Selon Aurélie Filippetti, la seule légitimité d’une ou d’un ministre serait d’avoir été aussi désigné par le peuple. Allons bon… Certes, nous n’en sommes plus aux temps de l’absolutisme où les ministres étaient désignés soit au bon vouloir du monarque (sous la pression de l’aristocratie et des corps constitués d’alors selon les cas) ou en fonction du mérite (les vizirs des sultans ottomans étaient parfois d’anciens « esclaves » s’étant distingués). On conçoit bien qu’il est souhaitable que le Premier ministre soit issu de la classe politique (même si Raymond Barre ou Dominique de Villepin n’ont pas démérité sur tout), mais les autres ?

Voilà donc une phrase qui semble frappée au coin du bon sens : « je suis prête à prendre le risque de perdre mon poste au gouvernement. La seule légitimité, elle vient de l’élection au suffrage universel, c’est indispensable. ».

J’éprouve de la sympathie pour cette ministre qui, sans doute, du fait de ses origines sociales, n’aurait pas rejoint l’appareil d’État sans être passée par un cabinet ministériel (condition parfois suffisante mais non nécessaire) et l’élection.

Pourtant, en ne recueillant que moins de 14 % des voix (sous la bannière des Verts), aurait-elle démérité, était-elle alors « déméritante » ?
Plutôt assez bien élue sous étiquette socialiste dans la huitième circonscription de la Moselle, a-t-elle besoin, personnellement, de se représenter ? Après tout, il suffirait, selon ses dires, d’avoir été au moins une fois élue du suffrage universel, ce qui est d’ailleurs le cas de Najat Vallaud-Belkacem, qui restera peut-être conseillère municipale, et a préféré, elle, ne pas risquer de prendre une gamelle dans une circonscription lyonnaise plus difficile que celle de Metz.

 

Mais pan, aussi, sur certains sénateurs. Lesquels sont souvent aussi des élus locaux, mais que de grands électeurs, leurs pairs et d’autres, désignent. Or, ce ne sont pas forcément les sénateurs les mieux désignés par le peuple qui font le meilleur travail législatif.

Cela vaut d’ailleurs aussi pour quelques caciques de divers partis qui siègent au Parlement européen ou se contentent d’y émarger.

En fait, l’obligation faite aux ministres de l’emporter ou de se démettre vise surtout à placer des suppléantes et suppléants qui seront encore mieux censés bien se comporter en ne mettant pas en cause les propositions gouvernementales à l’Assemblée nationale.

Élu·e ou non, c’est quoi l’essentiel ?

Aurélie Filippetti n’est pas déplacée à la Culture mais je ne me souviens pas qu’André Malraux fut tenté d’être adjoint au maire de son village. Le prestige culturel français lui doit quelques réussites mais surtout ce que l’on nomme encore la « culture populaire ». Espérons que Filippetti, maintenue au ministère, saura axer son action sur la culture populaire et moins sur l’acquisition par les Fracs d’œuvres contemporaines conceptuelles aux portées énigmatiques. 

Nombre de bons ministres, issus de la « société civile », ont aussi été battus lorsqu’ils se sont présentés devant les électeurs, les gaffes ou la mauvaise gestion de leurs collègues, ou l’usure du pouvoir d’un président, leur ayant valu ce camouflet, bien davantage que leurs actes gouvernementaux.

Ce genre de déclaration ne vaut guère mieux que celui de la Morano qui critiquait Cécile Duflot pour s’être présentée en denim à sa cérémonie d’investiture. C’est sans doute davantage le fait que la nouvelle ministre ait emprunté un RER et non la première classe d’un TGV (ou une limousine avec chauffeur) qui a pu défriser ainsi l’ancienne ministre. J’approuve donc Roselyne Bachelot-Narquin qui a estimé (comme je l’avais pensé) que mieux vaut un jean fabriqué en France qu’un tailleur tissé et siglé ailleurs.

Roselyne Bachelot qui, localement, savait prêter l’oreille aux « corps intermédiaires » angevins, soit aussi aux syndicats que Nicolas Sarkozy avait flatté avant de les mépriser verbalement, n’a pas forcément été la meilleure ministre, liée qu’elle était par les directives de l’Élysée. Qu’elle ait été plutôt bien élue dans le Maine-&-Loire ne lui a guère conféré davantage de poids.
En revanche, du fait de sa personnalité, elle a peut-être réussi à nous épargner quelques mesures qui auraient été diversement appréciées, on finira éventuellement par le savoir…

Les premiers pas d’un gouvernement ne se mesurent pas à l’aune de quelques phrases, ni d’ailleurs à la déclaration d’Ayrault de ne réinstaurer la semaine de cinq jours dans les écoles qu’après concertation. La décision, figurant au programme, maintes fois réaffirmée, s’appliquera. Comment, c’est là la question ? De manière rigide uniformément ou pas, cela ressortira sans doute de consultations.

Pour le moment, ne nous voilons pas la face, le gouvernement en est un de transition. Il a pour mission de faire élire des candidates et candidats (parfois suppléantes et suppléants de ministres), et de réagir aux affaires courantes ou au cas d’exception (ce serait le cas en cas d’attentat, de mouvement social violent, de catastrophe naturelle, de problèmes extérieurs cruciaux).

Le fait de ne pas reconduire dans leurs portefeuilles des ministres qui prendraient une déculottée (même de très faible ampleur) ménage l’avenir. Soit peut-être de faire de la place pour des successeurs bien élus, issus d’autres formations de la future majorité présidentielle que le PS ou les Verts. En clair, peut-être, de ménager un strapontin gouvernement à des élus du Front de Gauche (PCF et Parti de gauche). Ce qui serait d’ailleurs conforme à la pratique, aux traditions républicaines.

Petites phrases superflues

 

L’UMP a beau jeu de dénoncer un gouvernement plus « coûteux » que Fillon I, plus restreint en ministres et secrétaires d’État, mais à peine moins dispendieux, du fait des frais de sondages et de communication, du nombre des conseillers internes et externes aux cabinets. Les suivants gouvernements Fillon ont été plus onéreux que – pour le moment en tout cas – l’actuel.
34 ministres, c’est sans doute un peu trop, mais cela rallonge la liste des candidates et candidats qui peuvent se targuer de la fonction pour solliciter le clientélisme d’électorats locaux imaginant que leur suppléant aura plus de poids pour tirer vers la circonscription divers avantages. Bah, le réflexe est assez naturel.

Le plus important, ce me semble, sera que Jérôme Cahuzac, qui fait ses preuves à l’Assemblée nationale, soit réélu et reste au Budget. Pourtant, a priori, rien ne l’y destinait. C’était au départ un chirurgien… capilliculteur. Il fut parachuté, élu, battu, réélu dans le Lot-et-Garonne. C’est dire à quel point le fait d’avoir été battu ou de n’être pas naturellement destiné à un poste particulier (là, il aura certainement à se faire des cheveux, mais pas les mêmes) est si crucial.
Il semble en revanche normal que, du fait du non cumul des mandats, il laisse à un adjoint la mairie de Villeneuve-sur-Lot, tout comme il avait déjà cédé la présidence de la communauté de communes du Villeneuvois : on ne peut être partout.
J’ai eu le plaisir de le rencontrer, c’est un homme brillant, très mesuré, pragmatique, compétent.
Son adversaire, Jean-Louis Costes, UMP, considère que s’il était battu, ce serait Jean-Claude Gouget, suppléant de Cahuzac, qui siègerait et que cela constituerait une « escroquerie intellectuelle ». Onze ministres du gouvernement Fillon I s’étaient présentés aux législatives, et Alain Juppé, remercié par les électeurs, retourna à Bordeaux, les dix autres laissant la place à leurs suppléant·e·s.

 

C’est dire ce que valent ces belles paroles, celles d’Aurélie Filippetti comme d’autres, du bord adverse. Après le bruit et la fureur des présidentielles, souhaitons qu’on parle moins du maquillage de la Morano ou des chaussures de la Duflot, et qu’on épargne des considérations bien peu en rapport avec les urgences du moment…

Camp présidentiel et Front de Gauche

Le fait que le Front de gauche et le PS et les Verts ne soient pas parvenus à un accord électoral est bien plus important que les questions sociétales (par exemple l’homophobie ou l’homophilie) dont nous serons, sans doute, hélas, abreuvés. Parmi les ministres qui pourraient en pâtir figurent, estime-t-on, Marie-Arlette Carlotti (Marseille), peut-être Stéphane Le Foll (Sarthe) qui affronte le suppléant de Fillon. Les handicapés s’en remettront peut-être, il n’est pas sûr que les agriculteurs – surtout les plus en difficultés – gagnent à une défaite de Le Foll. Ce dernier avait cru bon de prédire un accord avec le Front de Gauche. Le PCF ou le Parti de Gauche lui opposent une candidate (Chantal Hersemeule, Youssef Ben Amar étant suppléant).

Le FdG présente Luc-Marie Faburel dans la cinquième sarthoise, où il dispose d’une bonne assise locale. On verra ce qu’il en sera, si Jean-Luc Mélenchon viendra au Mans ou dans la circonscription de Le Foll, si des poids lourds du PS feront le déplacement…

Mais on ne voit pas trop le FdG devoir endosser la responsabilité d’une cohabitation. En fait, accord global ou pas, de légers arrangements entre « adversaires » pourraient cependant intervenir. Mais on ne voit pas François Hollande laisser remplacer le ministre de l’Agriculture, un proche, par un PCF ou un PdG. Mais rien ne peut être exclu d’avance. Pas même une campagne très molle de Fillon pour conforter son putatif remplaçant. Ce sera en tout cas une circonscription à surveiller de très près. Bien sûr, on aimerait y voir débarquer Rachida Dati en salopette et bottes de caoutchouc pour soutenir le candidat UMP, ce qui serait cocasse. On espérera surtout que Le Foll s’engage, sauf circonstance exceptionnelle, de prendre le TGV et non un avion du Glam pour aller mener campagne dans la Sarthe. Plus que les phrases, certains actes symboliques frappent les mémoires.

Les candidats du camp présidentiel le savent bien : c’est à nombre de ces actes qu’ils doivent la victoire de François Hollande. Alors… prudence !