Étudiante, lors de ma recherche de stage, j’ai été pour le première fois de ma vie exposée au handicap mental d’enfants. Je me suis présentée dans une structure accueillant de jeunes enfants handicapés mentaux lourds, et j’ai pris mes jambes à mon cou… Est-ce honteux de dire que cela m’effrayait, me retournait le cœur et que je me sentais incapable d’assumer une telle tâche…?

L’image de l’enfant, cette "jolie tête blonde", l’innocence, les rires, l’insouciance, le bonheur est totalement déformée face aux enfants handicapés mentaux… et même sans être mère, cette image me faisait violence.

Je me suis alors tournée vers les adultes psychotiques et ce fut une expérience extraordinaire qui m’a appris énormément !!

En tant que professionnelle, j’ai travaillé pendant 1 année dans des commissions évaluant les enfants pour leur future orientation. Handicap physique, handicap mental, maladies graves, maladies psychiatriques, troubles du comportement, ou simple retard scolaire, j’ai vu passé des noms d’enfants à longueur de journées…

Rien que des dossiers, avec rapports médicaux et expertises psychiatriques, trop rarement rapports sociaux, mais je dois dire que cela était éprouvant de se dire que tant d’enfants n’entraient pas dans la norme pour être scolarisés en établissement ordinaire.

Je suis aussi allée plusieurs fois en visite à l’IME (Institut Médico Educatif), et à chaque fois, c’est bouleversée que j’en ressortais, tout en étant admirative du travail formidable effectué par les professionnels !

Ce vendredi, j’ai reçu une maman et son fils de 7 ans. Et j’ai été si bouleversée, que l’image de l’enfant ne peut quitter mon esprit… Cet enfant a de graves troubles du comportement jamais réellement diagnostiqués à cause du refus des parents face au handicap. Madame me dit que son enfant dort bien, mange bien, n’a aucun souci face aux examens médicaux, a d’excellents résultats à sa prise de sang, donc qu’il n’est pas malade !

 

Effectivement, j’ai face à moi un grand gaillard de l’âge de ma fille, très mignon, respirant la pleine santé. Pourtant, il ne me faut qu’un quart de seconde pour me rendre compte qu’il y a "un problème". Je comprends vite qu’il sagit d’A, le petit garçon de l’école primaire qui avait tant mobilisé d’énergie les années précédentes pour la communauté scolaire. Il faut savoir qui si les parents refusent l’orientation en établissement spécialisé préconisée par la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées), l’enfant reste scolarisé en milieu ordinaire. Voilà ce qui s’est passé pour ce petit élève : l’école a essayé de faire comprendre que sa scolarisation était impossible, pourtant, il est resté scolarisé, avec l’aide d’un AVS (assistant de vie scolaire). Sa dernière année s’est réduite à 2h par jour de scolarisation avec l’AVS tant ses difficultés augmentaient.

Finalement, en désespoir de cause, les parents ont décidé de faire confiance à l’école et à la MDPH, et ont accepté l’entrée en IME. Et là, après 15 jours de présence dans cet établissement, l’équipe est sûre d’elle : cet enfant est dans un tel point de souffrance et de troubles comportementaux qu’il a besoin d’une hospitalisation d’urgence en hôpital psychiatrique !

 

J’ai donc devant moi cette maman désespérée par la situation… son enfant en bonne santé n’est pas fou !! Cette pauvre mère est complètement perdue, le handicap venant à peine d’être accepté, on lui parle maintenant de psychiatrie, avec tout ce que cela peut avoir comme connotations négatives… Je ne peux que la comprendre, et sa détresse me transperce…

Pourtant je ne peux faire abstraction de l’enfant, de l’expression de souffrance sur son visage et dans ses yeux, de son extrême agitation… En quelques minutes, il retourne tout, casse quelque chose et se blesse avec…

Je me sens incompétente, je me sens si mère à cet instant précis… Mais l’urgence est là !! J’explique la loi à Madame, son enfant ne peut pas rester à la maison, c’est impossible légalement, mais en plus, il nécessite une prise en charge rapide et appropriée… et les parents ne sont pas en capacité de gérer un tel état. Il lui faut des soins, alors que Madame répète qu’il est en bonne santé…!

La machine administrative est lourde est compliquée pour ces parents qui ne connaissent aucune notion de "maladie mentale légère ou sévère", ou encore moins de "maladie psychiatrique" !

Accepter que son enfant est "handicapé"est déjà si difficile !! Mais ne pas comprendre pourquoi, même handicapé, il ne peut rester dans une structure spécialisée… et que le laisser à la maison est dangereux tant pour lui que pour son entourage…

Faire le deuil de la "normalité" de son enfant est douloureux et long…

On aime ses enfants, quel qu’ils soient… et les accepter différents ne veut pas dire les aimer moins…

A partir du moment où on choisit de travailler avec des enfants, on doit savoir qu’un jour ou l’autre on peut être confronté au handicap, et  savoir le gerer dans l’instant est loin d’être facile..