Le Gros Robert, dico de bels et bons bons mots

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Le Gros Robert n'est point si épais. Ils s'y mirent à deux, mais par un prompt renfort, ils se virent à quatre en arrivant sur presse. C'est un ana (merci de marquer les liaisons). Un projet d'édition un peu foldingue qui aboutit à un livre mi-graphique, mi-raisin – ou un format pas loin du raisin in 4º, normal, ils se sont mis en quatre.

Bref, comme le sous-titre l’indique, cent carrés, en pages (dés) fausses, que Michel Massi suggère de découper et assembler pour faire apparaître la disparition du chat du Cheshire – du pays de Guevara, donc. Et puis cent mots définis plaisamment en belles pages (de g., donc, mises au point « g », en quelque sorte), suivis d’autres « en vrac », comme les couvertures auxquelles nous échappâmes dans un hebdomadaire satyrique ayant précédé Siné Hebdo.

Faut-il le préciser, c’est loufoque… Des carrés en fausses pages, c’est déjà insolite. Généralement, le texte est desservi, de nos jours, pour mettre en valeur les graphismes ou les illustrations – quand ce ne sont pas les publicités – en belles pages. Au départ, comme le narre l’éditeur et préfacier, Charles Duchêne (auteur à seize et point d’heure de nombreux titres des éds BTF concept, dont une édition revue, augmentée et « remastérisée » de l’anti-sarközyen quaternaire Chacun pour soi…), c’est l’histoire d’un père grand qui vient présenter le projet de dictionnaire de ses petits-enfants. Oh, monsieur l’éditeur, avez-vous bien de grandes dents ? Les auteur·e·s sont donc Hélène Rabaté Rubio (dite la petite chaperonne) et son protégé, Renaud Piermarioli, Michel Massi étant celui d’un prière d’insérer de toute belle facétie, et Charly, ben, c’est un peu la Madelaine de Jacques Brel qui ne s’est pas fait prier pour préfacer et ajouter son grain de gros sel et quelques définitions supplémentaires, vers la fin de l’ouvrage.
« Les auteurs de cet ouvrage ont gardé 100 mots et 100 carrés, nombre initial, alors qu’ils sont plus nombreux, d’abord parce que cela sonne bien et que les chiffres ronds c’est plus simple à retenir pour les mauvais en maths… y compris les ministres de l’éducation nationale. Tout cela sans compter les définitions ou carrés auxquels vous avez échappé et que vous trouverez à la fin de l’ouvrage. »
Vous l’avez compris, il s’agit de mettre, en regard d’un mot, une définition inattendue, voire indépassablement tarazimboumesque ou bouleversiamante, souvent irréligieuse.

La dictionnairique est une science humaine, forcément humaine, hélas trop humaine. J’ai suivi des cours dispensés par une laroussienne qui se teignait la chevelure (avec des mèches grises ? j’ai oublié…). C’est dire si je suis autorisé à donner un avis d’expert sur ce dictionnaire Gros Robert en petit format. Techniquement, c’est nul. On mélange les entrées allègrement, on saute du coq à l’âne sans passer par Reims et Poindron-Rota (des éds du Coq à l’âne), et je vous en passe de pires. Mais le fond est bon. Cette auteure et cet écrivain ont fond bon et ils font, font, font, tels des montreuses de marionnettes au festival de Charleville-Mézières, de bons « bons mots ». On se régale et comme le dit sobrement Michel Massi, on découvre deux jeunes auteur·e·s « qui jouent avec les mots et les figures, comme avec le drôle et le dérisoire ».

Du petit lait…

Voire de la petite laitue, parfois. Démonstration immédiate avec le mot « bière », qui est un petit mot dissyllabique (encore eut-il fallu le préciser, en dictionnairique, ils sont nuls, quitte à commettre une redite, le n.f. devant la définition étant un peu court, jeunes gens). Bière, donc : « Philosophie selon laquelle un individu ou groupe se permet avec ébrigaîté de reporter à après-demain ce qu’il peut faire demain. Parfois la bière est mise en boîte, tandis que l’homme mis en boîte est dit mis en bière. » Je leur épargne charitablement la comparaison avec les définitions de mon Big Bob électronique. Perso, j’aurais au moins rédigé ainsi. « Philosophie (…) de procrastiner (→ remettre, demain) ce qu’il peut, &c. ». Eh, c’est un métier…
Pour le verbe « testiculer », un exemple est certes donné (« Jacques Chirac s’est rendu célèbre en arrivant à testiculer l’une sans gesticuler l’autre »), mais la citation exacte manque.            Et là où mon Big Bob, pour « ampoule », donne l’étymon (ampulla « fiole »), je n’en trouve point dans ce Gros Robert petit format. On voit bien qu’ils s’en moquent, et déjà des leurs, pour mieux nous leurrer et nous prendre pour des lanternes et non des lumières. « Petit dessin qui surgit au dessus de votre tête au moment où (…) vous venez d’avoir une idée. Dans son bain, préférer (…) comme Archimède, plutôt que d’utiliser l’ampoule, comme Claude François ».
Tout est un peu du même tonneau, entre petite bière et Diogène.

Une science, que dis-je, un art !

Sur la couverture du Chacun pour soi remastérisé de Charly Duchêne, on voit un Crs-s-s de Delambre, dessinateur de presse et caricaturiste du Canard enchaîné. Là, du même Delambre, j’aurais bien vu un Oulipien-pien-pien. Un profil de médaille de Droin, par exemple. René Droin, dictionnairiqueur (comme le révérend père) du Dictionnaire extraordinaire des mots ordinaires, qui définit ainsi le « réveil », « IL met fin au RÊVE » et met en regard « la bise la brise » (« le vent glacial d’hiver déchire la nuée ») et « la brise la bise » (« le doux zéphir caresse la dénudée »), ne peut être foncièrement mauvais. Il peut parfois citer Voltaire de traviole, voire inversement, mais c’est un Oulipien qui a du mollet du côté de Saint-Priest (en Jarez), et un cinquième sens, comme Milou sur Mars, et l’ami en mai, ou le preux Exupéry.
Tout aussi auréolé des palmes dictionnairiques, vous avez le regretté Topor, ami de la regrettée Lola Ceuzin, duquel on ne déplore pas la réédition de son Dictionnaire Topor que l’on retrouve en partie dans le (Presque) Tout Topor de Laurent Gervereau (éds Alternatives, que je salue amicalement au passage). L’Au plaisir des mots, de Claude Duneton (éds Balland), et ses Mots d’amour (du même, Le Seuil éd.), qui entrent aussi dans un Bouquet des expressions imagées (Le Seuil) par ailleurs, ne sont pas les moindres qui puissent vous arriver (frais de port parfois inclus).
On muse, voire on s’égarde avec une non feinte autosatisfaction du côté de Pierre Guiraud (Dictionnaire érotique, à la Bibliothèque scientifique, Dictionnaire des étymologies obscures, chez Payot), au point de dériver vers le Bergeron, soit le Dictionnaire de la langue québécoise (Bergeron, Léandre, VLB éd., Louiseville, 1980), merci encore Guétou. Ce sera tout.
Pour ce jour, or donc, en tout cas. Demain, je ne dis pas. Une pensée par jour, une définition quotidienne, dès potron minet, pourquoi pas ? Cela vous botterait-il ? En tout cas, Hélène Rabaté Rubio (dite la petite chaperonne) et Renaud Piermarioli nous infusent, comme à pas de louve et loup, et de bonne manière, du gros lard de mots, il fallait le faire, avec ce Gros Robert. Lequel est parfois un gros méchant, comme à l’égard de « ceux qui peuvent vouloir aller chercher la croissance avec les dents, au risque de devenir menteur comme un arracheur » (déf. dedans).

Un ana, vous écrivais-je

Le Perretana a, chacun le sait, les tresses de Conchita qui le ceignent jusqu’aux bas, et il y a plus d’un Léoferranus sur les nanas. Il s’agit là des Rabaté & Permarioliana, ce qui vous a tout de suite un petit côté mariol qui vous fait penser au Pierrot et au Léo, tard ou tôt. L’ana est, en anglais, upside down and inside out, puisque, comme dans anchorite (anachorète), il l’a en arrière, de bas en haut avec anaglyph, à rebours avec anaphylaxy (un blockbuster de beta-débloqueur), à répétition pour anabaptist.
Comme le disait Saint-Simon, injustement oublié supra, mais non exclu infra, de Harlay (qui n’avait pas encore rencontré Brigitte Bardot et donné naissance au petit Davidson), « c’est dommage qu’on n’ait pas fait un Harleana de tous les dits qui caractérisaient ce cynique ». C’est inique !
L’ana médicinal s’abrège en « aa » chapeauté ana partese æquales, par exemple ana de moquette, ana de fumette (car il s’agira là de la partie ligneuse de la chènevotte, par exemple encore, itou y quanti comme on dit en vache, tant transalpine que transpyrénéenne, et fifty-piatdiciat comme on s’entremet en franglo-russe. Avec cet ana de Piermarioli et Rabaté Rubio, c’est gagnant-gagnant. Je vous le dis : le souffle de leur mistral (voire de leur Mistral) gonfle leurs pages et c’est un livre de chevet. Mettez-vous à la page du Gros Robert !
C’est jeune, c’est gai, c’est in, rien n’est à outer dedans, et la version spéciale île déserte, à déguster sous le soleil, exactement, du côté de La Madrague ou de Sète, vous est expédié, comme le dit Charly Duchêne d’Hélène, dans sa préface, en sabot. Prévoir un supplément pour les frets de ports, sauf si vous prenez livraison dans la patrie de Brassens ou à Saint-Trop’ – où les mots le sont, mais les coups de soleil fréquents – résidences occasionnelles des auteur·e·s. Si les sabots avaient des ailes, ce serait gratis. Sur ce, je me retire de ce Gros sur la pointe déliée des pieds… Poursuivre ne rimerait à rien, et comme pourrait l’écrire Bob Sinet, de Siné Hebdo, si vous ne puissez l’acheter, à tire d’ailes… envolez le !   

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

2 réflexions sur « Le Gros Robert, dico de bels et bons bons mots »

  1. Moi j’ai le plaisir d’avoir mon gros bob!!!et la définition du foot vaut son pesant d’or!bravo à Renaud et Hélène!ce bouquin me suivra toute ma vie d’artiste comme eux!!et je sent qu’il y en aura d’autres!à bientôt les amis diplômes des beaux arts 2009 !

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