Le temps des sanglots longs

… des violons de l'hiver blessent mon coeur d'une langueur monotone…
Langueur et monotonie sont les indicateurs qui connaissent la plus forte croissance, avec le nombre de chômeurs, triste état des lieux d'un pays qui plus que jamais représente une bien vieille Europe.

La langueur tout d'abord, qui se définit comme un "Affaiblissement physique et moral qui réduit considérablement les forces et l'activité d'une personne", se propage avec une belle vitalité depuis les médias, revigorés par l'aubaine d'un sujet longue durée, ou les politiques persuadés de redevenir grâce à elle les acteurs majeurs de notre quotidien…

le café du commerce ou la place du village, le transport en commun et la machine à café sont les sites à risques de la pandémie. Une maladie bien étrange tout de même qui semble plus faire parler que d'engager à faire, une sorte de psychose qui se nourrirait plus de ce qui pourrait arriver au plus grand nombre que de se soucier de ce qui arrive vraiment à une minorité certes grandissante. Non pas que la crise soit virtuelle, mais elle est d'abord ressentie plutôt que vécue avec un écueil à venir non négligeable : l'écart ne cesse de grandir entre le fantasme et la réalité, en toute conscience. Logiquement, la consommation, les investissements sont les premiers touchés par cette vague de fonds mais peut-être ne représentent-ils que la partie émergée de l'iceberg. L'activité disparue et les emplis détruits sont plus insidieux mais certainement plus durablement pénalisant. Peut on soigner la langueur par l'agitation, l'exhortation ou la pédagogie répétée aux enfants citoyens ? pas sûr.
Parce que la monotonie nous rappelle que si la crise est annoncée exceptionnelle, rien ne change vraiment dans les jeux de pouvoirs, de carrières et d'argent. On voit ainsi successivement une Première secrétaire du PS et un Président en exercice jouer aux discours de campagne pour rassurer leurs camps respectifs, les non-annonciateurs de la crise en prévoir sa fin, un jour, enfin sûrement. Et des entreprises fermer parce qu'elles ne peuvent pas faire autrement et d'autres s'arrêter parce que les actionnaires le valent bien. Et des riches s'enrichir et des pauvres s'appauvrir. Le tout pouvant même réussir à susciter l'indignation, que dis-je, la colère, juste verbale, des plus audacieux à l'égard des odieux profiteurs. Ces affreux garnements souvent copains de promo, compagnons de vacances ou financeurs de campagne qu'il est à l'instant de bon ton de montrer du doigt… mais ceci avec l'impression de déjà vu qui plombe la portée des faux-semblants et génère au mieux indifférence, au pire rancoeur et animosité.
Parce que Verlaine déjà ne nous promettait pas le meilleur, il y a à plus qu'à s'inquiéter de cette crevasse à la fois sociale, économique et politique qui se creuse. "Tout suffocant Et blême, quand Sonne l'heure, Je me souviens Des jours anciens Et je pleure", vaste programme !
Parce que chaque jour qui passe ressemble furieusement au précédant, nous aurions à nous souvenir de jours très (trop ?) anciens pour regretter quoique ce soit. Mais cette situation n'est pas forcément plus saine.
Un Secrétaire d'Etat chargé de l'Industrie qui déclame "Trouver un partenaire économique, un partenaire industriel, un repreneur avant les échéances de salaire du mois de mars c'est difficile à faire en pleine crise", c'est assez peu révolutionnaire, non ?
Un ancien Secrétaire Général de l'Elysée préside une banque au nom de la déontologie à tel point qu'"En conscience, j'ai estimé que je pouvais ne pas saisir la commission", mais s'il n'y avait rien de répréhensible pourquoi diable vouloir sembler y échapper ?
Un doyen du Parlement et de l'extrême droite qui n'a plus toutes ses facultés et répète à l'envie qu'il y a des détails dans l'histoire de la Seconde Guerre Mondiale, ça ne vous rappelle rien ?
Le premier personnage du pays qui proclame "La France, la première a dit qu'elle ne laissera pas une seule de ses banques faire faillite. La France a tenu parole". c'était pas déjà dans les livres de l'histoire ?
Des polémiques à n'en plus finir sur des rémunérations pharaoniques accordées à des dirigeants d'entreprises en difficulté, presqu'aussi choquant que le coût des déplacements présidentiels au regard de sa popularité, non ?
On pourrait décliner à l'infini ces éternels abus de pouvoir qui lassent désormais plus qu'ils n'offensent ou révoltent. Et pourtant on peut encore s'enthousiasmer de quelques perles comme ces explications de David Martinon, consul général de France à Los Angeles, sur le fait qu'il roule en Jaguar sans en dénoncer le leasing : "Ayant déjà dû faire face à mon arrivée à une dégradation avancée des finances du consulat, que j'ai signalée au ministère des affaires étrangères, il n'était alors pas question d'engager une telle dépense."
Cela ne vous redonne pas un peu la pêche un truc comme ça ?
Et l'annonce d'un appui présidentiel pour que Johnny Hallyday assure le concert du 14 juillet ? via une petite participation de 500 000 euros vous esquisserez bien un sourire tout de même ! Et avoir des nouvelles rassurantes de notre Christine Ockrent, la sémillante directrice générale de la holding RFI, France 24 et TV5, c'est pas une bonne nouvelle ça ? savoir qu'elle touche déjà 310 000 euros annuels plus une part variable plus ses piges plus ses animations plus les rapports africains de son mari. Non là je vous donne une bonne info positive, une authentique success story, vous n'allez pas me casser l'ambiance quand même ?
Vous n'allez pas faire comme ce bon vieux Paul "Et je m'en vais Au vent mauvais Qui m'emporte Deçà, delà Pareil à la Feuille morte" ?
Ce n'est pas comme ça que l'on va en sortir de cette foutue crise. Restez, je suis sûr que l'on va encore bien s'amuser !