Je ne sais que penser du test de lecture rapide proposé par un site britannique. J’en serais presque à me demander s’il ne s’agit pas d’aguicher en donnant l’envie d’acheter des tablettes ou les livres électroniques. Mais comme je raffole des débats stupides sur des questions futiles, peu importe… Lire en ligne ou sur un device (dispositif) favorise-t-il la rapidité de lecture aux dépens de la compréhension des textes ? Allez savoir…

Avec l’ami Tom Coraghessan Boyle, auteur prolixe, nous avions assez longuement débattu, au cours de la décennie 1980-1990 (pour situer, je ne me souviens plus de l’année exacte), des avantages (connus) et présupposés inconvénients (supputés) de la saisie dactylographique par rapport à celle au clavier informatique. Il est notoire que T. C. Boyle résista longtemps.
D’autres écrivains de langue anglaise (rares, il est vrai) continuent d’actionner les touches de vieilles « bécanes », déplorant que le dernier réparateur britannique n’aura sans doute pas de successeur. Ces die hard avancent divers arguments ; l’un, particulièrement farfelu, ce me semble (à moins de disposer d’un périphérique de saisie particulièrement silencieux, et il en fut), reste que le son de la mécanique les accompagne et rythme leur style. C’est un peu comme écrire avec en fond sonore un accompagnement musical particulier : on peut en discuter sans fin.
Faire offre : je dispose encore d’un Mont Blanc dont la pompe à encre est cassée et je me suis dispensé depuis belle lurette du réjouissant crissement de sa plume sur un papier que je serais sans doute bien mal loti s’il fallait en retrouver une texture similaire.
Mais peu m’importe.

Dactylographe, sur machines à touches et tiges, je m’étais imaginé, en saisissant jusqu’à 60 mots à la minute, me situer dans les meilleurs des « moyens » (quelques « bêtes de concours », il en était d’organisés, doublaient, triplaient ce résultat).
J’en venais stupidement à considérer que je je tapais aussi vite que je lisais. En fait, pour être un bon dactylographe, il faut saisir à l’identique et ne pas du tout chercher à comprendre le texte. Du temps de Proudhon, cela avait été déjà constaté car des typographes analphabètes (pouvant peut-être nonobstant signer de leur nom et non pas d’une seule croix), des femmes (horreur ! des femmes dans un atelier ! c’était l’opinion de l’époque), composaient plus rapidement que leurs homologues se piquant d’être aussi des lettrés.

Il m’est impossible de saisir sans vraiment lire. Soit au moins tenter de simultanément décrypter le sens général d’un texte. De toute façon, passant à la composition professionnelle, sur machine à boule(s), ayant pratiqué la « marguerite » (machines Olivetti), puis dès 1980 un pas trop compact clavier d’ordinateur vraiment portable (et non transportable, distinction d’époque), j’ai bien évidemment amélioré encore ma vitesse de frappe, mais, ô ravages de l’âge, sa qualité a fort décliné : je commets des coquilles et des fautes d’orthographe ou de syntaxe à la pelle (tout est relatif) par rapport au passé.

Nécessaire distinguo

Pour la lecture, il en est de même que pour la dactylographie. La vitesse sans aucune coquille, soit même en reproduisant celle(s) de la copie, est la seule valide. On peut donc lire sans trop bien comprendre et rater des éléments essentiels à la compréhension.

Il avait été allégué que feu le président J. F. Kennedy s’était entraîné à la lecture rapide selon la méthode d’un manuel qui fit date avant d’être complètement oublié. J’avais tenté, puis renoncé. L’un des grands spécialistes français de la lecture, le regretté François Richaudeau, avait préconisé de réformer la ponctuation typographique pour améliorer tant la rapidité de lecture que la compréhension. Ses thèses furent discutées (et critiquées) à l’infini aux Rencontres de Lure.
S’agissait-il de « subterfuges » ? Faudrait-il en revenir aux abréviations du temps des copistes et des incunables ? Pour situer plus largement le problème, la plupart des spécialistes de la typographie citent le cas des frakturs (les prétendues Juden Schriften, bonne blague, mises aux nues puis vouées aux gémonies par le nazisme), rapidement lues par les germanophones, ardues à décrypter par d’autres, avant que les helveticas et autres arial-like soient considérées le nec plus ultra de la lisibilité. Je résume, un siècle (et au-delà) n’a pas suffi pour s’accorder sur ces sujets, un nouveau n’y suffira peut-être pas. 

Le test du site Staples (.com) emploie une times-like (avec caractères à empattements, de nouveaux considérés plus faciles à lire) et une mise en page(s) de livre électronique. Important, la mise en pages. Ce dont l’on est absolument sûr, c’est qu’elles ne se valent pas toutes, que plus les lignes sont longues, s’étirent, plus l’interlignage est serré, moins on lit vite. La colonne de texte (unique le plus souvent pour un livre, rarement telle dans une publication de presse) ne doit être ni trop longue, ni trop courte (cas trop fréquent des légendes jouxtant, à d. ou g., un visuel). 

Là, avec ce test, nous sommes dans les normes fluctuantes mais recommandables. 

Lire et comprendre

 

Je ne connaissais pas le texte original de H. G. Wells d’abord proposé, et l’ayant lu à une vitesse moyenne, je n’ai su répondre qu’à deux des trois items posés après avoir parcouru le passage.
Plus long, celui issu d’Alice aux Pays des merveilles, beaucoup plus familier, m’a permis de réaliser une performance honorable et de répondre correctement aux trois questions.

Mais moi qui me targuait de lire l’anglais à la vitesse moyenne d’un étudiant d’une université anglaise ou américaine, j’en fus pour une déconvenue.

Hors affiches, inscriptions utilitaires, je lis aussi souvent de l’anglais que du français courant, mais resterai donc tant en-deçà des performances d’un Bachelor of Arts ? 

Selon diverses études, les personnes lisant beaucoup en ligne ou sur écrans se livreraient à un balayage du texte, bondissant d’un groupe de signes à un autre (relire Richaudeau et d’autres sur le sujet), beaucoup plus rapidement (jusqu’à 700 mots/min) que la moyenne (aux alentours de 300 pour l’anglais, les mots de l’anglais moderne étant généralement plus courts que ceux d’autres langues dites occidentales).

Évidemment, pour donner un exemple, en français, on lit certainement beaucoup plus vite le fameux « anticonstitutionnellement » (surtout si l’on est un juriste constitutionnaliste) que d’autres mots plus courts mais peu usités, nous semblant insolites. D’ailleurs, ces bonds dans la lecture, ne les avez-vous jamais pratiqués lors de la consultation rapide d’un mode d’emploi, en le feuilletant sans recourir à la consultation de sa table des matières ? Je ne sais si ce parallèle est abusif, mais vous voyez l’idée. 

 

L’extrait de La Guerre des Mondes, de Wells, comportait un toponyme, Woking, dont je n’ai pu me souvenir, tandis que le passage de Lewis m’a permis de mieux mémoriser, puisqu’en fait je me remémorais les divers vocables et termes. Tous ces tests sont donc plus ou moins biaisés, et je mets au défi toute jeune personne anglophone nourrie de collection Harlequin ou de comics de lire à la vitesse moyenne le succédané de rendition (transcription pseudo-phonétique, ici) du cockney de la pièce de G. B. Shaw, Captain Brassbound’s Conversion. La lecture de paroles de rap américain me semble certes ardue, mais à présent plus aisée que “theres n’maw true demmerettick feeling eah than there is in owl bloomin M. division of Noontn Corzwy coppers" (Drinkwater, op. cit.).

Mais toutes choses supposées égales par ailleurs, je signalais voici peu que la King James’ Bible nécessitait 80 heures pour en finir la lecture orale. Moins sans doute in petto. Mais, selon les moyennes constatées, la traduction vers l’anglais de Guerre et Paix exigerait 187 heures (soit, pour les quelque 560 000 mots, près de 12 000 minutes). J’en reste pour le moins perplexe. Woody Allen, sur scène, se targuait de l’avoir lu en 20 minutes pour conclure : « ça parle de la Russie ».

Intérêt, état d’esprit

L’anecdote n’a peut-être que peu d’intérêt, mais elle est authentique. Une amie russophone lisant fort bien le français reçoit une assez abondante documentation supposée la concerner et impliquant des conséquences financières et administratives pour elle. Elle préfère me consulter pour que je lui explicite ce à quoi elle était présumée être tenue (s’inscrire à une caisse de sécurité sociale pour travailleurs indépendants).
Pourtant, pourtant, en bas de toute première page, une inscription en assez grosses lettres capitales (moins lisibles que les bas de casse, certes) lui indiquait très clairement qu’elle n’était en rien concernée par cette petite liasse de feuilles (son statut d’auto-entrepreneuse l’en dispensant). Elle avait pourtant lu et relu, mais, trop anxieuse peut-être, l’essentiel (que j’ai repéré de suite) lui avait échappé.

Davantage que le support (imprimé, écran à leds ou autres…), ce qui me semble primordial, c’est l’implication de la lectrice ou du lecteur. Par rapport au sujet, voire à l’auteur·e (le style de Djian est assez fluide mais celles et ceux qui l’adulent ne voudraient absolument rater la portée d’une seule de ses figures ou allitérations, &c.).
Tenez : les contrepets, c’est un peu comme les mots croisés. Certains en saisissent immédiatement le sens suggéré, d’autres calent indéfiniment. Pour réussir les mots croisés d’un cruciverbiste pointu (Max Favalelli, Scipion, Gibeau…), une connivence est nécessaire.

 

Je « lis » très vite des albums de BD, un ami lecteur vorace d’essais, brochures, livres, études, &c., les parcourt fort lentement : il s’attache davantage au dessin, au décor. Un typographe ou metteur en pages, très sensible au gris (ou à la « couleur ») typographique, soit à une foultitude de petits riens qui n’en sont pas pour lui, se trouve dans une disposition « similaire ».

Consultez donc la page « lecture rapide » de Wikipedia. Voyez aussi la version anglaise (qui donne Anne Jones pour championne mondiale avec 4 700 mots lus à la minute et un taux de 67 % de compréhension).

Doigt et curseur

Trouver deux manuélistes parfaitement d’accord sur tout ce qui freine ou accélère la lecture me semble une gageure (pas seulement parce que les éditeurs veulent du nouveau, et non point uniquement une reformulation d’un ouvrage préexistant). Alors, ce qui valait pour l’imprimé le vaudra sans doute tout autant pour l’écran.

Mais tout comme il fut préconisé de lire « avec le doigt » (suivre le faire plus ou moins suivre ou précéder le parcours visuel), on peut s’essayer, à l’écran, de modifier son curseur pour le rendre plus discernable, ou de surligner au fur et à mesure de la progression. Essayez donc, puis tentez de trouver des tests en ligne (refaire les mêmes ne serait pas significatif), il s’en trouvera sans doute bientôt maints autres.

 

Perso, intuitivement, je conseillerai plutôt de lire ou relire certaines des moins connues fables de Jean de la Fontaine. Il n’est pas du tout assuré que cela améliore la vitesse de lecture, mais cela garantit de bons moments. 

Nous y voyons premièrement :
Que ceux qui n’ont du monde aucune expérience
Sont aux moindres objets frappés d’étonnement :
Et puis nous y pouvons apprendre,
Que tel est pris qui croyait prendre.

(Le rat et l’huitre – ou huître à l’époque).

Les paroles des chansons de Boby Lapointe ou celles des sketches de Raymond Devos devraient aussi devoir aider et puis, se coucher tard ne nuit pas tant.

En matière de processus de lecture, les plus férus, congrus, s’y laissent parfois prendre… souvent s’illusionnant pour maintes bonnes raisons que leurs successeurs estimeront mauvaises.
Kart Kraus n’avait pas tout à fait tort en estimant que « les confiseurs de l’esprit livrent des fruits confis de lecture. ». La lecture n’est pas que chose sérieuse et il se peut fort bien que les écrits qui lui sont consacrés le soient encore moins. Qu’on pignoche ou engloutisse un livre, comme l’écrivait Bernard Pivot, est finalement secondaire. Quant au processus même, sur papier ou autre support, attendez-vous à lire tout et son contraire. Eh, après tout, c’est toujours lire !

Pour preuve : si vous êtes parvenu à cette ligne, vous avez lu un peu de tout et de n’importe quoi. Au final, cela valait mieux que de se casser un bras…