage continue sur une visite au siège de MONSANTO (2:23), qui est ultra-sécurisé. Dans le domaine privé en biologie, la sécurité est omni-présente, puisqu'à l'enjeu scientifique s'ajoute un enjeu économique indéniable. Les journalistes insistent lourdement sur cette sécurité, sous-entendant que derrière les grilles se trouvent des choses auxquelles il est préférable que peu de monde aie accès. Ce n'est pas une caractéristique propre au siège de MONSANTO, ce que toute personne ayant déja visité un laboratoire privé pourra vous dire.

Une des parties les plus intéressantes du reportage commence à (3:32), avec les premières expériences sur les souris. Ces souris ont été nourries pendant deux ans avec du soja transgénique. Rapporté à la durée de vie de la souris, et à la quantité consommée, à quelle masse par humain et par an cette alimentation correspond-elle? Mais peu importe, puisque (4:30) on peut vérifier les résultats sur les images. Pouvez vous vérifier? Le journaliste nous décrit la diminution des points correspondant aux enzymes digestives dans les cellules des souris nourries avec du soja OGM. La question la plus évidente est cette diminution est-elle liée à un manque d'activité de la cellule, ou au fait qu'il n'y a plus besoin d'autant d'enzymes que dans le cadre d'une alimentation non-OGM?. La réponse reste à apporter. D'ailleurs, les souris ne sont pas tombées malades, pas encore, comme le dit le journaliste à (4:56). Sur quels faits se base t'il pour affirmer la nécessité du fait que ces souris seront malades un jour? A ma connaissance, aucun.

Le reportage est construit autour d'un fait simple. Une partie des rats/souris nourris avec des plantes OGM ont subi des altérations au niveau cellulaire. Une partie des chercheurs ont estimé, données à l'appui, que ces altérations étaient normales et faisaient partie de la physiologie du vieillissement des animaux utilisés comme modèles. Les autres pensent que les statistiques ne veulent rien dire, et que ces altérations sont un phénomène pathologique.

Retour a des images de la vie quotidienne (6:10) pour une séance d'interviews, avec une des remarques les plus pertinentes de tout ce reportage. Je ne sais pas ce qu'ils ont fait, nous dit une passante. Le manque d'informations, le manque de communication du corps scientifique vers la société civile est évident. D'une part, parce que comme Enro l'a très bien résumé, les cultures épistémiques des chercheurs sont très différentes (Bonneuil et al., 2006), mais aussi parce que les OGM sont une technique avec des facettes multiples, et qu'il manque au débat le socle de connaissances minimales, pourtant peu nombreuses, pour avancer. Alors que, comme pour un grand nombre d'aspects des biotechnologies et des sciences de la santé, la société civile est demandeuse d'informations fiables, les scientifiques ne sont pas capables de remplir leur rôle de sensibilisation. Il faudrait assurer le service après vente des nouvelles technologies, avant que le débat ne soit rendu difficile par les arguments passionnels.

Le sujet glisse ensuite sur un autre aspect du phénomène OGM: les faucheurs (7:17). Un amalgame particulièrement grave est commis ici. Les gendarmes et les agriculteurs ne défendent pas du maïs OGM, même si c'est le résultat de leur action. Le parti-pris du reportage est que tout ce qui ne s'oppose pas à la destruction des OGM est dirigé par les gouvernements ou les industriels. Il y a protection du maïs OGM dans les faits, oui, mais pas dans les intentions, dans la mesure ou il est défendu en tant que maïs, et non en tant qu'OGM. Les gendarmes empêchent une dégradation de biens privés, et les agriculteurs défendent une source de revenus. Il n'y a pas de raison d'y voir une protection des sacro-saints intérêts de MONSANTO. Se pose la question de savoir à partir de quel moment des actes de dégradation sont bénéfiques pour l'ensemble de la société, bien évidemment. Le fauchage d'OGM destinés à la consommation et dont l'innocuité n'a pas été prouvée en fait clairement partie, même si la loi indique le contraire.

C'est à partir du moment (7:31) ou nous est présentée la commission du génie biomoléculaire, juste après une remarque tout à fait déplacée de la part du journaliste sur sa dénomination, que le reportage commence véritablement. La cible de ce reportage est l'OGM portant le nom de MON864, produit par la firme américaine MONSANTO (9:01). Problème, à ce stade, sans une lecture très critique de la vidéo, et une connaissance du sujet, l'observateur qui compte s'informer à partir de cette source est persuadé que le gouvernement autant que les scientifiques sont décidés à nous mentir, pour satisfaire les industriels. Le reportage joue beaucoup sur la notion de confidentialité (11:30). Il faut savoir que dans le privé, il est tout à fait courant de ne pas laisser les informations diffuser, et de ne les adresser hors-entreprise qu'aux personnes à qui elles sont destinées. Aux enjeux scientifiques viennent s'ajouter d'évidents enjeux économiques qui motivent ce comportement, tant que l'autorisation d'exploiter le produit n'est pas assurée.

En revanche, le secret industriel est un redoutable obstacle à la transparence essentielle aux sujets de santé publique. A ce titre, la décision d'un juge allemand de considérer ce secret comme illégal devrait être retenu comme un précédent, et être reproduite en France aussi souvent que nécessaire. C'est à dire à chaque fois. La disparition de la rétention d'information rassurerait la société civile, et mettrait fin aux accusations de mensonge qui pleuvent à chaque nouveau dossier.

La personne qui présente ses conclusions sur l'étude de toxicité du MON864 (12:58) n'est pas n'importe quel scientifique. Il s'agit d'Arpad Pusztai, co-signataire d'un article très controversé, (Ewen et al., 1999), paru dans le Lancet en 1998. Pustzai est un ancien du Rowet Research Institute, dont il a été expulsé pour manquement au devoir de réserve. Il avait fait au cours d'une émission de télévision une analyse de ses résultats sans rapport avec ce qu'on pouvait trouver dans l'article. Notamment, il avait annoncé de manière certaine la toxicité des OGM. Or, différents collèges d'experts on mis en évidence que son protocole (d'une part) et les tests statistiques utilisés (d'autre part) rendaient ses résultats inexploitables. Plus grave encore, une relecture de ses résultats par un généticien des plantes aurait mis en lumière les insuffisances du protocole et permis de rectifier le tir. Pusztai est l'exemple même du scientifique sorti de son champ de compétence (la nutrition et la biochimie) qui a provoqué une polémique sans aucunes données fiables pour en assurer le back-up. Cet épisode, qui a déclenché une grande partie du mouvement anti-OGM, reste connu sous le nom d'affaire Pusztai. Aucun de ces faits n'est mentionné dans la vidéo.

Suite à leur entretien avec l'avocate et ancien ministre Corinne Lepage, les journalistes vont interroger (13:56) le Pr. Gilles-Eric Seralini. Membre de la comission du génie biomoléculaire, il est aussi président du conseil scientifique du CRII-GEN, le comité d'experts indépendants dirigé par Corinne Lepage et opposé à la mise sur le marché du MON864. Encore une fois, ce fait n'est jamais mentionné dans la vidéo. Il fait aussi parti des chercheurs français les plus opposés aux OGM (Bonneuil et al., 2006). Le fait de le présenter uniquement comme un des membres de la commission du génie biomoléculaire est particulièrement malhonnête de la part des journalistes.

G.E. Seralini insiste sur le fait qu'augmenter le nombre de rats (15:42) nourris avec du soja non OGM représente un biais dans l'analyse statistique. Il faut savoir que des tests permettant la mesure de variations entre deux groupes de tailles différentes existent, et sont relativement fiables, et qu'une augmentation de la taille des échantillons augmente la puissance du test. Il aurait été utile de savoir si MONSANTO a réalisé un duplicat de cette expérience en augmentant aussi la taille du groupe d'animaux nourris avec des plantes OGM.

Le volet scientifique du reportage se clôt ici (19:58), sur un commentaire lourd de sens : les cobayes désormais, c'est nous. Le journaliste a délibérément choisi de mettre en avant le point de vue des scientifiques opposés à la mise sur le marché du MON864. C'est à ce moment que se produit le fait le plus inadmissible du reportage (20:19). Juste avant que le responsable de la commission du génie biomoléculaire ne réponde aux questions, il y a un blanc ou on l'entend dire, au cours d'une discussion dont on ne connaitra jamais le contexte, on travaille à l'aveugle. Cette phrase met en doute la légitimité même de la commission, dans la mesure ou dans le cadre d'un interview formel, son responsable assure qu'il n'y a pas de risque, mais sur des images prises à un moment indéterminé, il reconnait travailler à l'aveugle. De quoi parle t'il? L'impression que l'on a, commentaires du journaliste aidant, est qu'il parle de l'ensemble de son travail, des OGM, en général. Avoir laissé cette phrase au montage, à cet endroit précis, est un acte conscient de manipulation, inexplicable et inexcusable.

Puisque nous en sommes parvenus à parler de manipulation, reprenez donc l'ensemble des séquences ou le responsable de la commission du génie biomoléculaire est interviewé. Le journaliste nous dit qu'il revient, retourne le voir. Faites plus attention. Les tenues vestimentaires ne changent pas. Les objets sont à la même place sur la table. Toute la séquence à été tournée en même temps, d'un trait.

Revenons aux propos tenus par le responsable de la commission du génie biomoléculaire (21:00). Il introduit le concept de biovigilance. La biovigilance est le fait de suivre les réactions de l'organisme à un produit donné. Qu'il soit un OGM, un médicament, ou un produit chimique. La mise en place de la biovigilance relève pleinement du principe de précaution. En effet, on ne peut pas, suite à des études sur les animaux qui sont à un terme relativement court (en comparaison avec une vie humaine), anticiper l'ensemble des effets à long terme. La biovigilance est un processus nécessaire, qui participe à la protection de la santé publique.

Finalement, en regardant les dernières images, je me suis posé une question simple. Décemment, peut-on insister sur le manque de communication, après avoir orchestré une véritable campagne de désinformation? Manifestement, si on s'appelle Michel Despratx, journaliste à Canal+, la réponse est oui…

Références

Bonneuil Christophe (2006) Cultures épistémiques et engagement public des chercheurs dans la controverse OGM , Natures Sciences Sociétés 257–268 Vol 14
Ewen S. W. and Pusztai A. (1999) Effect of diets containing genetically modified potatoes expressing Galanthus nivalis lectin on rat small intestine. , Lancet 1353–1354 Vol 354:9187