par Smaïn Laacher
Ils sont aujourd’hui des millions de personnes à errer de par le monde à la recherche d’une vie meilleure. Dépourvus d’identité officielle, ces émigrés clandestins dérangent le droit, la législation nationale, les conventions internationales, la nation et les autres immigrés depuis longtemps installés dans leur pays d’adoption.
Partir de chez soi ne va jamais sans la conviction d’un retour au foyer. Se pose alors une question essentielle et encore très peu explorée : comment demeurer, à ses yeux et aux yeux des autres, une personne quand l’univers de l’étranger est régi par des normes d’exception et l’absence de droits ?
Ces parias, en nous prêtant leurs yeux et leurs mots, nous font aussi découvrir ce qui peut les fasciner dans nos pays.
Qu’est-ce que l’immigration ?
J’ai donc été invité ce soir à vous parler de mon dernier livre intitulé « Le peuple des clandestins » que j’ai publié en avril 2007 chez Calmann-Lévy. Pour dire les choses un peu comme Michel Foucault, terminer un livre c’est commencer à l’oublier ; et surtout un livre offre un excellent prétexte pour parler d’autres choses. Le rapport à ce qu’on l’on a écrit change au fil du temps. Mais rassurez vous je vais vous parler de l’immigration et cela ne sera pas sans rapport avec mon dernier livre.
Qu’est-ce que l’immigration ? Chaque jour, des personnes compétentes et d’autres moins, disent des choses sur l’immigration. S’il est si facile de parler de l’immigration, c’est que tout le monde est soit national soit étranger. Tout le monde a en effet une expérience pratique et juridique de ce que c’est qu’un étranger ou de ce que c’est d’être un étranger. Mais à l’inverse, tout le monde ne pourrait pas parler du Conseil d’État du Conseil constitutionnel ou du mode de fonctionnement institutionnel du Conseil européen et de ses relations avec le Parlement européen, par exemple. L’immigration et les thèmes qui lui sont liés offre cette particularité que tout le monde peut s’en emparer pour dire quelque chose qui n’est pas obligatoirement entaché d’illégitimité.
La première question que l’on doit se poser lorsque l’on parle de l’immigration c’est : « est-ce que parler de l’immigration c’est parler des immigrés ? » Et quand on parle des immigrés, parle t-on de l’immigration ?
En fait, ces deux mots renvoient à des univers différents qui ne sont pas dotés du même régime d’historicité.
L’immigration c’est d’abord un rapport historique de domination entre sociétés. Parler d’immigration c’est d’abord parler de processus historique, de système de relations entre des organisations sociales différentes, de choses qui se sont nouées au fil de l’histoire entre des sociétés.
Les immigrés, la condition d’immigré c’est d’abord une condition ontologique. C’est une manière d’être dans le monde, plus précisément une manière dans le monde des autres.
S’il y a bien un sujet où tous les mots posent problème, c’est bien celui de l’immigration. D’où l’importance d’être au clair sur la définition et l’objet de l’étude. Pas seulement par souci scientifique mais tout simplement pour éviter de dire n’importe quoi sous prétexte que le propos porte sur l’immigration.
Dans ce domaine, plus que dans beaucoup d’autres, les mots produisent des effets de réel considérables. Ne gagne t-on ou ne perd t-on pas les élections dès que l’on aborde ce sujet ? Dès que ces populations sont au centre de controverses publiques, c’est-à-dire politiques ?
En réalité, lorsque l’on parle de l’immigration et de l’immigré, on parle de l’étranger.
L’étranger c’est d’abord l’État qui le désigne. Pas n’importe quel État : l’État national. Un étranger pour l’État et ses institutions c’est celui qui se définit par sa condition d’expulsabilité même si celui-ci n’est jamais expulsé. Tout le monde le sait. L’étranger c’est aussi celui qui n’était pas là depuis le début ; c’est celui qui n’a pas toujours compté et qui n’a pas toujours été compté dans la communauté nationale. Ici aussi, tout le monde sait et connaît celui qui n’était pas là depuis le début. Une des revendications de celui qui n’était pas là depuis le début c’est de demander à ceux qui étaient là depuis le début de faire partie de la communauté, de compter enfin pour quelque chose, d’être compté dans la totalité.
La mémoire n’est qu’une autre manière euphémisée de faire de la politique.
Une illustration concrète de ce que je suis en train de dire: tous les topos sur la mémoire depuis quelques temps (début des années 80) en France disent : « oui, nous n’étions pas là depuis le début, c’est vrai vous nous avez pas compté avec vous, oui, c’est vrai nous n’avons pas de passé en commun mais ce n’est pas parce que nous n’avons pas de passé en commun que nous ne pouvons pas avoir d’avenir en commun ». La mémoire n’est qu’une manière euphémisée de faire de la politique. Lorsque on regarde de près les travaux sur la mémoire, en particulier toutes les activités liées à ce thème financées par les institutions publiques, on s’aperçoit sans difficulté que la mémoire est principalement envisagée en tant qu’objet culturel (cinéma, littérature, théâtre, musique …), et qu’est ce que disent les producteurs de mémoire, et bien ils disent ceci : il faut dorénavant intégrer les immigrés et leurs enfants dans la communauté nationale pour que nous puissions bâtir ensemble un avenir commun. Et ils ajoutent : vous ne pouvez plus nous oublier car nous sommes inscrits dans l’histoire et le peuple de France, nous sommes constitutifs de l’histoire du peuplement de la nation française. L’histoire du peuplement de la France c’est l’histoire de ceux qui n’étaient pas là depuis le début et que l’on a inclus et qui se sont inclus au fil du temps.
Certains parviennent à se naturaliser socialement c’est à dire à disparaître comme un problème national dans l’espace national, tandis que d’autres posent des problèmes à l’ordre national. Ce n’est pas un hasard si ce sont ceux qui, à tort ou à raison, posent un problème à l’ordre national qui rappellent, non par la politique mais par la mémoire, par la culture et par l’histoire, qu’ils font partie de la communauté.
par Smaïn Laacher
Ils sont aujourd’hui des millions de personnes à errer de par le monde à la recherche d’une vie meilleure. Dépourvus d’identité officielle, ces émigrés clandestins dérangent le droit, la législation nationale, les conventions internationales, la nation et les autres immigrés depuis longtemps installés dans leur pays d’adoption.
Partir de chez soi ne va jamais sans la conviction d’un retour au foyer. Se pose alors une question essentielle et encore très peu explorée : comment demeurer, à ses yeux et aux yeux des autres, une personne quand l’univers de l’étranger est régi par des normes d’exception et l’absence de droits ?
Ces parias, en nous prêtant leurs yeux et leurs mots, nous font aussi découvrir ce qui peut les fasciner dans nos pays.
Qu’est-ce que l’immigration ?
J’ai donc été invité ce soir à vous parler de mon dernier livre intitulé « Le peuple des clandestins » que j’ai publié en avril 2007 chez Calmann-Lévy. Pour dire les choses un peu comme Michel Foucault, terminer un livre c’est commencer à l’oublier ; et surtout un livre offre un excellent prétexte pour parler d’autres choses. Le rapport à ce qu’on l’on a écrit change au fil du temps. Mais rassurez vous je vais vous parler de l’immigration et cela ne sera pas sans rapport avec mon dernier livre.
Qu’est-ce que l’immigration ? Chaque jour, des personnes compétentes et d’autres moins, disent des choses sur l’immigration. S’il est si facile de parler de l’immigration, c’est que tout le monde est soit national soit étranger. Tout le monde a en effet une expérience pratique et juridique de ce que c’est qu’un étranger ou de ce que c’est d’être un étranger. Mais à l’inverse, tout le monde ne pourrait pas parler du Conseil d’État du Conseil constitutionnel ou du mode de fonctionnement institutionnel du Conseil européen et de ses relations avec le Parlement européen, par exemple. L’immigration et les thèmes qui lui sont liés offre cette particularité que tout le monde peut s’en emparer pour dire quelque chose qui n’est pas obligatoirement entaché d’illégitimité.
La première question que l’on doit se poser lorsque l’on parle de l’immigration c’est : « est-ce que parler de l’immigration c’est parler des immigrés ? » Et quand on parle des immigrés, parle t-on de l’immigration ?
En fait, ces deux mots renvoient à des univers différents qui ne sont pas dotés du même régime d’historicité.
L’immigration c’est d’abord un rapport historique de domination entre sociétés. Parler d’immigration c’est d’abord parler de processus historique, de système de relations entre des organisations sociales différentes, de choses qui se sont nouées au fil de l’histoire entre des sociétés.
Les immigrés, la condition d’immigré c’est d’abord une condition ontologique. C’est une manière d’être dans le monde, plus précisément une manière dans le monde des autres.
S’il y a bien un sujet où tous les mots posent problème, c’est bien celui de l’immigration. D’où l’importance d’être au clair sur la définition et l’objet de l’étude. Pas seulement par souci scientifique mais tout simplement pour éviter de dire n’importe quoi sous prétexte que le propos porte sur l’immigration.
Dans ce domaine, plus que dans beaucoup d’autres, les mots produisent des effets de réel considérables. Ne gagne t-on ou ne perd t-on pas les élections dès que l’on aborde ce sujet ? Dès que ces populations sont au centre de controverses publiques, c’est-à-dire politiques ?
En réalité, lorsque l’on parle de l’immigration et de l’immigré, on parle de l’étranger.
L’étranger c’est d’abord l’État qui le désigne. Pas n’importe quel État : l’État national. Un étranger pour l’État et ses institutions c’est celui qui se définit par sa condition d’expulsabilité même si celui-ci n’est jamais expulsé. Tout le monde le sait. L’étranger c’est aussi celui qui n’était pas là depuis le début ; c’est celui qui n’a pas toujours compté et qui n’a pas toujours été compté dans la communauté nationale. Ici aussi, tout le monde sait et connaît celui qui n’était pas là depuis le début. Une des revendications de celui qui n’était pas là depuis le début c’est de demander à ceux qui étaient là depuis le début de faire partie de la communauté, de compter enfin pour quelque chose, d’être compté dans la totalité.
La mémoire n’est qu’une autre manière euphémisée de faire de la politique.
Une illustration concrète de ce que je suis en train de dire: tous les topos sur la mémoire depuis quelques temps (début des années 80) en France disent : « oui, nous n’étions pas là depuis le début, c’est vrai vous nous avez pas compté avec vous, oui, c’est vrai nous n’avons pas de passé en commun mais ce n’est pas parce que nous n’avons pas de passé en commun que nous ne pouvons pas avoir d’avenir en commun ». La mémoire n’est qu’une manière euphémisée de faire de la politique. Lorsque on regarde de près les travaux sur la mémoire, en particulier toutes les activités liées à ce thème financées par les institutions publiques, on s’aperçoit sans difficulté que la mémoire est principalement envisagée en tant qu’objet culturel (cinéma, littérature, théâtre, musique …), et qu’est ce que disent les producteurs de mémoire, et bien ils disent ceci : il faut dorénavant intégrer les immigrés et leurs enfants dans la communauté nationale pour que nous puissions bâtir ensemble un avenir commun. Et ils ajoutent : vous ne pouvez plus nous oublier car nous sommes inscrits dans l’histoire et le peuple de France, nous sommes constitutifs de l’histoire du peuplement de la nation française. L’histoire du peuplement de la France c’est l’histoire de ceux qui n’étaient pas là depuis le début et que l’on a inclus et qui se sont inclus au fil du temps.
Certains parviennent à se naturaliser socialement c’est à dire à disparaître comme un problème national dans l’espace national, tandis que d’autres posent des problèmes à l’ordre national. Ce n’est pas un hasard si ce sont ceux qui, à tort ou à raison, posent un problème à l’ordre national qui rappellent, non par la politique mais par la mémoire, par la culture et par l’histoire, qu’ils font partie de la communauté.
Lire la suite : http://tunisiawatch.rsfblog.org/archive/2008/06/03/le-peuple-des-clandestins.html.
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