Le Pew Research Center vient de publier les résultats de sa grande étude annuelle destinée à prendre le pouls des opinions publiques à travers le monde.

Très variées, les thématiques abordées traitent aussi bien des conditions de vie, des problèmes du quotidien, de l’évaluation des principales institutions politiques que de l’actualité (terrorisme, conflit israélo-palestinien…).

Cette année, 47 pays répartis sur les cinq continents ont été sondés dont le Maroc où les enquêteurs ont interrogé un échantillon de mille personnes entre avril et mai 2007.

Crime et terrorisme, deux préoccupations majeures
Il en ressort que le principal souci auquel les Marocains s’estiment confrontés aujourd’hui sont les problèmes financiers (73 %), loin devant la santé (10 %), l’éducation (2%) ou le logement (3%). Plus surprenant, le sondage révèle qu’ils sont également très préoccupés par leur sécurité. En ce qui concerne le terrorisme, ils sont 81 % à penser que c’est un «très gros problème», contre 51 % dans les Territoires Palestiniens ou 53 % en Egypte. Autre surprise : une majorité écrasante de Marocains pensent que le crime est un problème important et même un «très gros problème» pour 72 % d’entre eux. Ils sont également 68 % à penser que le trafic de drogue est aussi un «très gros problème». Autant de craintes qui ne manquent pas de poser la question de la perception qu’ont les Marocains de l’efficacité des forces de l’ordre dans la lutte contre le crime organisé ou la délinquance ainsi que celle des services de sécurité en charge de la lutte anti-terroriste : comparé à d’autres pays, le Maroc a jusqu’ici été peu frappé par des attentats.

Pour autant, les Marocains ne remettent pas en cause les principales institutions du pays même si un pourcentage non négligeable de sondés s’est abstenu de répondre à ces questions et que 56 % pensent que la corruption des leaders politiques est un «très gros problème». Ils sont ainsi 28 % à juger «très bonne» l’influence du gouvernement (35 % ne se prononcent pas). Même topo pour l’armée dont l’influence est jugée très positive par 22 % des Marocains tandis que 42 % des sondés ne répondent pas. À titre indicatif, pour cette thématique, le chiffre des “abstentionnistes” n’atteint que 10 % au Pakistan et 1 % au Venezuela, deux régimes pourtant militaires. Notons également qu’on ne sait pas ce que les Marocains pensent de Mohammed VI puisque les enquêteurs de Pew n’ont pas pu poser la question… Les Marocains sont par contre beaucoup plus diserts dès qu’il s’agit de commenter l’influence de la presse. Signe des temps et plébiscite pour plus de transparence du régime, ils sont 61 % à trouver son influence «bonne », dont 24 % « très bonne ».

Oussama Ben Laden et Hassan Nasrallah superstars
Quoique voisins de l’Europe, le sondage de Pew montre que les Marocains appartiennent de plain-pied au monde arabo-musulman. Ils en partagent les préoccupations et les révoltes liées à l’actualité avec pourtant une large ouverture d’esprit puisque 45 % d’entre eux estiment que les entreprises étrangères implantées au Maroc ont plutôt une bonne influence sur le pays. Première caractéristique commune avec la plupart des pays arabes : un sentiment de méfiance (pour ne pas dire de défiance) à l’égard des Etats-Unis. 89 % des Marocains se disent très préoccupés par le fait qu’ils pourraient devenir une menace militaire pour le pays. Ce chiffre est bien plus important que dans d’autres Etats arabes puisqu’il n’atteint par exemple “que” 45 % dans les Territoires Palestiniens, 37 % au Koweït ou 28 % en Egypte. Dans un tel contexte, on peut s’interroger sur ce qu’auraient dit les Marocains si on les avait sondés pour savoir s’ils sont favorables à l’implantation au Maroc du siège de l’Africom, le commandement militaire américain pour l’Afrique ou à la signature d’un traité de libre-échange avec les Etats-Unis…

Deux personnalités honnies de l’“Occident” ou à tout le moins fortement contestées ont également la côte au Maroc : Oussama Ben Laden et Hassan Nasrallah, le leader du Hezbollah libanais. En ce qui concerne le chef d’Al Qaïda, il ne s’agit visiblement pas d’une toquade puisqu’en 2004 un sondage du même Pew Research Center montrait déjà que 45 % des Marocains voyait Ben Laden d’un œil favorable. Trois ans plus tard, ils sont 4 % à affirmer qu’il leur inspire «beaucoup de confiance», 16 % une «certaine confiance» et 11 % «pas trop de confiance». Il ne s’agit sans doute pas de l’expression d’une approbation quant aux méthodes terroristes employées par Al Qaïda puisqu’une large majorité des Marocains (69 %) jugent que les attentats-suicides ne se justifient en aucun cas, même pour défendre l’Islam, mais plutôt d’une sensibilité à l’argumentaire idéologique de Ben Laden. Il en va de même pour le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah qui a tenu en respect les troupes israéliennes au Liban à l’été 2006, ce qui lui a valu de battre des records de popularité au royaume. Encore aujourd’hui, d’après Pew, Nasrallah inspire « beaucoup de confiance » à 9 % des Marocains, une « certaine confiance à 30 % » et « un peu de confiance » à 10 % d’entre eux. Le Hezbollah a, lui, franchement la côte : 32 % des Marocains y sont « plutôt favorables » et 17 % « très favorables » !

Par contre, contrairement à d’autres pays du monde arabe, les Marocains ont tendance à se sentir menacés par leurs voisins géographiques. Ils sont ainsi 15 % à affirmer l’être par l’Algérie et 11 % par l’Espagne. À titre de comparaison, “seulement” 10 % des Marocains se sentent menacés par Al Qaïda alors que le terrorisme est une préoccupation sérieuse. Entre le conflit du Sahara occidental qui permet d’attiser un sentiment anti-algérien depuis trois décennies et l’existence des enclaves espagnoles de Cebta et Melilla vécue comme une injustice, le sentiment que le Maroc n’a pas parachevé la reconquête de son “intégrité territoriale” cinquante et un ans après l’Indépendance imprègne visiblement toujours les esprits.

Enfin, en dépit des difficultés économiques ou des craintes liées à leur sécurité, les Marocains restent résolument optimistes quant à leur avenir. Ils sont ainsi 73 % à penser que leur vie s’améliorera au cours des cinq prochaines années. Et 67 % à juger que la situation de leurs enfants sera meilleure que la leur.