Parfois, il y a un détonateur. Quelque chose qui attire notre attention, sans qu’on sache bien pourquoi… Et parfois c’est par son absence même que cette chose nous saute soudain aux yeux…

 

Je me promène dans Lyon, avec mon pote Gérard et mon cousin Carlo… Pour être tout à fait honnête, il faut bien dire que dans ma tête, la ville de Lyon reste inextricablement liée à son important et hideux complexe industriel, implanté le long du fleuve au sud de l’agglomération et dénommé « le couloir de la chimie »

 

Il fait beau, alors nous marchons… C’est la première fois en plusieurs décennies que je vois cette ville sous le soleil, alors je ne me plains pas trop…

 

Monplaisir, l’Institut des Frères Lumière… le Pont de la Guillotière… la Place Bellecour… la Passerelle Saint-Georges…

 

Mon pote Gégé, lyonnais pure souche et qui adore cette ville, ne cesse de nous vanter le charme de la Croix-Rousse et du Vieux Lyon.

 

Mon cousin Carlo, lui, tatoué « Paris-Paname » dans le cœur, il trouve que Lyon, c’est un peu « la grenouille qui voulait être plus grosse qu’un bœuf… une province à la prétention d’une capitale -avec son métro ridicule (4 lignes!) et ses 9 arrondissements ?… »

 

Outré, il nous rappelle inlassablement comment pendant la période de l’Occupation, Lyon est devenue -juste après Vichy- la capitale de la collaboration… et en guise de mémorandum nous lance les noms de Paul Touvier, Henri Gonnet… sans oublier Klaus Barbie…

 

Au chapitre des comparaisons entre Paris et Lyon (ne parlons plus du métro), nous avons : des quais, des ponts, des péniches… le Rhône et la Saône en guise de Seine… de vieilles rues pavées…

 

Il y a bien comme une vague et lointaine ressemblance… Mais quelque chose manque…

 

Comme mon cousin Carlo, je cherche, je cherche…

 

Je regarde en l’air… au-dessus de ma tête, par-dessus les toits…

 

Dans les caniveaux… le bord des trottoirs…

 

Sans que je sache bien pourquoi, revenue tout droit de 1984, la chanson de Lizzy Mercier Descloux me traverse la tête… « Mais où sont passées les gazelles ? »

 

Sauf qu’ici, ce serait plutôt : « Mais où sont passés les pigeons ? »…

 

« Bon sang ! », s’écrie soudain Carlo. « Mais y a pas un pigeon dans cette ville !… Ils les ont tous tués ou quoi ??? »…

 

Interloqués, nous ne pouvons que constater avec lui, c’est un fait indéniable : il n’y a pas l’ombre d’un pigeon…

 

Dieu sait que je les déteste pourtant ces horribles oiseaux tout gris, plutôt moches et porteurs de bactéries -ces « rats-volant », ou « rats du ciel » comme on les appelle… sans parler de leur affreux roucoulement… n’empêche, leur absence finit par m’intriguer…

 

Plus tard dans la soirée, ma copine Ramona confirme et nous renseigne…

 

Effectivement, la municipalité de Lyon mène un combat quotidien contre les pigeons et des campagnes pour les capturer afin de les euthanasier sont lancées plusieurs fois dans l’année.

 

Côté alimentation, la ville lutte en s’efforçant de priver les pigeons de nourriture -faisant en sorte que les ordures ménagères soient rapidement collectées et que les places de marché soient nettoyées vite fait bien fait. Bien entendu, il est formellement « interdit de distribuer des graines aux pigeons ».

 

Ils étaient entre huit et dix mille il y a dix ans. Désormais, leur nombre oscille entre deux et trois mille (en données corrigées des variations saisonnières)…

 

« Notre objectif n’est pas de supprimer tous les pigeons, ce qui serait illusoire, mais de diminuer leur nombre et de limiter leur prolifération », souligne le docteur Philippe Ritter, médecin et directeur de l’écologie urbaine à la Ville de Lyon.

 

Ainsi, tout au long de l’année, les pigeons sont capturés lors de campagnes organisées contre leur prolifération. Ils sont ensuite euthanasiés à l’aide de gaz diffusé dans une enceinte fermée. La stérilisation -un temps envisagée- n’a finalement pas été retenue comme solution finale, jugée trop coûteuse et douloureuse (?) pour les pigeons.

 

Etonnant, non ? -ainsi que le disait Monsieur Cyclopède…

 

Un micro-trottoir improvisé le lendemain nous étonne encore davantage :

« Bonjour, vous êtes-vous demandés où étaient passés les pigeons ? »…

 

Certains habitants n’ont même pas remarqué qu’il n’y avait pas (ou plus, ou peu) de pigeons -on peut alors se demander : mais qui dérangeaient-ils vraiment ?

 

D’autres encouragent cette initiative -pour diverses raisons :

« leurs fientes constituent une gêne pour les Lyonnais »…

« les pigeons sont sales -et en plus ils sont laids ! »…

 

Les réactions sont variées :

« moi je m’en fous des pigeons : tant qu’ils nous en foutent pas dans les lasagnes surgelées ! »…

 

Il y en a qui sont bien d’accord avec le bon docteur Ritter -quand il rappelle que « Tous les ans, nous observons des chutes avec fracture à cause de glissade sur des fientes de pigeons »…

 

Içi, on nous accuse de mentir : de telles pratiques ne sont pas en vigueur…

 

Là, un ami des pigeons s’écrie : « c’est un génocide ! »

 

Un étrange monsieur en imperméable et lunettes noires semble hésiter :« peut-être que des chambres à gaz rescapées de la seconde guerre mondiale ne servaient plus à rien… c’est une bonne idée d’utiliser du vieux matériel -s’il est encore en état de fonctionnement bien sûr »…

 

Plus inquiétant, il en est pour se demander pourquoi on ne fait pas la même chose avec les chats errants… ou avec les chiens qui déposent leurs crottes partout…

 

Un trentenaire patibulaire au look para-militaire savamment étudié ironise joyeusement : « A Lyon, on gaze gratis ! »… Il ajoute en riant : « euthanasie pour les pigeons ! »…

 

Nous préférons interrompre notre micro-trottoir avant d’en entendre de pires encore…

 

Ca gaze à Lyon… mais pas seulement, puisqu’il semble que presque toutes les villes de France -à peu près 80%- fassent de même, capturant puis tuant leurs pigeons « dans un but sanitaire ». La plupart du temps cela est fait en cachette, les municipalités craignant -si cela venait à se savoir- une mauvaise publicité. « A Lyon, c’est seulement dans des proportions plus importantes, voilà tout » nous explique-t-on.

 

Ainsi -à titre d’exemple- les villes de Vincennes et Grenoble tuent leurs pigeons au gaz carbonique… On nous signale également à Metz (« L’Est Républicain », février 2013), une bien curieuse mission confiée par la ville à l’un de ses « agents salubrité" : afin de réguler la population de pigeons, il est chargé de tuer les volatiles capturés en leur brisant les cervicales (une méthode dénoncée par la Ligue de protection des oiseaux)…

 

En France, un bon pigeon est un pigeon mort.

 

Personnellement, je n’étais pas au courant… Carlo et Gégé non plus. Et vous ?