Je n’ai rien, mais alors absolument rien à redire de péjoratif ou de grincheux à propos de l’excellent entretien que Jean-Marie Guénois, journaliste, a pu avoir avec le frère Jean-Pierre, dernier religieux survivant du monastère de Tibhirine. En revanche, quand je lis en légende d’une photo la mention d’une « main divine » qui pourrait sembler avoir signé un paysage des contreforts de l’Atlas, je ne hurle pas au scandale, mais je pointe comme un dysfonctionnement.

N’en déplaise à Riposte laïque, aux identitaires, aux islamophobes les plus phobiques, le père Jean-Pierre, dernier survivant des moines chrétiens du monastère algérien de Tibhirine, a répondu aux questions du Figaro Magazine avec une grande dignité, sans doute une indéniable élévation spirituelle. Pour dire notamment son sentiment, qui peut conforter certaines thèses des antimahométans, mais qui, surtout, dit et redit que « les musulmans sont des gens comme les autres… ». C’est un peu court, et sorti du contexte, qui évoque la fraternité christiano-musulmane, un peu plat aussi. Il est certain que, lorsque je vois, au Caire, des gens qui tracent la croix copte (chrétienne) embrassée par le croissant (mahométan), j’ai tendance à penser que si un futur drapeau de l’ex-République arabe unie reprenait ces deux symboles, la cause laïque en prendrait un sacré coup, mais, bon, vu le contexte et le passé, ce n’est pas si pire, comme on dit en québécois. Mais alors, pourquoi pas une foultitude de symboles religieux, des équerres et des compas, &c. ? J’évoque le Québec parce des Québécois souhaiteraient « un drapeau laïque pour un Québec vraiment inclusif et multiculturel ». L’imposture de la croix et du cœur (sacré, forcément sacré) des Chouans pour symboliser la Vendée, qui fut aussi, comme la Bretagne et l’Anjou, terre aussi païenne, laïque, &c., me provoque un haut le palpitant.
Au fait, le saviez-vous ? L’étendard de la laïcité belge fait figurer un flambeau et des silhouettes humaines « représentant la fraternité universelle » (incluant donc chrétiens, juifs, musulmans, autres… et agnostiques ou athées, bien évidemment).

Je ne considère pas que l’entretien de Jean-Marie Guénois constituerait une propagande déguisée pour le catholicisme romain. Les questions sont plutôt neutres, et je ne désavouerai pas le chapeau de l’article qui se conclut par « un entretien lumineux ». En fait, le seul premier petit reproche qu’on peut faire au Figaro et qui ne saute pas aux yeux, c’est d’orthographier plusieurs fois Tibhirine et une autre fois (dans une légende), Tibihirine. On optera bien sûr pour la graphie adoptée pour Le Testament de Tibhirine (très beau site). Emmanuel Audrain, qui a réalisé un documentaire sur les moines, a aussi évoqué « la lumière qui les habitait ». Que La Croix, ou La Vie (ex-catholique), Le Pèlerin, d’autres titres qui affichent la couleur, fassent de même en insistant sur la source de cette lumière (leur croyance, leur foi), c’est tout à fait normal.

Il est parfaitement normal que le frère Jean-Pierre exprime ses convictions religieuses. Qu’il considère que ses condisciples soient des martyrs (sous-entendu, du christianisme, peut-être, ou plus simplement de la fraternité universelle, qu’elle se « fonde en Dieu » ou d’autres références). On tendrait le micro à un représentant du GIA, on entendrait sans doute des choses beaucoup moins mesurées et respectueuses des diverses sensibilités des lectrices ou lecteurs du Figaro que ce qu’a pu dire le frère Jean-Pierre, et c’est là, en rhétorique, une exténuation.

Il n’y a finalement qu’un détail qui me chagrine (léger) dans cet article, il n’est sans doute pas imputable vraiment à l’auteur de l’entretien, et je veux bien, charitablement et non chrétiennement, absoudre la ou le secrétaire de rédaction qui pourrait être susceptible d’avoir commis cet impair. Il ne mérite pas le renvoi, l’accusation de diffusion de fausse nouvelle (non, je n’irai pas casser les vitres de l’immeuble du Figaro, en tout cas, pour ce motif de légère grogne, et troubler ainsi l’ordre public).
C’est cette légende : « le nouveau monastère est blotti sur les contreforts de l’Atlas, où une main divine semble avoir signé les paysages… ». Formulation très maladroite, qui se veut objective, car élidant un lourd « où certaines ou d’autres pourraient penser qu’une main divine… ». Et ce « semble » n’en tient pas lieu. N’allons pas jouer au Marat d’une incertaine La Contre-Riposte laïque, et écrire que les thèses créationnistes ont installé leurs pénates au Fig’ autant que la (l’église de la) Scientologie à l’Élysée. Que c’est l’inconscient collectif de la rédaction qui s’exprime ainsi. N’empêche. Cet impair ne passe pas. D’un autre côté, l’écriture agnostiquement correcte finirait tout autant par me gonfler qu’une autre. Tiens, tes mains, au moment de saisir cette légende, tu aurais mieux fait de les mettre dans la culotte d’un zouave ou d’une cantinière. Cette histoire, je n’en démordrais pas, manque de correction (Rondinet, un correcteur, n’y est plus, au Fig’, crois-je savoir). La géologie, « signataire » des paysages des contreforts de l’Atlas, se joint à moi pour prononcer une indulgente admonestation. La ou le coupable est prié·e de réciter trois Carmagnole et trois Chants du départ, ce qui ne dispensera pas de m’offrir, à l’occasion, un verre au Tambour (rue de Montmartre). Cela étant, je l’accorde, ces paysages de l’Atlas sont divins (comme l’écrit le rédacteur ou la dictionnairiste, au sens de Ronsard : parfait) ou tout simplement : très agréables. Je ne suis pas mécontent que le frère Jean-Pierre puisse y trouver la sérénité. Puisse-t-il y prêcher, par l’exemple, l’universelle fraternité. En partageant une dive théière avec l’imam du coin si bon lui chante… bue à la santé de la consœur ou du confrère qui nous régalera, demain, à la Saint-Jean-Porte-Latine.

Cela étant, pourquoi une telle réaction épidermique ? Quand je vois je ne sais quel sondage du Parisien indiquant que pratiquement deux-tiers des Français (d’origines divers, de culture mulsame, d’autres) ne croient pas en un qquelconque dieu, et que tout l’article de présentation fait état de la France fille aînée ou fille cadette de l’église catholique apostolique romaine, je me dis qu’il faut au moins marquer le coup. Je sais ce qu’il faut penser des sondages, des majorités d’opinion. Néanmoins, il est bon de rappeler, à quelques groupes de pression en particulier, que la France est un pays païen, multiculturel, certes, mais païen. Faire croire autre chose, c’est de la falsification.

P.-S. – si dame Géologie et son avocat demandaient mon soutien pour exiger la publication d’un droit de réponse, je me défilerai.