L’Union pour la Méditerranée alterne depuis sa création entre enthousiasme, moquerie et désillusions. Et pourtant loin de pouvoir susciter l’indifférence la récurrence de ses déboires doit nous permettre de nous demander si son échec, presque inéluctable, ne serait pas, à terme, une mauvaise chose. 

 Amorcée sur les ruines de l’Euromed, l’Union pour la Méditerranée (UPM), devait, selon Nicolas Sarkozy, être capable de réussir là où son prédécesseur avait été « lamentable ». Et pourtant deux ans et demi après sa création en grande pompe le 13 juillet 2008, l’UPM ne cesse d’avoir à affronter les mêmes écueils de l’Euromed. A tel point que la question de sa survie, de son utilité et de sa viabilité se pose très sérieusement. Ce projet ne serait-il que l’un des récurrents effets d’annonce et d’esbroufe de la pratique politique sarkozienne ?

Mais loin de la polémique partisane ou de la simple joute visant à discréditer Nicolas Sarkozy il semble intéressant de s’interroger sur les responsabilités structurelles de l’UPM dans cette suite de contretemps ainsi que sur les éventuelles solutions pour en sortir.

Et de fait le report récent du sommet de Barcelone qui devait avoir lieu le 21 novembre illustre les récurrentes et répétitives difficultés de L’UPM à pouvoir trouver le temps de réunir les chefs d’Etat des pays la composant. Car n’oublions pas que ce report fait suite à celui déjà enregistré le 7 juin 2010. De même il y a tout juste un an, les 24 et 25 novembre 2009, le sommet d’Istanbul avait, lui aussi, du enregistrer un report.

A chaque fois ou presque l’UMP semble devoir être rattrapée par le même problème. Celui des querelles et contentieux politiques qui minent la région. Nous faisons, bien évidemment, ici référence au conflit mère de la région : le conflit israélo-palestinien. Mais là n’y a-t-il pas l’unique source de discorde. Les arrières pensées à l’origine de la création de l’UPM, tant en matière de domination énergétique de la France sur ses anciennes colonies, grâce à ses transferts de technologies nucléaire, que le soupçon d’une UPM  servant d’adhésion au rabais de la Turquie à l’UE, pouvant servir de prétexte.

Mais tout de même le conflit israélo-palestinien reste la grande discorde qui sans arrêt plombe l’UPM. Car de fait le report du sommet d’Istanbul fin 2009 est à chercher dans un contentieux israélo-égyptien. Celui du 7 juin 2010 a pour origine l’épisode houleux de l’arraisonnement par l’armée israélienne de la flottille humanitaire à destination de Gaza. Les 43 pays membres de l’UPM avaient alors demandé un temps d’attente avant de pouvoir organiser un nouveau sommet qui mettrait autour d’une même table des représentants israéliens et des dirigeants de pays arabes. Mais dans l’intervalle il y a eu la reprise, en octobre, des constructions israéliennes dans les territoires occupés. Ainsi de nouveau le report du sommet du 21 novembre trouve à s’expliquer par le conflit israélo-palestinien ; et ce malgré les efforts des diplomaties espagnoles, organisatrices du sommet, française, à l’origine du projet, et égyptienne, en charge de sa coprésidence.

Parler d’une UPM risquant de finir comme l’Euromed revient dès lors à dire que cette première a minimisé dès sa création le poids des contraintes géopolitiques inhérentes à toutes tentatives d’entente diplomatique entre les pays de la zone méditerranéenne. C’est particulièrement visible avec cette question de la responsabilité du conflit israélo-palestinien dans les reports, mais d’autres anicroches le prouvent aussi. En effet l’UPM semble nier que ce qu’on appelle «  la Méditerranée » est en réalité une entité à la rigueur historiquement viable, mais géopolitiquement très morcelée.

Car l’UPM a une vision idéaliste de «  la Méditerranée ». Elle semble avoir oublié qu’en réalité elle se composait d’au moins trois sous espaces géopolitiques distincts aux logiques propres (Maghreb, Machrek, Europe). Et encore ne tenons-nous pas compte des projets initiaux qui espéraient inclure les pays du nord de l’espace subsaharien.

Il était donc parfaitement illusoire d’essayer de faire coopérer entre eux des pays si différents sans que n’apparaissent nombre d’entraves géopolitiques. A tous vouloir les inclure dans une zone géopolitique supposée commune, l’UPM prenait un risque qui aujourd’hui encore l’handicape. Et cette entrave lui étant initiale et consubstantielle, on peut nourrir de sérieux doutes quant à son avenir.  

A rester dans cet abord régionaliste on se rend compte que l’UPM aurait tout à gagner en s’inspirant des grandes institutions de coopération internationale qui existent déjà dans le monde. L’UE, plus particulièrement, pourrait lui servir d’exemple. Car à l’origine de l’UE il y avait la CECA, instance de coopération économique, mais au préalable les européens avaient essayé de régler nombre des différents qui auraient pu rendre cette coopération à terme non viable et impossible.

Ainsi si l’UE peut être un modèle pour l’UPM c’est bien qu’en son sein on a pensé la coopération après la réconciliation, alors que l’UPM croit possible l’entente coopérative entre des pays qui continuent à se vouer nombre de rancunes et de haine. Mais se pose alors la question du possible mimétisme entre l’UE et d’autres institutions tant cette première semble singulière, dans son fonctionnement, son origine ou ses présupposés. Ainsi voir en l’UE un modèle pour l’UPM est plus facile à dire qu’à faire. On s’en rend compte lorsqu’on fait le constat que l’UE a déjà pu servir de modèle à l’UPM dans cette idée de commencer par quelques coopérations ciblées avant d’aller vers des ententes plus abouties et complexes. En effet il s’agissait pour l’UPM, à l’origine, d’aller vers l’imbrication de deux pôles économique et social d’importance entre les deux rives de la Méditerranée. Tout d’abord la coopération nucléaire civile, et ensuite le contrôle de l’immigration. Par la suite aurait du suivre une entente économique plus aboutie.

Et pourtant malgré ce mimétisme assumé avec l’UE, l’UPM peine à trouver de la cohérence.

Une lecture trop rapide de ce qui précède pourrait incliner à croire qu’il n’y a là que fatalité et que si l’UPM échoue c’est qu’elle ne pouvait réussir et qu’elle ne réussira pas.

Pourtant à regarder de plus près on constate que rien n’est moins faux. Car des solutions existent. Rapidement donnons-en trois. Tout d’abord tacher de concrétiser l’exigence d’une dépolitisation ou d’une apolitisation de l’institution, par exemple par l’implication au niveau institutionnel d’acteurs issus de la société civile ou du monde entrepreneurial. Ensuite s’atteler, du coté français, à extraire la question des seules compétences exclusives de l’Elysée. Qui jalousement garde la main et l’initiative sur la question, sans admettre l’idée de pouvoir transmettre la question à l’UE par exemple. Enfin on admettra que la tentation d’aller vers une UPM avec moins de membres pourrait aider à guérir l’institution de ses maux.

Ainsi des solutions existent et il serait stérile de tenter d’abandonner en pure perte l’UPM à son triste sort. Un tel abandon serait dommageable car les trois constats géopolitiques qui présidaient à la création de l’UPM nous semblent, eux pertinents, et toujours d’actualité. En effet à l’origine l’institution se fixait un triple objectif : Tout d’abord sortir le sud méditerranéen de sa marginalisation et de sa « périphérisation » économique. Ensuite sortir du vide institutionnel qui jusqu’à présent rendait inexistant toute entente direct entre tous les pays du pourtour méditerranéens. Et enfin encourager les pays du sud méditerranéen à plus de responsabilité politique dans la résolution des problèmes lourds qu’ils peuvent connaître.

Or ce triple constat d’exigence semblant toujours valable il est évident qu’un abandon de l’UPM au sort inéluctable de son échec, en l’état actuel de ses carences, serait une mauvaise chose.