Les Niçoises et Niçois seront sans doute surpris de découvrir qu’il a fallu qu’un média national, Mediapart, s’y intéresse de près pour que soit révélé qu’une unité hospitalière de pointe de la ville, l’Institut universitaire de la face et du cou (IUFC) ne disposait pas d’eau potable. En cause, sans doute le circuit de plomberie interne, un manque de pression, qui concourent à ménager des foyers de contamination d’un bacille (entre autres éléments). Une véritable histoire de cornecul, complexe, qui peut soulever un doute sur l’attribution des marchés de réalisation de bâtiments publics dans la région niçoise.

Le 7 juin dernier, soit près de deux bonnes années après l’ouverture de l’Institut universitaire de la face et du cou de Nice, la section CGT du Centre (hospitalier Antoine Lacassagne (Cal) diffusait un tract intitulé « Potable ou non potable, l’eau de l’IUFC). Ce n’est que le 21 juin que Nice-Matin faisait état de l’affaire, en donnant la parole à Michèle Viot, une responsable licenciée du laboratoire du Cal.

« Ils ont tenté d’étouffer l’affaire en faisant pression sur le personnel », indiquait cette médecin. Réplique, en substance, de la direction de l’IUFC : elle fabule. La Dre Viot insiste, elle aurait été licenciée « sur la base de faux témoignages ». On lui a reproché des faits de harcèlement.

En fait, il y a deux versions, deux hypothèses : comme l’Agence régionale de Santé (Ars) était informée, dès l’ouverture du Chu, le 22 août 2011, Michèle Viot a pu s’estimer couverte… et ne pas se retrouver poursuivie en cas de contaminations frappant personnels et malades. Ou, comme le soutient son employeur, elle prend prétexte d’un problème mineur, résolu, pour obtenir de copieuses indemnités devant les Prud’hommes. Point final pour Nice-Matin, qui signale juste en légende d’une photo que la médecin envisage une action au pénal.

Ah la presse quotidienne régionale ! Passez muscade… Serait-ce parce que le dossier est trop complexe pour une rédactrice, un reporter ? Pas du tout… Parce que la place, le papier est compté, sans doute, mais il y avait de quoi rédiger jour après jour, un véritable feuilleton. Ou tout simplement car la rédaction est « sous-staffée », que s’attaquer à un tel dossier supposait de faire des heures supplémentaires jamais payées, jamais récupérées, en-dehors de « l’agenda », lourd, sur lequel la rédaction en chef se penche tel un maillot jaune le nez dans le guidon ?

Sans doute un peu de ces trois raisons. Ou peut-être cela découle-t-il de la volonté de ne pas trop fortement mettre en cause le maire, Christian Estrosi, président, comme c’est l’usage, du conseil de surveillance du Chu ? Lequel, on le lui accorde fort volontiers, a découvert le problème comme un peu tout le monde, en septembre 2011. De telles mésaventures peuvent survenir dans toute commune, lesquelles sont parfois évoquées dans les réunions d’adjoints, ou pas… rarement en conseil municipal tant qu’un financement n’est pas soumis aux conseillers.

Dans son dossier fort documenté, en dépit du silence pesant et d’omissions d’interlocuteurs, Michel de Pracontal, de Mediapart, ne se penche guère sur les conditions d’attribution du marché de la plomberie de l’IUFC à la société Tunzini. Le groupe, spécialisé en plomberie et génie climatique, est lié à Vinci Énergies, implanté nationalement, mais surtout représenté à Aix et Nice.
La société n’est pas directement en cause, même si elle est responsable et pourrait devoir subir un très lourd contentieux, puisqu’elle n’a pas cherché à dissimuler les faits qui ne sont pas du sien, mais en découlent. Tunzini avait sous-traité le marché incriminé à Tuyauterie-soudure-bâtiment-industrie (TSBI), société  qui fut liquidée pratiquement à la veille de la mise en service de l’IUFC.

L’approvisionnement en eau de l’IUFC et du Cal est conforme, Veolia n’était pas en cause, l’eau parvenant aux bâtiments étant saine. Mais, du fait de causes techniques, elle stagne ensuite dans les canalisations intérieures. Le pseudomonas aeruginosa y prolifère, et changer partie de la tuyauterie, de la robinetterie, filtrer, bref, pour résumer, bricoler sans cesse, ne peut résoudre un problème qui peut être létal pour certains patients, incommodant pour d’autres comme pour le personnel, ou provoquer des lésions oculaires et diverses affectations non négligeables.

Dès la mise en service, il avait été indiqué au personnel de ne pas boire l’eau provenant aux robinets. Des bouteilles d’eau avaient été largement distribuées. L’Ars-Paca n’a pas nié les faits, mais n’a pu engager de mesures coercitives, est-il à présent indiqué.

Il a bien été déterminé que des « bras morts » dans le réseau interne contribuaient à la prolifération des bactéries et du bacille. Pour contrer, on dote le bâtiment d’un surpresseur. Puis on désinfecte, comme on peut. Le comité d’hygiène et sécurité du Cal est alerté qu’en attente de filtres desservant le réseau du rez-de-chaussée et de deux étages supérieurs (niveaux quatre et cinq), ceux-ci seront condamnés à fermeture temporaire. Enfin, évidemment, l’accueil du niveau un reste accessible, mais pas ses sanitaires.

Des patients ont pu être contaminés, car cela ne peut être exclu, mais il n’a pas été tenté de les faire revenir ou prévenir. On ne peut soutenir qu’il n’a pas été tenté d’agir sur les causes, mais rien de concluant n’a pu être réalisé pour mettre fin au problème. D’où l’adoption d’une autre approche, ajouter une dose de 0,8 mg/l de chlore dans le réseau. Que dire de cette concentration ?
Généralement, l’eau des navires et paquebots contient de 0,2 à 0,4 mg/l. Pour l’OMS, signale la société Lenntech sur son site, « la quantité maximum de chlore que l’on peut employer est de 5 mg/l et la quantité résiduelle (…) devrait excéder 0,5 mg/l après au moins 30 min de temps de contact. ».
Sauf que, en janvier 2012, il est constaté que la société Tunzini aurait abaissé le taux de chlore à 0,3 mg/l, ce qui pourrait avoir été insuffisant (et aussi moins coûteux).

En mai 2012, selon Mediapart, trois points de contrôle restaient contaminés au pseudomonas, dont deux lave-mains du personnel. En juin, c’est celui d’une chambre de malade qui est décelé positif. Et jusqu’à juin 2013, la concentration de flore revivifiable est fortement supérieure aux normes admises.

Mediapart résume : « Pourquoi l’IUFC a-t-il ouvert ses portes dans de telles conditions ? Comment se fait-il que les autorités sanitaires, en l’occurrence l’Ars-PACA, n’aient pu empêcher une telle situation, intolérable dans un institut hospitalier de haut niveau ? Est-il acceptable qu’aucune recherche systématique des patients susceptibles d’avoir été exposés à un moment ou à un autre n’ait été entreprise ? À aucune de ces questions, nous n’avons pu obtenir de réponse.  ».
Et on ne trouvera pas ces questions, et encore moins les réponses, dans Nice-Matin.

Le licenciement de Michèle Viot n’a pas été suivi d’un remplacement, mais d’une externalisation des contrôles du laboratoire de biologie-bactériologie. Le délégué CGT, Michel Chevallier, qui avait fait état du problème sur France 3, a été prié de s’intéresser à d’autres questions.

Le « meilleur », entendez le pire, restait à venir. L’arrêt de la chloration, contrôlée, afin de révéler de nouveau l’ampleur du problème. Ce « afin de constater la matérialité et la persistance du désordre vis-à-vis de l’entreprise Tunzini et de l’assureur Axa. ».

Ce lundi 15 juillet, Michèle Viot, pharmacienne praticienne spécialisée, restait mentionnée sur le site du Cal, dans son annuaire (accédé à 09:23), en tant que responsable du laboratoire de biologie. Il n’est en revanche pas sûr que son adresse de courriel soit toujours valide. Cela fait quelque peu désordre.

Le 24 juin dernier, la CGT diffusait un tract accusateur. La direction a retiré la responsabilité d’analyser l’eau au laboratoire de bactériologie, le Comité d’hygiène et sécurité n’a pas eu communication des analyses de potabilité de l’eau effectuées par des laboratoires extérieurs. La direction, possiblement à la suite de la parution de l’article de Nice-Matin, a repris la chloration du réseau.

Question face, l’IUFC semble l’avoir quelque peu perdue avec cette histoire, question coût, en revanche, il faut bien le rattraper quelque part.

La réalisation de l’ensemble du bâti avait été attribuée, après concours, à un cabinet d’architecture parisien, l’agence Michel Beauvais, spécialisée dans de tels équipements hospitaliers. Le cabinet regroupe une demi-douzaine d’architectes chef·fe·s de projets. Celui ou celle ayant été affecté·e à l’IUFC n’était pas joignable ce jour. De tels projets sont toujours surveillés par des architectes de suivi de chantier qui veillent au respect des normes. Mais doivent souvent se contenter de recevoir l’assurance que tout est en ordre. Il n’en reste pas moins que cette affaire constitue un précédent fâcheux… Surtout si des patients ou patients et leurs médecins traitants venaient à établir des relations de cause à effet, ce qui ne semble pas être déjà le cas, fort heureusement.

La suite (provisoire) :
http://www.come4news.com/risques-d-infections-a-l-iufc-de-nice-un-camouflage-politico-medical-487168