Beaucoup de citoyennes et citoyens qui n’en étaient pas déjà convaincus commencent à comprendre que la théorie du « Grand Remplacement » ne vise qu’à en opérer un autre, celui, le plus durable possible, des culs sur les fauteuils des assemblées nationales et territoriales. Le clan Le Pen y parviendra peut-être… un jour, ou l’autre, ou le suivant. Le véritable grand remplacement, en fait, on le constate, c’est celui de l’électorat par les abstentionnistes. On peut en comprendre, et largement (mais pas totalement) en partager les raisons.

Observant depuis maintenant presque un demi-siècle – depuis les lendemains de la candidature de Tixier-Vignancour, secondé par J.-M. Le Pen, fin décembre 1965 – les faits et gestes du clan Le Pen, j’ai formé, affiné et conforté ma conviction. Il ne s’agit, pour cette famille, que de fonder une génération de saltimbanques courant les cachets des indemnités d’élus et de caser silhouettes et figurants affidés dans le monde des affaires. Facile à énoncer, fastidieux à démontrer…

Juste une esquisse : combien de fois J.-M. Le Pen a-t-il préféré liquider les seconds rôles bousculant son scénario et susceptibles de lui faire de l’ombre plutôt que d’élargir réellement la troupe et véritablement gérer les affaires de la nation, voire d’un simple territoire ? Son hégémonie a toujours primé.

Le clan ne veut voir qu’une seule tête, avec, en premiers de file, des exécutants totalement disciplinés. Le prototype n’en est certes pas un Philippot, dont le clan se débarrassera s’il venait vraiment à prendre trop d’importance, mais des clones d’un Sanchez, maire de Beaucaire. Ce jeune homme, hormis un petit et très temporaire boulot de téléprospecteur, n’a jamais vraiment travaillé que pour le clan. Le voilà maire de Beaucaire, sans doute conseiller général dès lundi, et ce caporal finira sans doute promu sergent.

Je ne donne en revanche pas grand avenir au FN aux hystériques de Riposte laïque ou au maire de Hayange, Fabien Engelmann, dont j’apprends, par le chroniqueur judao-christique illuminé Paul le Poulpe que sa crèche « municipale », avec rois mages aryens grand teint et vierge voilée et drapée de bleu, blanc, rouge, manifeste « que notre pays et notre civilisation ont été faites par des hommes blancs ». Ces porte-bannière du Christ-Roi vont se prendre le chou, finir par dire à Marine ou Marion, « qui t’a fait reine, qui t’a fait princesse ? », et perdre au jeu des fauteuils musicaux : leurs sièges électoraux sont fort précaires, au FN, pour qui la ramène trop.

Au passage, je relève qu’une Pécresse, dont les affiches reprennent subtilement, insidieusement, la rhétorique du FN (avec un « Bartolone = Saint Just », non le conventionnel Louis-Antoine, mais le Wallerand, et un « nous ne voulons pas devenir la Seine-Saint-Denis »), porte plainte contre son adversaire pour injure aggravée et que ce dernier a la maladresse de faire de même. Combien de fois le FN a-t-il porté plainte sur des prétextes divers ? C’est récurrent, cela encombre les tribunaux qui ont mieux à faire, mais permet une nouvelle fois de faire parler de soi.

C’est le genre d’épisode anecdotique qui ancre encore plus profond les abstentionnistes dans leur refus de participer à cette mascarade.

Le Monde a eu l’excellente, voire cruciale, initiative de « sonder » les abstentionnistes documentés, consciemment au fait de la vie politique… L’article complet est en accès libre, il est urgent de s’y reporter.

Tout ce qui motive ces citoyennes et citoyens fortement réfléchis s’applique tout autant au FN qu’au reste de la caste politique. Le PS en prend bien sûr pour son grade après avoir « tout abandonné sans coup férir au Medef et aux banques ». Le constat plus général est que « l’économie a gagné la guerre des valeurs ». La critique de « l’oligarchie » (et on voit bien se consolider celle du FN) est cinglante…

C’est à la fois très juste et injuste. Il reste des maires, des conseillers territoriaux, voire des ministres, qui tentent encore de faire leur possible dans les limites des possibilités. Ne serait-ce que pour cette raison, même en sachant qu’ils finiront marginalisés, je persiste à voter.

De manière fort partisane, d’ailleurs : pour ceux me paraissant vraiment sincères et mouillant réellement leur chemise, fussent-ils, par ailleurs, très éloignés de mon courant de pensée dominant. À Vitré, en Bretagne, je voterai pour un Pierre Méhaignerie, pourtant ancien ministre de Jacques Chirac. Dans le Grand Est, je continuerai à voter pour un Masseret qui a certes commis des erreurs (son bilan est mitigé sur certaines décisions d’équipement), et je pourrais aussi citer des communistes, mentionner un Noël Mamère, même s’il s’était fourvoyé sur la liste régionale menée par un Bernard Tapie, bien d’autres encore. Bref, des seconds couteaux dont je ne sais si, parvenus à l’échelon supérieur, ils sauraient gagner « la guerre des valeurs » contre la finance et l’économisme.

Il se peut que telles personnalités (masculines ou féminines, rajoutons Catherine Trautmann, pas si mauvaise à Strasbourg, feue Simone Rossignol, de Bègles, l’éphémère mairesse de Soissons Jeanne Macherez, en septembre 1914, et pardonnez-moi si aucun nom marqué à droite ne me vient à l’esprit, hormis celui de MAM, en contre-exemple) puissent se fourvoyer, et il qu’il s’en trouverait déjà, ou s’en trouvera, au FN. Je ne peux l’exclure. Après tout, Yann Piat (députée assassinée à Hyères, début 1994), passée du FN à l’UDF, car exclue par son parrain pour avoir voté la loi sur le minimum d’insertion et n’avoir pas prisé le « Durafour-crématoire » du « patron », n’a pas toujours démérité, ne s’est pas continument fourvoyée.

Simplement, hormis, reconnaissons-le, un maintien ou une très légère baisse de la pression fiscale, obtenue en sucrant les subventions associatives et en freinant l’investissement, quel est le programme concret du FN ? Hormis des mesures symboliques qui mangent peu de pain (les crèches, le retour aux opérettes-bouffe et à l’accordéon ou la vielle, en matière culturelle), les mesures effectives se cantonnent à gonfler les frais de fonctionnement en recrutant des policiers municipaux ou des vigiles.

C’est d’ailleurs, de toutes parts ou presque, la tendance du moment. Parfois, c’est vrai, les circonstances l’imposent. On se demande toutefois ce que pourront faire ensuite ces recrutés lorsque neuf sur dix seront remplacés par des robots, soit, possiblement, dans une douzaine d’années.

Dans l’immédiat, lors de cette campagne régionale tripartite, cela saute aux yeux : sécurité, sécurité, sécurité… Le reste semble accessoire ou fumeux (nombre de mesures proposées sont intenables si ce n’est à la faveur d’un bouleversement législatif et réglementaire national ou européen). Vraiment de quoi alimenter l’abstention.

Parce que, que l’on vote ou non, ces recrutements seront faits pratiquement partout, quelle que soit l’étiquette des élus majoritaires. À juste titre par endroits, secteurs, simplement pour flatter le ressenti du moment ailleurs.

Cela ne signifie pas pour autant que d’autres initiatives, structurelles au niveau de l’ensemble régional, voire interrégional, de proximité pour certains territoires, ne seront pas mises en œuvre. En ce qui se rapporte à la mesure prônée très fort par le FN de favoriser les échanges commerciaux de proximité, la tendance est lourde et s’appliquera, avec plus ou moins de bonheur ou succès, partout : les acteurs n’ont pas attendu les élus, qui tous ou presque les accompagneront. Mais cela ne suffira guère à revenir en arrière, à vraiment restreindre l’hypertrophie de la grande distribution et de la vente en ligne.

À son tour, le FN fabriquera des « cocus » qui, au prochain, électoral, s’abstiendront. Cela se vérifie partiellement dès à présent, dans certaines localités frontistes.

Pour les grands sujets de clivage, immigration, zone euro, l’incantation verbale discordante est de mise. C’est une chance dont il ne faut surtout pas se priver, ou un désastre. Vraiment, l’euro serait un désastre, ou au contraire un atout qu’on n’a pas su correctement maîtriser ? Combien de commerces, de bureaux, baisseraient-ils le rideau si l’immigration refluait massivement ? On l’avait constaté à Sochaux-Montbéliard sous Giscard et ses aides au retour : barres d’immeubles dynamitées, commerces et entreprises de services en faillite. Et pas une embauche de plus pour les Franc-Comtois, mais davantage d’automatisation.

Quand le FN dira son refus de toute aide sociale ou retraite aux immigrés (ce dont les oligarques russes et les Qataris, les cadres des multinationales s’accommoderaient fort bien, en sus du remboursement de la TVA à la fin de leur séjour) assortie de l’exonération totale d’impôt ou de cotisation sociale, à première vue, j’admettrai. Sauf que ce serait pousser sa partie maghrébine, turque ou africaine dans les bras de la charia, d’un communautarisme dopé… et faire supporter un déficit colossal de la Sécu, du financement des services publics, au reste de la Nation.

En politique économique ou d’aménagement du, des territoires, sauf à opter pour le léninisme (et l’électrification forcenée, la collectivisation à outrance, ce sur quoi même un Kim Jong-un marque de très prudents et partiels revirements), croit-on vraiment à des recettes miracle ne comportant aucun effet pervers ? Rappelons quand même que le léninisme, et même le stalinisme, avec leurs formidables errements, revirements, erreurs et horreurs, ont eu raison des panzers et des famines tsaristes (mais qui, en France, admettrait l’Holodomor, ses hécatombes et déportations massives sur partie de l’Hexagone ?).

Pour le moment, je ne mets vraiment au crédit du FN que son opposition à la direction de la FNSEA, à valeur pédagogique. Relisez donc le discours de Marine Le Pen s’adressant à son congrès, en 2012. Taper sur Xavier Beulin, son président et puissance invitante, ce n’est pas vraiment le style de Sarkozy ou d’Hollande. Mais songez aussi qu’elle se préserve bien de condamner les exactions des adhérents de la même FNSEA qui, si elles étaient le fait de « racailles », lui inspireraient d’exiger les peines les plus lourdes. Tout juste déplore-t-elle du bout des lèvres les conséquences, justifiant presque les auteurs ; faut-il rappeler aussi que la Coordination rurale est très partagée sur les thèses du FN ? Qu’est-ce donc que le « système » si ce n’est de monter en épingle ce qui arrange, et enfouir sous le tapis ce qui pourrait déranger ?

L’abstention répondrait-elle mieux à ces contradictions que le vote, même en traînant les pieds ?

Oui et non… L’abstention est aussi une manière de signifier au clan Le Pen que son « ordre nouveau » n’est qu’un « nouveau système ». C’est aussi implicitement dénoncer que le programme d’un Estrosi, si l’on en extrait les promesses intenables ou les effets de manche, ne diffère en pratiquement rien de celui de son adversaire frontiste (qui d’ailleurs, l’admet volontiers). De ce point de vue, le vote blanc ne serait-il pas un moindre mal ? Ce « pas en mon nom » (qui vaut aux musulmans le reprenant d’être considérés mécréants par Daesch et donc voués à l’égorgement) anonyme présente aussi un autre avantage.

Comme le relève le Breton Gérard Gautier, ancien conseiller régional, s’il était vraiment reconnu, le vote blanc ne permettrait plus aux partis de toucher de si forts subsides : ils ne seraient répartis qu’en proportion des suffrages exprimés recueillis par leurs candidates et candidats. Le « nouveau système » du FN y serait-il favorable ?

Le paradoxe : même en traînant fortement les pieds, je voterai pour la formation soutenant cette reconnaissance, plaçant donc mon bulletin blanc dans ma poche ou à la corbeille. Gilbert Collard (RBM, affilié FN), se prononce « à titre personnel (…) et de manière passionnée », favorable. Habile avocat, il veut l’assortir d’une totale proportionnelle et donc placer davantage de ses colistiers dans les assemblées. À tel point qu’intervenant à l’Assemblée sur le sujet, il n’a que très rapidement évoqué ce vote blanc avant de développer longuement son souhait de revoir instaurer la proportionnelle intégrale.
Bah, Gilbert Collard, comme tant d’autres, le grand âge advenu, finira sans doute douillettement sa carrière au Conseil économique et social…

L’électeur déboussolé en viendrait presque à voter FN dans l’espoir de banaliser plus rapidement cette formation et démontrer qu’ils se valent tous. Un peu comme Sarkozy qui, après l’avoir diabolisé, le banalise, histoire de récupérer la partie de son électorat lui ayant fait défection.

Mais ce n’est pas parce qu’on verra bientôt des « féministes frontistes » soutenir Marine Le Pen en faisant valoir que c’est la seule chance de voir une femme parvenir à la présidence qu’il faut minorer les aspects catho-traditionnalistes et anti-Planning familial du discours de Marion Le Pen qu’un Gibert Collard, bien aligné, édulcore à peine. Ni que le FN se prononce toujours contre la parité, retoque au Parlement européen une proposition sur l’égalité des rémunérations et profite de son temps de parole pour qualifier l’avortement « d’arme de destruction massive contre la démographie européenne » (heureusement, les familles d’immigrés font beaucoup d’enfants et, Marie-Jésus-Joseph merci, l’islam condamne aussi l’avortement ?).

Quand bien même accorde-t-on de moins en moins de crédit aux propos des politiques qui tiennent rarement leurs promesses, au moins convient-il d’y rester attentif.

D’un côté, on a vu tous les ténors du FN (et de la Sarkozye aussi), dénoncer l’abandon des victimes des derniers attentats par un pouvoir qui n’aurait pas su prendre les mesures préventives idoines, mais les mêmes étaient fort peu présent à leur rendre hommage dans les quartiers en question (ou aux abords du stade de France). Car, pour eux, ce serait peine perdue : leurs habitants rejoignent vraiment trop faiblement leur électorat. Si ce n’est pas là le propre du « système », qui consiste à gonfler les arguments l’arrangeant en se souciant comme d’une guigne de la suite et des réalités, qu’est-ce donc ?

Si ce n’est pas là une démonstration du clientélisme, alors quid ?

Les plus désabusés, les plus pessimistes, pourraient considérer que l’induration de l’herpès frontiste (soit d’un système FNLRPS, le FN désignant à présent « herpès » l’ex-UMPS) présenterait au moins l’avantage de repousser les plus extrémistes de droite, comme de gauche (ultradroite et ultragauche) plus loin dans les marges. Les plus optimistes se veulent persuadés que la vie politique ne se restreint pas à celle des partis et que l’action civique (civile) redeviendra plus importante, plus pressante.

L’un n’empêche pas l’autre, et s’impliquer dans la cité n’exonère pas de voter blanc ou pour l’adversaire le plus acceptable ou plutôt le moins incompatible, selon les lieux, les circonstances. Mais cela, après s’être documenté, après mûre réflexion, et non pas impulsivement, uniquement au « pif » (selon qu’on peut « kiffer » ou non telle ou telle personnalité, sa faconde, son entregent).

Cela peut sembler bancal, mais le véritable « antisystème », en démocratie électorale (donc indirecte), revient à cela. Ce qui n’est pas vraiment la ligne politique ou le programme du FNLRPS…