Franchement, ne découvrant pas le sujet de fraîche date, le bouquin de Mabrouck Rachedi aux éditions Michalon ne m’a pas subjugué. J’ai bien sûr maintes fois souri, trouvé des idées plaisantes, et je suis convaincu que le primo-accédant aux indemnités de chômage, aux allocations de survie, aux aides diverses y trouvera non seulement matière à penser, mais aussi à éviter certains écueils. En revanche, pour résister à la mouise, s’en remettre à ce guide du savoir survivre sans déprimer n’est sans doute pas plus efficace que le magazine Tips pour se préparer à la décroissance…

Ce livre plaisant à lire est paru en juillet 2007 mais les fermetures d’usines, les bilans du premier semestre pour les entreprises, et les licenciements diffus le replacent au devant de l’actualité. Il ne m’a pas subjugué. Ce n’est pas pour me faire une réputation de chroniqueur intègre qui a résisté au charme indéniable de l’attachée de presse des éditions Michalon, Gustavia Lashermes, que je le relève. Gustavia est craquante, non, je plaisante : elle est beaucoup plus que cela, et si vous trouvez des critiques cinglantes d’auteur·e·s de Michalon, interrogez-vous : Gustavia aurait-elle remis le chroniqueur à sa place après avoir subi un rentre-dedans trop insistant ? C’est vous dire…

Non, il se trouve que, lorsque j’ai vu que le magazine Tips était lancé par le fondateur de la revue « pipeule » Entrevue, je me suis senti interpellé par ce titre, Éloge du miséreux, de l’art de bien vivre avec rien du tout. Et je dois avouer que, d’une manière certaine, j’ai surtout trouvé un élogue du traîne-savate (lequel peut faire frénétiquement du sport, par exemple), du slacker. Mabrouck Rachedi consacre d’ailleurs ses meilleures pages aux slackers dont il se dit l’un des dignes (car digne, il l’était, le reste, le restera avec ou sans boulot salarié ou rémunéré) représentants de ce côté de l’Atlantique. Pour l’art de bien vivre avec peau de balle, l’appel à la « zen attitude » n’est pas mal du tout, mais question trucs et astuces, on trouvera mieux ailleurs. Il y a bien sûr des tuyaux pour déjouer les pièges du Pôle «  Emploi » et de ses plus zélé·e·s adeptes d’une promotion rapide, mais pour écornifler ou faire quelques sous, ce n’est pas le parfait guide de la débrouille…

Pour se blinder, mieux vaut Orwell, Lafargue, Russel…

Les meilleurs textes valant éloge de la paresse ou de l’oisiveté sont sans doute moins allègres parfois que la prose (fort plaisante) de Mabrouk Rachedi, mais on moins, on les trouve généralement gratuitement en ligne si on arrive à squatter un ordinateur public connecté. Voyez, ainsi, la défense et illustration de la mendicité par George Orwell. Il n’y a guère que le Malevitch que je n’ai pu trouver (si quelqu’un·e avait un lien vers un texte complet…), ni en français en texte intégral (La Paresse comme vérité effective de l’homme), ni en cyrillique ou toute autre écriture. Le texte, aux éditions Allia, est souvent vendu moins de six euros. Là, j’ai trouvé que pour les quelque 160 pages, composées en corps plus que confortable, avec un interlignage qui aurait pu être réduit, 14 euros, c’est honnête, sans plus. Il n’aurait pas été superflu de consentir un peu plus d’efforts pour réduire pagination et prix.

 

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 « Quand le travail est aliénation, quand nous devenons des zombies, nous souhaiterions que tout le monde baigne dans le même malheur. Parce que, hein, c’est quand même nous qui payons les impôts, non ? Eh bien oui, continuez de payer pour que le miséreux puisse vivre quand vous dépérissez. Ce sera autant de malheureux en moins. ». Question argumentation, c’est un peu rapide, jeune homme (ou déjà vieil homme usé par les galères, la faim, le froid, le manque d’hygiène ? allez savoir… Michalon en dit bien peu sur son auteur censé être un « jeune analyste financier multidiplômé dont le brillant parcours l’a conduit pendant plusieurs mois à fréquenter l’ANPE et à vivre avec le RMI »). Les ex-nouveaux précaires (surdiplômés en lettres, langues, sciences sociales, mais aussi ingénieurs surnuméraires, post-doctorant·e·s en biologie, &c.) auraient sans doute pu, très nombreux, mener un travail d’anthropologue pour structurer et étendre le propos. Formé, sans doute aux chiffres, à optimiser les ventes ou les placements d’un magazine tel Tips, ou Entrevue, Rachedi reste un peu superficiel, dilettente (et donc cohérent avec lui-même). C’est un peu court, mais distrayant.

Une table des matières éloquente

Sans doute formé à faire des présentations, des rapports délayant les infos pour faire semblant d’en avoir d’originales ou d’abondantes, Mabrouck Rachedi a au moins concocté une vraie table des matières. Certains chapitres sont décomposés en pratiquement autant d’entrées que de paragraphes (de vrais paragraphes, pas d’alinéas cependant). En voici un rapide et très incomplet survol (j’en saute et parfois des meilleures, en tout cas de bonnes, d’entrées…).

 I – Bienvenue dans un monde de condescendance, de précarité et de misère…

• la tarte au chômage ;

• les formations : et au milieu coule une rivière.

II –  Préserver ses acquis sociaux

• Face au conseiller ANPE
~ Le profil du non-emploi

a) les lettres de refus ;

b) le projet X.

• Face à l’assistante sociale ;

• Face au formateur ;

• Les lettres de motivation

3) les lettres manquées

a) l’acrostiche freudien du winner

b) le « téléstiche » freudien du loser

c) la « méthode Coué » du miséreux

• En famille

III – Survivre en milieu hostile

IV – Le miséreux face à ses prédateurs

• le « sarkozyste » ;

• le recruteur.

V – Les joies de la misère

VI – Le nirvana du précaire : le slacker.

Bref, cette table couvre les pp. 163-166 et le « mot de la fin » et non de la « faim » précède, à partir de la p. 159. J’en ai vraiment sauté, des entrées. En revanche, Mabrouck Rachedi ne « tire pas à la ligne  ». Enfin, pas trop

Encore un court extrait ? « Fixer un mur blanc pendant une heure, quand ce n’est pas un Malevitch, c’est un véritable sacerdoce, cela demande un entraînement forcené, un art de la paresse consommé. (…) Neuf fois sur dix, la journée se terminera comme cela, dans la contemplation de son nombril ou de celui de son voisin ; très rarement, elle se poursuivra dans un cocktail, une soirée, un bar, un concert, un vernissage…». Pour ne pas être slackerissime, l’auteur a donc consacré du temps à son ouvrage pour Michalon (et sans doute beaucoup plus de temps à convaincre divers autres éditeurs). Mais il parvient, en slacker modéré, à devenir cet « espèce de magicien délivré du mensonge d’être vrai. À l’image du poète de Mallarmé, il est tel qu’en lui-même, mais l’éternité ne saurait le changer. ». Admettons.

En tout cas, livrez-vous, à l’aide d’un moteur de recherches, à une exploration de la Toile en partant de l’expression « Mabrouck Rachedi ». Vous devriez trouver d’autres choses divertissantes, voire émouvantes.  Mandor, journaliste de radio de 77FM à Meaux, semble, sur son blogue-notes, convaincu par Le Poids d’une âme, l’autre livre de Rachedi. Laissez-vous peut-être convaincre vous aussi par ce roman ayant pour thème la banlieue. C’est chez Jean-Claude Lattès éditeur, qui nous dit que Rachedi, né en 1976, vit à Vigneux-sur-Seine, est titulaire d’un mastère (ex-DÉA) d’analyse économique. Cherchez un peu davantage sur la Toile. Il en vaut la peine…