Nulle et aucun ici ne veut la disparition du Post (lepost.fr), la filiale Internet du Monde interactif et du groupe Le Monde. Même si, ipso facto, Le Post est « par excellence » (hmm, d’évidence, plutôt), le site d’information « concurrent » de Come4News. Du moins, si ce n’est de par ses ambitions, en raison de sa formule, du ton et de la nature de ses contributrices et intervenants. Sans évoquer une possible mais paraissant à présent illusoire émulation, tentons peut-être de faire valoir l’intérêt du Post que ses décideurs et financiers ont placé en sursis.

Les faits tout d’abord : Le Post, dès l’annonce de la reprise du groupe Le Monde par son actuel trio d’investisseurs (Bergé, Niel et Pigasse), était sur la sellette car trop peu rentable. Le revoici en sursis pour un semestre, selon une déclaration qu’on imagine récente de Louis Dreyfus : « vous avez six mois pour faire vos preuves… ». Solution ? Voici celle d’un « posteur » : «Dans le fond, les gens qu’est-ce qu’ils veulent voir sur Internet? Des articles sur l’Egypte, sur MAM, sur Sarkozy ?
Oui, bien sur, c’est ce qu’ils veulent voir
officiellement.
Mais dans le fond, les filles, ce qu’elles veulent voir, ce sont des LOLcats, parce qu’ils sont trooooop mignons. Et les mecs, ce qu’ils veulent voir, ce sont des seins, des poitrines, des décolletés. 
». Ce n’est pas Xavier Niel, issu du Minetel rose, qui s’offusquera de ce qui se révèle être une critique sous-jacente, mais récurrente, des contenus du Post, l’un des sites d’info en ligne des plus faux-cul de toute la Toile francophone. Oui, mais, Le Post, ce n’est pas que contenus lestes et déconnants. C’est aussi une sorte de « fil d’info » réalisé par une rédaction, des stagiaires, des pigistes, voire des « faux-nez », et d’un ou deux (ou trois, allez savoir) journalistes permanents.

Il est paradoxal que ce soit Tian (pseudonyme) qui, au prétexte qu’un autre Internaute ait préalablement diffusé un confidentiel communiqué de la rédaction, l’ait repris à son tour sur Le Post en tant que « chroniqueur invité » (pigiste masqué ? j’ignore mais…). Ironie du sort, sa contribution est labellisée « post non vérifié par la rédaction ». Traduisez, a priori voué à n’être débusqué qu’après une recherche approfondie via des moteurs, ou quelques rares posteuses et posteurs de longue date, appartenant à des groupes mis sous le boisseau par la direction, ou ayant créé des alertes. Pourtant, pourtant, une petite maline ou un petit malin a inclus cette contribution dans la 7:32 (l’équivalent, plus matinal, peu après 7 h 30, de notre bulletin quotidien sur Come4News). Traiter une information, c’est la situer dans son contexte. Pas besoin d’être grand médialogue pour analyser les tensions existant entre la direction, la redchef, et les équipes du Post, les titulaires et les autres.

Erwan Gaucher, de Cross Media Consulting, ayant titré « Le Monde veut-il tuer le Post à petit feu », Tian a repris un communiqué dont il devait connaître la teneur. Et en dépit des dérives du Post, ne serait-ce que pour un Tian, qui avait créé le groupe « N’oublions pas Julien Coupat », il faut s’intéresser au devenir de ce support d’information. On pourrait dire : un Come4News vaut mieux que deux, on l’a ! C’est vrai et faux à la fois. Tian en a rajouté en répercutant en « interne » (encore un « post non vérifié par la rédaction ») les craintes de la rédaction du Post évoquées sur France Info par Violaine Domon. Mettons que ce n’est pas selon une quelconque solidarité intersyndicale que je veux saluer le cran de Violaine Domon, qui ne s’est certes pas jusqu’à présent révélée de la trempe d’un Denis Robert ou d’un Nicolas Beau écrivant tout le bien qu’ils pensaient d’un Edwy Plenel, ancien du Monde et actuel patron de Mediapart. Mais bien parce que je pense que Le Post manquera au « paysage d’info en ligne » français, et donc à Come4News.

Bizarrement, mais comme d’habitude, les dérives rédactionnelles du Post sont restées l’objet d’un débat interne tandis que la survie de la rédaction, de ses emplois, amputée jusqu’à sept postes subsistants (donc, compte tenu des congés, des récupérations, réduite à encore moins) depuis quelques mois, est popularisée. Le déclencheur, un CDD qui évoque La Poste (l’ex-PTT), qui ne sera jamais en CDI, suscite un semblant de débat public. Contribuons à ce débat.

Si l’embauche et des moyens supplémentaires ne sont pas accordés, la « rédaction » (unanime ? Redchef inclus ? ) prendrait acte « que l’avenir du Post est déjà scellé ». En fait, Le Post n’a peut-être pas besoin de tant de moyens, de ressources humaines, que d’un autre fonctionnement, pour retrouver la rentabilité. Sept-huit postes à plein temps (même en tenant compte des congés) peuvent suffire. Mais peut-être faudrait-il en redéployer un ou deux pour assurer une modération qui ne soit pas imbécile, robotisée, frileuse et surtout sous-traitée. Les Internautes dérapent, soit. Mais les inviter à s’exprimer puis confier à un automate faiblard de traitement du langage naturel, à une pseudo-analyse sémantique, le soin de filtrer leurs contributions et leurs réactions est sans doute contre-productif. Je sais, l’autorégulation de Come4News prête aussi le flanc à la critique, et celle, en cascade pyramidale, d’AgoraVox, est décourageante (elle donne une prime aux habitués, la validation très lourde n’empêche pas des rivalités imbéciles, &c.). Mais si j’ai partiellement abandonné Le Post (plus de 700 contributions, plus de 8 000 réactions, 16 000 appréciations positives et seulement 15 contributions mises en valeur depuis septembre 2007), au profit de Come4News, c’est aussi en raison de la méconnaissance crasse du droit de la presse du sous-traitant.

Mais Le Post est aussi beaucoup moins guindé, comme Come4News, qu’AgoraVox, et on n’y reste pas qu’entre soi, comme sur Mediapart ou d’autres sites. C’est précieux. Cela s’accompagne d’inconvénients qu’on retrouve sur Come4News : des réactions intempestives, des contributions de peu de valeur informative, des marronniers (sujets récurrents) parfois trop nombreux. Mais c’est l’expression citoyenne : elle n’est pas censitaire (réservée aux mieux-sachant, aux piliers).

Le Post se voulait « participatif ». Mon cul, dirait à présent Zazie. On a survalorisé les contributions de la rédaction (parfois professionnellement faiblarde ou débordée surtout par la tâche) et celles des blogueurs associés, soit parce que, comme Tian ou Fred Lille, ils savaient pomper la presse régionale, soit parce qu’ils avaient déjà une visibilité, une notoriété. Comparez avec Come4News dont les imperfections, de ce point de vue discutables et patentes, sont aussi ses qualités.

Il s’agissait de créer une communauté et de favoriser des groupes affinitaires. Tout a été fait pour les marginaliser afin de « crédibiliser » le site. Fausse piste. On a créé plus de mécontentes et de réticents que de satisfaits. On a aussi dissuadé les vrais porteurs d’infos exclusives puisées hors des sentiers trop rebattus d’entrer dans la mêlée. Le spectaculaire supposé marchand a été privilégié, on a « ciblé ». On a voulu faire « presse professionnelle » de bon ton (Entrevue, parce que sans doute rentable, est de bon ton). Impasse pour un tel support. Et puis, on a fait « faux djeun », certes dès le départ, mais on raté ainsi le « passéiste » et « suranné » Hessel et tant d’autres.

Il a été fortement incité à formater « à la Le Post » les contributions externes, au point de privilégier la forme et non le fond. Certes, parfois, j’aimerais que Come4News soit mieux maîtrisé tant sur la forme (structurelle, informationnelle) que graphiquement, mais  sans que ce soit un carcan. Le Post s’est constamment empesé.

Il n’en reste pas moins un espace précieux. Permettant de prendre le pouls d’une infinie variété d’opinions. Fort de quelques réelles exclusivités et d’angles de traitement négligés par la presse traditionnelle, Rue89 (hélas, aussi, naguère, Bakchich), parfois inclus. Autorisant l’expression citoyenne autrement qu’en réactions et commentaires, comme Come4News.

Et puis, on peut se demander si les actionnaires, en dépit de leurs déclarations d’intention, du Post, ne sont pas trop sensibles au qu’en dira-t-on des dîners en ville et des salons. Le Post un peu cracra, pas assez snob ? Trop brouillon ? Bouillonnant ? Incontrôlable ?

Ce qu’il faut peut-être au Post, c’est de revenir aux ambitions et au projet d’origine. Possiblement aussi de permettre, comme sur Come4News, les relations directes entre contributrices et posteurs (via des messages personnels en privé). De devenir, car il ne l’a jamais vraiment été, participatif.

Je n’ai pas écrit : autogéré. Quoique…

Les pires critiques ont plu sur Le Post, en premier chef celles de ceux qui s’étaient davantage investis, de celles qui s’y étaient le plus attachées. Comparez avec Come4News, qui a connu certes des défections, mais, même proportionnellement, moins de crises de ce type. La raison en est simple, les fondateurs de C4N ont su en faire un véritable site commun, peut-être plus banal (que d’autres), mais un réel lieu de partage, en évitant de donner l’impression de se l’approprier.

En fait, par défaut de jeunesse, de manque d’expérience réelle (ce qui n’est pas rédhibitoire et peut laisser germer de véritables innovations, et non pas uniquement du tape-à-l’œil déjà surfait dès qu’apparu), Le Post n’a rien (bon, peu…) compris à ce que sont les réseaux sociaux. Il a fait du Ouaibe-tou-ziro, du sirop, devenu au fil des mois un peu trop voyant. L’Ouaibe, c’est l’Internet graphique. Mais il y a eu un avant le graphisme. Des babillards. Des listes d’abonnement. C’est à peine mieux maîtrisé par Mediapart. « Gentrifier », pour attirer les mêmes annonceurs que LeNouvel Obs’ ? La concurrence est trop rude.

On peut penser que le couplage publicitaire entre le site du Monde et celui du Post n’a pas fonctionné. Il peut fonctionner. Plus subtilement. Et même être porteur, à moyen terme, de revenus provenant de sources émergentes, cherchant d’abord une visibilité sur le seul Post avant de, la croissance aidant, confier des budgets au Monde. Me fourvoierai-je tant en imaginant qu’on a recherché exactement l’inverse, le nez dans le guidon des résultats immédiats ?

Il y a, au Post, du trop (voir ci-dessus) et du trop peu : que la rédaction ne soit pas dotée des moyens de suivre des dossiers comme celles du défunt Bakchich ou de Rue89 est une chose. Ne pas lui donner l’ambition de se surpasser, la cantonner dans l’à-quoi-bon cantinier en est une autre. Et puis, calquer les recettes de la presse écrite sur un support en ligne, ce n’est pas très malin. Il n’y a pourtant pas, contrairement à ce que prêchent les faux gourous du Ouaibe, de différence très fondamentale. Mais les approches doivent être différentes, et de ce point de vue, l’expérience de Mediapart n’est pas à négliger. Celle de Come4News, pour plus modeste qu’elle soit, non plus.

Bergé et Niel doivent peut-être se départir de leurs divers préjugés sur ce que sera l’Internet informatif. Ce n’est sans doute pas tant la rédaction en chef et la rédaction du Post qu’il faut remettre en question. C’est l’ensemble. Mais en réfléchissant par soi-même. C’est plus ardu que de déléguer à d’autres le soin de licencier. Mais cela en vaut la peine, ne serait-ce que pour soi-même.

Le format est à revoir. Mais pas que. En ligne, le diktat du « deux feuillets max » n’a plus lieu d’être (voyez, par exemple, le long entretien d’Anne Crignon avec Denis Robert : trop long ? Eh bien, des lecteurs de Libération sautent aussi les pages sportives,  jour après jour…). C’est aussi la maîtrise, non de la hiérarchie de l’information (en ligne, ce n’est pas tout à fait la même), mais des sujets de la page d’accueil, qui doit être – enfin – acquise. Bref, tout ce qui a pu être suggéré par les rédactions successives, et peu ou mal pris en compte, mériterait sans doute d’être réexaminé autrement.

Il n’y a pas de femme providentielle, d’homme-miracle, pour sauver Le Post. Pour lui faire trouver le chemin d’une rentabilité aléatoire, peut-être. Réfléchissez, MM. Bergé, Niel et Pigasse : vous avez d’autres danseuses. Le Post ne doit pas en être une autre qu’on répudie à la légère. On vous voit.