Les gavés de la République

Après les départs en retraite de deux individus politiques épinglés par la Cour des comptes pour leur semi-fictives activités en tant qu’inspecteurs généraux de l’Éducation nationale, et la nomination au tour extérieur de Luc Guyau (ex-F.N.S.E.A.) à l’Inspection générale de l’Agriculture, voici que Maître Dominique Paillé (U.M.P.) va exercer bénévolement (ce qui reste à estimer) la présidence de l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Serait-ce la « jurisprudence Boutain » qui entrerait enfin en vigueur ?


On se souvient que la très charitable, ordonnée, et catho-cathodique Christine Boutain, ex-ministre U.M.P., avait renoncé non pas à tous les avantages liés à la commande d’un fumeux rapport, mais au moins à ses juteux émoluments. Cela n’avait pas forcément incité les multiples conseillers et rapporteurs plus bidon que moins fumeux et fumistes à renoncer aux leurs. Ainsi Léon Bertrand, ex-ministre U.M.P. du Tourisme, et Jean Germain, maire (P.S.) de Tours, qui ont attendu d’être épinglés par la Cour des comptes pour demander leur mise à la retraite de l’Inspection générale de l’Éducation nationale. L’information, reprise largement par Rue89, n’avait pas été trop fortement répercutée par le reste de la presse (tout comme les exclusivités de Bakchich n’étaient reprises que parcimonieusement). Postérieurement à ces départs plus forcés que volontaires, Le Canard enchaîné (et quelques titres agricoles spécialisés ou confidentiels) relevait que Luc Guyau, ex-président de la F.N.S.E.A., le « syndicat» patronal des (très gros) agriculteurs et éleveurs, était nommé inspecteur général de l’Agriculture. Ce, au tour extérieur, par l’insigne faveur de Bruno Le Maire, ministre de l’Agriculture. Le coup était parti, on ne pouvait faire machine arrière.

Cette publicité explique sans doute pourquoi l’avocat Dominique Paillé va, lui, cumuler ses diverses fonctions rémunérées avec une autre, bénévole, de président du conseil d’administration de l’Office français de l’Immigration et de l’intégration. Bénévole, et sans secrétariat, sans autre voiture de fonction assortie de chauffeurs, indemnités diverses, cigares ou autres friandises ? Cela reste à voir. Car les prébendes de ces stipendiés des partis politiques dominants commencent, en période d’austérité et de hausse des impôts et taxes,  ou plutôt continuent de faire tache. Dominique Paillé, ancien porte parole de l’U.M.P., bénéficiera-t-il au moins d’un bon quota de nègres et d’imitateurs de signature (quand on a de multiples parapheurs pour une myriade de fonctions, on délègue aussi sa signature, sauf quand il s’agit de signer devant des caméras) ? On ne nous le souhaite pas, car tous ces gens ont un coût.

Luc Guyau préside on ne sait trop quel conseil de la F.A.O. et préside (« vicement », si ce n’est vicieusement) aussi le Conseil économique et social (moins  une sinécure, mais sans doute autant rémunérateur ou presque). Mais à 63 ans, pas question de céder la place à de plus jeunes, encore moins à des chômeurs, ou de renoncer à cumuler des fonctions. C’est pourquoi on l’a nommé inspecteur général de l’Agriculture. Soit, sans doute, vu son peu d’ancienneté, un bon à tirer sur les finances publique de moins de 5 000 euros (sauf erreur), en sus de tout le reste (dont les revenus de son exploitation laitière familiale s’étendant sur 160 hectares, activité largement plus subventionnée que celle des tout petits exploitants qui se suicident de plus en plus  jeunes). Cela fait désordre après les départs « volontaires » en retraite de Léon Bertrand, ex-ministre du Tourisme, et de Jean Germain, actuel cacique tourangeau, départemental, régional, &c., de l’Inspection générale de l’Éducation.

Léon Bertrand avait été nommé au tour extérieur (le fait du prince), Jean Germain fut peut-être autrefois qualifié pour émarger dans ce corps fort bien rémunéré (4 000 euros minimum). On ne le lui conteste pas. Mais comme l’écrit Christophe Gendry, de la Nouvelle République, comment a-t-il donc pu cumuler cette inspection inspectrice et superviseuse avec ses multiples activités, ne seraient-ce que représentatives ? Il n’est bien sûr pas répondu à cette question. Gendry, contraint et forcé de tenir le crachoir au maire de Tours pour le louanger d’apparence, et pour la circonstance de feindre de fustiger la presse en ligne qui forcerait le trait, voire reprendrait sans les vérifier les propres termes des rapports de  la Cour des comptes (et que fait-il d’autre, lui, Gendry, des rapports officiels ? Il les scrute, les décortique, les confronte aux faits ?), décoche cependant le coup de pied de l’âne. Il rapporte fidèlement les dénégations de Jean Germain mais rappelle que le maire ne déclarait à son journal, en mai 2009, que 3 600 euros de revenus autres que ceux de ses mandats électifs (plus de 7 500 euros à ce jour, et encore, selon des estimations portant sur les seules déclarations du maire, conseiller, &c., &c.). Cela ne colle pas du tout, du tout, avec les estimations de la Cour des comptes (environ 5 000 euros mensuels perçus pendant près de 20 ans pour faire semblant de cumuler visites officielles en tant qu’élu, voyages à l’étranger sous diverses casquettes, et ponte de rapports ou de notes dont on ne sait à qui attribuer la réelle paternité, hormis Wikipedia et sans doute la Commission européenne).

Gendry rappelle aussi à son lectorat que Claude Roiron, présidente du Conseil général d’Indre-et-Loire, reste inspectrice pédagogique de… l’académie de Paris. On espère qu’elle ne dispose pas que du TGV pour être partout à la fois, mais qu’un jet et un hélicoptère lui sont dévolus (pour de très rares déplacements dans l’académie de Paris au titre de ses inspections, mais permettant d’aller faire un tour au siège du parti ou dîner en ville, faire des emplettes, &c.). Claude Roiron, adjointe (P.S. de même) au maire de Tours, n’a que 48 ans. Pas question pour elle, contrairement à ces sexagénaires, de partir en retraite. Ses 4 500 euros nets mensuels tirés de ce poste, elle s’y accroche. Vous voyez ce que cela génère en points de retraite ? Voire en tickets restaurant, chèques de voyages, smiles, points de mistral gagnants ? Et d’ailleurs, pourquoi partir en retraite à 62, 63, 64 ou 65 ans ? En fait, Claude Roiron peut, ou a pu, faire valoir de réelles qualifications pour ce poste. Mais à quoi servent ces compétences ? Peut-être à obtenir l’accès à des documents pondus par d’autres et en faire faire une synthèse (par d’autres encore) à destination du secrétariat national du P.S. pour l’éducation. Some are born to command, d’autres voués à obéir et partir en retraite dès 62 ans après avoir cumulé des années de chômage et de précarité.

Il faudra un jour choisir. Soit supprimer la Cour des comptes (qui permet d’écarter de la vie politique quelques concurrents trop actifs, genre feu Philippe Seguin), soit supprimer toutes ces sinécures et prébendes, qui sont multiples, tentaculaires, disséminées, opaques, &c.

Si « on » les laisse faire, que croyez-vous qu’« ils » décideront ? Vous me posez la question, et bien, je vais vous répondre, comme disait l’autre : ils décideront de supprimer les commissions purement honorifiques et très peu rémunérées, les comités lambda en sommeil, et réformer en surface les autres, sacrifiant quelques emplois symboliques pour aussitôt en créer de nouveaux. Mais on a au moins commencé par marginaliser les cours régionales des comptes. Quant aux chambres territoriales des comptes, ce sont souvent des officines d’enregistrement, notamment en Polynésie française. Pas question de renoncer à nommer d’anciens ou d’actuels élus en tant que « personnalités qualifiées », en tout cas.

On pense ce qu’on veut de Michel Rocard, le délégué général français aux banquises en tant qu’ambassadeur au titre des implantations françaises aux pôles, mais au moins a-t-il eu la décence de renoncer à son mandat de député européen. En tout cas, son idée de descendre en-deçà des 35 heures de travail hebdomadaire est tout à fait viable : des Paillé, Germain, Roiron, Bertrand, Guyau et multiples consorts démontrent qu’on peut bosser  encore beaucoup moins que 35 heures… dans l’année ou la décennie. Mais aussi « travailler » bien au-delà de 65 ans. Montjoie ! On a trouvé la recette pour éradiquer le chômage en lez bonnes île et cité de Saint-Denis et tant au nord qu’au sud de la Seine ! Pour chaque « personne qualifiée », un suppléant, une adjointe ou un stagiaire très longue durée rémunéré au moins au tiers du montant perçu par le titulaire du poste. Cela ne représenterait finalement que trois à cinq fois le montant de l’allocation de fin de droits (et dispenserait de son versement). L’emploi serait évidemment à vie (l’embauché-e devenant aussi qualifié-e et succédant au titulaire grabataire ou décédé). Attention : les proches et la fratrie des titulaires ne seraient pas éligibles. Qu’en pensent les intéressé-e-s ? Une suggestion, un commentaire, Claude Roiron ? Luc Guyau ? Dominique Paillé ? Les (trop) nombreux autres ?

Post-scriptum – au fait, Madame la Commissaire (parlementaire) Martine Billard (coprésidente du Parti de Gauche), à propos des déclarations de revenus de Jean Germain, aucun commentaire ? aucune remarque ? même pas une hésitation ?

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

6 réflexions sur « Les gavés de la République »

  1. Et dire qu’il y a de plus en plus de gens qui se suicident parce qu’ils n’arrivent pas à vivre de leur travail ou leur retraite!
    C’est criminel !

  2. Ben, voui, il y en a, Ludo… Dont un mien cousin de Bretagne (de près de Rochefort-en-Terre) qui faisait du bestiau à viande (taurin). Et qui, père de famille, s’est suicidé, parce qu’il avait tout tenté et n’y parvenait plus…

  3. Vs pourriez demander les services d’un de ces agents de l’IGEN pour corriger les fautes d’orthographe de votre article ; au moins, ils n’auraient pas été payés pour rien !

  4. C’est pas gentil Jean-Marie vos 2 lignes ; Jef Tombeur se décarcasse à écrire et vous venez lui couper l’herbe sous les pieds. J’attends aussi quelque chose à mon sujet.

  5. Pour Jean Marie (dit Antoine Richardson ??? Allez savoir… ou qui a usurpé son adresse gmail), si c’est pour le « bidon » employé en tant qu’adverbe, je crois que je n’ai guère besoin d’un Igen (ben, voui, cela se prononce…).
    Pour le « attendus » mal accordé, je vous le concède et attendu qu’il me saute aux yeux, je le corrige (on ne le retrouvera donc plus dès que l’aurait procédé à la correction).
    Pour le reste, j’ai perdu assez de temps à vous répondre ; je vous laisse votre lexie SMS et le soin de relever les fautes, de les commenter, &c. Lez (pour « les ») s’agissant de lieux (non point de poissons), était volontaire.
    Merci à Eleina pour son appréciation.

  6. Salut Jef,
    Tu n’a pas à te justifier : « e »a’e humanum est » comme disait Baba le pirate dans Astérix…
    Pour l’erreur de Michel Rocard sur les 35 heures, il occulte le fait que le partage du travail n’augmente aucune production mais ses coûts, a tendance a stressé et contracté les marchés au lieu de les élargir par une politique plus volontaire sur l’emploi.

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