En se confiant à la journaliste Chantal De Rudder, le Dr Michel Dubec, psychiatre et expert judiciaire, co-auteur du Plaisir de tuer (Seuil éd.) se serait livré, selon Me Danièle Ganem-Chabenet et l’Ordre des médecins (conseil de Paris), à une « auto-analyse ». Allons bon… Tiens, au lieu de faire un compte-rendu journalistique d’audience, je vais vous rédiger une auto-analyse. Fort heureusement, nous sommes sur un site d’accès gratuit et vous ne m’avez pas rétribué pour ce faire…


Bizarre, bizarre… J’étais hier après-midi, 23 septembre, sur les bancs du public, au sous-sol de l’immeuble du Conseil de l’Ordre des médecins de la rue Borromée, à Paris. En face, six juges ordinaux entourant un magistrat. Un bel aréopage de gens de robe, et pas des moindres, Me Bertrand Burgot, un habitué de cette chambre ordinale autant que Me Ganem-Chabenet, Mes Francis Vuillemin et Isabelle Couant-Peyre, pour Illitch Ramirez Sànchez, Me Anne-Laure Archambault pour Maurice Joffo. Vous avez dit « autant qu’étrange ? ». Enfin, quand même, Carlos, dit Carlos ze Jackal (film d’Olivier Assayas), autrefois défendu par Me Jacques Vergès, Maurice Joffo, frère aîné de Joseph Joffo, et héros du roman à fort tirage Un sac de billes, ce ne sont pas des inconnus, des justiciables lambda. Et Michel Dubec, donc, ce n’est point un justiciable epsilon. C’est le « Tout Freud, tout flammes » du Figaro ! Tenez, pas plus tard que ce matin, Sonya Faure, de Libération, en fait un trois colonnes tête de page. Plus de cent lignes d’entretien ! Et ces ingrats de journalistes qui ne sont même pas sur le banc de presse (bon, il n’y en a pas de spécifique en chambre de première instance).

 

On dira tout ce qu’on voudra sur l’Internet, y compris que c’est l’« instrument rêvé pour la contagion de ce qui peut s’apparenter à un délire » (Le Figaro du 20 avril 2009). Mais quand la presse écrite va mal, très mal, qu’elle ne peut même plus dépêcher une ou un pigiste pour couvrir une audience réunissant trois d’entre ses meilleurs fournisseurs de « papiers », et des plus vendables, vers qui se tourner ? Il n’appartenait qu’à elle de stopper la contagion. On vous rétorquera : « oui, mais tout le monde était mobilisé pour soutenir le confrère Denis Robert et couvrir l’affaire Clearstream ». Que nenni. D’abord, on voit maintenant Denis Robert, artiste plasticien par ailleurs, qualifié de « romancier » dans son ex-quotidien. Mais quand même, dans Challenges, de « journaliste-romancier ». Bon, effectivement, il a collaboré à un album de BD chez Dargaud, L’Affaire des affaires, l’argent invisible. Que son co-auteur, Yan Lindingre, définit tel un « Clearstream pour les nuls ». Mais c’est d’un raffiné, d’un délicat, d’un si distingué distancié, ce « romancier ». C’est un peu comme si on disait d’Hervé Hamon, ex-journaliste d’investigation de Politique-Hebdo, auteur d’enquêtes célèbres, « oui, oh, c’est un romancier ». C’est sans doute ce qu’on devrait dire de BH « V » (Lévy, Bernard-Henri, dit aussi Le Samaritain, car on trouve vraiment de tout chez lui). Et à mon humble avis, de Michel Dubec. Ensuite, très sérieusement, dans un cas pareil, si on veut expédier une ou un pigiste, histoire de se faire raconter, quitte à ne lui commander et payer qu’un malheureux feuillet factuel se terminant par « conclusion dans un mois, lors du rendu du délibéré », jamais, au grand jamais on ne vous reprochera d’exploser le budget des piges. On peut donc franchement s’étonner. C’était mieux avant !

 

L’Internet, ce n’est pas cher, et cela peut rapporter très peu, hormis beaucoup d’ennuis et de désagréments. En revanche, un médecin psychiatre revient très, très cher. Eh, comparez les huit ou dix ans d’études d’un docteur ès lettres et celles d’un médecin spécialiste, et voyez les parts de TVA respectives que vous leur consacrez. Et des écoutes téléphoniques, donc ! Et des dépositions d’experts devant les tribunaux ! France Télécom facture fort, les honoraires des experts sont certes, pour certains experts médecins, négligeables, mais pas pour le contribuable. Tandis qu’un romancier… Ou un journaliste… Même un mauvais Bien formé, pour beaucoup moins cher, Michel Dubec aurait fait peut-être un bon journaliste. Là, tout comme un BHL (ou BHV), qui est capable de falsifier une traduction (dans son livre sur Daniel Pearl) pour se mettre en avant, il serait viré du New York Times, du Washington Post, du Devoir, de La Presse, voire de La Tribune de Genève et assurément du défunt Pays de Porrentruy.
Parce que reprendre pour soi, à la première personne et entre guillemets, des propos tenus sur Carlos par des codétenus, cela ne se fait pas dans la presse sérieuse. C’est en tout cas ce que Me Vuillemin a fait valoir aux juges. Parce qu’écrire que les employés (des salons ?) de Joffo Maurice « haïssent » leur propriétaire, cela vous vaut un « c’est bien vérifié, là, ton truc, coco ?.. parce que si ce ne l’est pas, on va avoir l’air finauds avec ce qui va avalancher en courrier des lecteurs !  Tu n’aurais pas un témoignage, une citation ? ». Tandis que lorsqu’on est romancier chez Grasset ou au Seuil, bon, cela peut encore passer. D’ailleurs, c’était passé au Seuil, dans Le Plaisir de Tuer, de Chantal de Rudder et Michel Dubec. Et en fait, il est possible, et même certain, que des rapports d’enquête, consultés par Chantal de Rudder, aient pu laisser penser que certains employés de Maurice Joffo ne le portaient guère dans leur cœur. Le problème est que Maurice Joffo était en conflit ouvert avec le gérant de son restaurant, Le Dauvois. Et que si l’instruction, de ce côté, ne se serait pas vraiment faite à décharge, il y avait de quoi être abusé. Or donc, dans le cadre d’un essai, dont ce n’est pas l’élément essentiel, c’est peut-être le genre de scorie qui subsiste, y compris quand un Hervé Hamon, alors au Seuil, relit le tout.
 
 Il y a plusieurs manières de rendre compte – toujours mal au fond dans le cadre d’une commande de feuillets journalistiques – d’une longue audience. On peut « la jouer » technique. Relever que Michel Dubec a su habilement s’en tenir à très peu de paroles, histoire de ne pas lasser un tribunal qui siégeait depuis le matin. Que Me Archambault a aussi plaidé très technique, ne mouillant pas trop sa robe et se préservant des effets de manche, recentrant sur les phrases principalement incriminées par Maurice Joffo. Quitte à ne pas relever point par point ce qui pouvait l’être. Ou on fait dans le subjectif, dans l’envolée qu’on croit lyrique (enfin, on s’y essaye), avec des à côté sur l’ambiance, la moyenne d’âge des juges (proche de 65 ans, semblait-il), le décorum, &c. Mais puisque, sans être contredit par Michel Dubec, le Conseil parisien de l’Ordre a considéré que ce dernier s’était livré à une « auto-analyse », on peut aussi choisir cet angle et se concentrer dessus. Le sentiment que j’ai retiré des débats, c’est que Michel Dubec s’est laissé emporter par sa démarche avec ce livre. Qu’il s’est parfois « fait un film », comme on dit couramment, et qu’il aurait parfois mieux fait de mieux se censurer. À l’égard de Maurice Joffo, il semble avoir assimilé l’attitude de l’adolescent d’alors (il avait de douze à quinze ans pendant l’Occupation nazie) à celle d’une sorte de kapo qui triait les destinées à la chambre à gaz, à la clinique d’expérimentations « médicales » (tortures, contaminations, &c.), et à la mort lente d’un travail abrutissant et d’une longue famine.
Là où je l’ai trouvé peu honnête (mais peut-être était-il encore sous le coup d’une émotion contenue), ou inconséquent, c’est lorsqu’il a cité un passage du livre Pour quelques billes de plus ? de Maurice Joffo, dans lequel celui-ci raconte qu’à la Libération, il se retrouve plutôt content de lui et à la tête d’une petite fortune. Elle avait été acquise en se livrant à du marché noir, à la récupération de métaux, et sans aucun doute aussi et en particulier, en passant des résistants, des israélites (au sens des lois raciales et iniques du régime de Pétain, donc, aussi, des Juifs agnostiques tel Maurice Joffo). Mais où donc Michel Dubec a-t-il lu que Maurice Joffo triait les « bons » Juifs, ceux qui pouvaient payer le tarif (plus faible que l’habituel des autres passeurs, selon Maurice Joffo), et les « mauvais », soit ceux qui ne pouvaient rien donner ? Ne l’a-t-il pas plutôt imaginé dans le cadre d’une singulière « auto-analyse » ? Et ne s’en est-il pas plutôt auto-persuadé ? Dans ce cas, on peut comprendre que, pour lui, Maurice Joffo puisse être assimilé à la caricature du Juif cupide tel que la propagande nazie et antisémite (notamment le film Le Juif Süss) la véhiculait.
 
Plaidant pour Michel Dubec, Me Burgot s’est plusieurs fois exclamé : « C’est le monde à l’envers ! ». Effectivement, Michel Dubec ne s’est jamais livré à des actes de terrorisme alors que Carlos a sans doute abattu ou tenté de tuer « froidement » – écrivait-on, car on écrit beaucoup de choses un peu trop rapidement parfois – des gens tels des chalands du drugstore Publicis, des passagers d’un avion d’El Al, divers « coreligionnaires » (ou pas, mais en tout cas des Israéliens ou des militants sionistes désarmés) de Michel Dubec (ou des Juifs tels Maurice Joffo).
On peut admettre que cela a pu révulser Michel Dubec, le révulse encore. On peut entendre que son inimité (litote, sans doute) à l’égard de Carlos l’ait entraîné à, selon Me Vuillemin, « émettre des opinions tirées de on-dit ». On peut aussi admettre que Chantal de Rudder ait pu, en toute bonne foi, mettre des guillemets à des propos que Carlos aurait pu tenir à Michel Dubec. On conviendra bien volontiers aussi que Chantal Maatoug de Rudder et Michel Dubec ne sont nullement antisémites, ne font aucunement l’apologie du viol (même si des propos de Michel Dubec, sortis de leur contexte, pourraient fort bien laisser prise à cette interprétation), et que, oui, sur ces points, on ne voit pas d’emblée pourquoi ce psy et expert se retrouve devant un tribunal ordinal. On peut tout admettre de la sorte. Y compris accepter que Michel Dubec se soit simplement montré imprudent au cours de ce que Me Coutant-Peyre nommera un ouvrage caractérisé par le « pathos résultant d’une maïeutique accouchant des problèmes intérieurs de Michel Dubec ».
 
Où cela dérape en particulier, c’est quand Michel Dubec, qui admet que « Maurice Joffo a droit à l’oubli », vient soutenir publiquement qu’il aurait pu refuser à sa mère, « juive française, née en 1929 comme Joffo », le passage en zone libre parce qu’elle n’aurait pu le payer. Mais enfin, qu’en sait-il ? Et de quel droit vient-il citer un passage de Pour quelques billes de plus ? qui ne le confirme pas ; et ce en laissant entendre que cela accrédite son hypothèse ? On ne reprocherait rien à Michel Dubec s’il avait fait un vrai roman, avec des personnages fictifs ;, tant bien même si, pour nourrir son portrait d’un Juif refusant le passage en zone libre à d’autres Juifs, il aurait très fort pensé à la stature, à la prestance, à la faconde d’un Maurice Joffo rencontré lors d’une détention pour recel. Là, il laisse supposer qu’un adolescent aurait pu, en quelque sorte, livrer sa mère à la Gestapo, faute de lui faciliter le passage vers la zone dite « de Vichy ». Vous voyez, vous, un gamin de treize-quatorze ans dire à une jeune fille de son âge « pas de sou, pas de suisse, va donc te livrer à la Gestapo ? ». Or, en admettant que cela soit possible, pourquoi supposer que cela aurait pu être l’attitude de Maurice Joffo ? Et pourquoi forcer la dose d’opprobre que peut inspirer Carlos si ce n’est justement, selon le mot outrancier de Me Vuillemin à l’égard du Plaisir de tuer, dans « un roman de gare » au titre « racoleur ». Cet ouvrage (que Chantal de Rudder aurait aimé intituler – voir par ailleurs– La Leçon des Ténèbres) n’est pas un quelconque OSS 117 ou un James Bond, mais bien un livre qui reste aussi essentiel pour tenter de comprendre l’expertise judiciaire et le vécu, le senti (et admettons aussi, le ressenti, au sens de ressentiment à l’égard de certains criminels) d’un expert. De ce fait, il peut y avoir confusion dans l’esprit du lecteur. De ce fait, le Conseil parisien, par la voix de sa présidente, a pu considérer que le secret médical avait été violé. De même, Me Ganem-Chabenet a-t-elle pu estimer que Michel Dubec « n’a pas mesuré la portée et la gravité de ses actes » et de ce fait « discrédité l’ensemble du corps médical ».
 
Un qui n’a peut-être pas mesuré toute la portée de ses propos, c’est Stéphane Durand-Soufflant. Chroniqueur judiciaire du Figaro, président de l’Association de la Presse judiciaire, il a considéré, sans doute de bonne foi, que la comparution de Michel Dubec tenait surtout à l’action de Brigitte Brami, une femme ayant passé près de six mois en prison (sur quinze infligés au départ) pour harcèlement à l’encontre de Michel Dubec. Il venait déposer en tant que témoin, pour accomplir son devoir de citoyen, en dépit du fait qu’il aurait sans doute préféré couvrir le procès des Sarközy-de Villepin et consorts dans l’affaire Clearstream. Mais bon, Michel Dubec lui a peut-être accordé une consultation gratuite ou prodigué des conseils quand il s’est ouvert à lui des turbulences de l’adolescente de sa famille ou je ne sais trop quoi, et il lui fait cette amitié de venir en tant que témoin de moralité. Il témoigne aussi de la conscience professionnelle dont fait preuve le Dr Dubec qui vient d’être reconduit pour cinq ans dans ses fonctions d’expert par le parquet général. Certains, tels Stephan Pascau ou le Dr Simon Benayoun, ou les conseils d’Illitch Ramirez Sànchez, n’en sont guère, c’est dire le moins, convaincus. D’autres, beaucoup d’autres, dont le Conseil parisien de l’Ordre, ne mettent pas le moins du monde en doute la probité, la compétence professionnelles de Michel Dubec.
 
Après tout, il est fort possible que celui-ci mérite amplement ses honoraires et ne soit finalement pas si cher et plutôt avantageux pour le budget de la Chancellerie. Je n’en sais rien. Je n’ai couvert aucun des procès d’assises où déposait Michel Dubec mais je veux bien abonder aux propos de Stéphane Durand-Soufflant qui apprécie ses rapports depuis 2001. Il se dit « frappé par la clarté de son propos » dont il faut attendre ses dépositions de rapports pour en connaître la teneur (donc, pas de violation du secret de l’instruction de sa part). Ce sont donc des fuites provenant des conseils de l’une ou l’autre des parties qui font que, en règle générale, comme l’a soutenu le juge Gilbert Thiel, un peu tout filtre vers la presse avant les procès, sauf, évidemment, vers Stéphane Durand-Soufflant qui attend sagement les dépositions de l’expert Michel Dubec. En revanche, avancer que Brigitte Brami ait pu abuser France Soir en la personne de sa cheffe des enquêtes, Isabelle Horlans, et bien, c’est un peu court, jeune homme ! Bien avant que vous ne soyez chroniqueur judiciaire, Isabelle Horlans était une fait-diversière très aguerrie, qui n’en était pas à sa première confrontation avec une affabulatrice ou une psycho-quelque chose, et faut-il d’ailleurs vous rappeler qu’elle fut mise en garde à vue dans l’affaire Cons-Boutboul et que, elle en tout cas, n’a pas violé le secret professionnel ? Question manips, cette journaliste d’investigation en a connu un fort large rayon (voir, chez Denoël, son Les Sanguinaires, ou ses autres livres). Que voilà une appréciation un peu leste et cavalière de la part d’un président d’association de journalistes ! Et en tout cas, dans son article sur l’affaire judiciaire Joffo/Dubec, elle s’en est tenue aux faits, rien qu’aux faits. Chantal de Rudder n’a pas choisi le titre de la une de couverture du livre du Seuil, Isabelle Horlans n’est sans doute pas responsable du titre de la une de France Soir. Qui n’a rien, d’ailleurs, d’injurieux. En tout cas, pas plus qu’on ne pourrait affirmer en totale certitude que Michel Dubec (et encore moins Chantal de Rudder) ferait l’apologie du viol, on ne peut soupçonner notre président d’association de misogynie. Selon ses dires en aparté, il s’en serait franchement ouvert à Isabelle Horlans, et ils en auraient débattu entre pairs. Ce qui est certain, c’est que Brigitte Brami n’est pas Imad Lahoud, et si on voulait bien admettre, tel un Bruno Rossignol, que Denis Robert soit « un type sincère mais qui est tout sauf un expert des systèmes financiers » (Libération, recueilli par Raphaëlle Bacqué), on considérera qu’entre Durand-Soufflant et Horlans, l’expert(e) en investigation judiciaire, c’est bien elle.
 
Certainement aussi le plus sincèrement du monde, le juge Gilbert Thiel (eh oui, d’habitude, la moindre de ses apparitions fait affluer la presse, pas cette fois…), est venu dire tout le bien qu’il pensait de Michel Dubec. Contrairement à certaines autres audiences, les témoins n’ont pas, devant la chambre ordinale, à jurer de dire « toute la vérité, rien que la vérité ». Il est donc tout à fait loisible d’oublier ou d’omettre de s’interroger sur le fait que, le matin même, huit autres plaintes, auxquelles ne s’associait pas le Conseil parisien de l’Ordre, visaient, devant cette même chambre, Michel Dubec. Mais il serait un peu court et présomptueux de penser qu’un Gilbert Thiel puisse être abusé par un Michel Dubec. De même, confrères et amis de longue date de ce psychiatre, deux autres, tout aussi experts, les Drs Daniel Zagury et Henri Grynszpan, ont eux aussi témoigné chaleureusement en faveur de leur concurrent et néanmoins ami. « Il a tenté de faire comprendre au mieux ce que ressent le psychiatre » qui expertise un criminel, a dit l’un, « au cours d’un exercice magnifique mais extrêmement périlleux ». Dont acte ; pourquoi pas ? Il aurait « débusqué ses propres réactions d’identification et de contre-identification, rendu compte de la tempête sous un crâne, » avança l’autre. Certes. Mais le problème est qu’à la lecture de certaines phrases, on ne voit pas trop parfois comment départir les unes des autres. Et par ailleurs, ne se serait-il pas trop « contre-identifié » au détriment de Maurice Joffo ? Et dans ce cas, n’aurait-il pu refuser de déposer ? Je ne sais qui a estimé qu’il passerait à la postérité pour l’expert psychiatre par excellence. Ne serait-ce pas, parmi le corps médical européen, le bon docteur Samuel Tissot et son Traité sur l’onanisme, publié et réédité soixante fois de 1760 à 1905, qui est l’exemple même de la postérité ? Pour expliquer l’avalanche de plaintes dont aurait été l’objet Michel Dubec (le dixième environ aurait été estimé recevable par l’Ordre des médecins, selon une source proche des protagonistes), le Dr Zagury a estimé « normal » d’être, étant expert, l’objet de la part de justiciables, de victimes, « d’une haine sociale ». Parce que les experts évoquent aussi « l’humanité des criminels ». C’est tout à fait vrai, et ils le doivent. Parfois, comme le relève par ailleurs Michel Dubec (Libération du 23 sept.), pour relever aussi que le plus apparemment psychopathe « conserve peu ou prou le sens de la réalité ». Ce qui a pour effet d’éviter d’encombrer de trop rares lits en HP et d’engorger un peu davantage les centrales et les centres de détention. On ne sait parfois si c’est la justice qui instrumentalise la psychiatrie ou l’inverse.
 
Thierry Pech, pour Le Seuil, est venu dire qu’a postériori, sa maison regrettait de ne pas avoir fait appel de la condamnation de Michel Dubec et Chantal de Rudder pour « injures en raison d’appartenance religieuse » (pour un agnostique tel Maurice Joffo, époux d’une baptisée catholique, c’est cocasse). Tant Michel Dubec que Chantal de Rudder le déplorent aussi : ils n’avaient pas été prévenus à temps de la décision du Seuil. Maurice Joffo, lui, absent de l’audience de l’Ordre, en avait été prévenu ; mais, à 82 ans, il a des trous de mémoire « et comme ma femme souffrait d’une crise d’arthrite, je suis resté près d’elle, » confiait-il par après. Bon, on peut parfaitement être xénophile, comme le ministre Brice Hortefeux, et tenir des propos qui prêtent à confusion. Cette condamnation, on en conviendra, n’a rien d’infâmant. Mais il a été parfois avancé qu’en ne faisant pas appel, Michel Dubec avait de facto accepté de s’être vu qualifié de « complice et coupable d’injures à caractère racial ». Il n’en est rien. Admettons-le. On aurait apprécié qu’à l’occasion de cette comparution, le rôle exact des experts devant les tribunaux soit disséqué.
l n’en a rien été. Tout au plus a-t-on appris que Me Vuillemin estimait que Michel Dubec était presque toujours désigné expert pour les procès à grand retentissement « en raison de copinages de palais de justice ». Il est aussi possible que des experts accablés de charges hospitalières ou peu soucieux de troquer d’aléatoires droits d’auteur pour de faibles honoraires ne soient pas trop volontaires pour multiplier les expertises. Ou qu’ils se refusent à la médiatisation qui guette souvent de tels experts, lesquels se prêtent complaisamment ou avec réticences aux sollicitations des radios, des chaînes, des quotidiens et hebdomadaires. Il faut donc bien suppléer leurs carences, avec, souvent toujours, les mêmes. Me Vuillemin n’a pas développé son analyse du rôle des experts mais, avec un brio évoquant le Robert Badinter de la grande époque (trémolos d’indignation, feinte rarement, exagérée ou non, souvent, et tremblements du menton en moins), a eu des mots très durs pour Michel Dubec. « Narcissique au sens le plus vulgaire du terme (…) cabotin spécialisé (…) roi de l’esquive… ». Bah, la parole, en défense comme en partie civile, est libre. « On vous fait comprendre qu’il serait intouchable, voire que sa notoriété l’autorise à dire n’importe quoi, » gronda-t-il. Me Coutant-Peyre a estimé qu’« il règle ses problèmes à travers ses patients » et qu’il serait « une sorte de danger public ». C’est sans doute ce qu’avancèrent d’autres plaignantes ou plaignants, dont les plaintes ont été ou non retenues par l’Ordre. C’est très difficile à établir. Ce n’est, cela ne reste, qu’une opinion, que certaines thérapeutes ou des médecins croient pouvoir avancer à son encontre. Je ne mets en doute ni leur compétence ni leur bonne foi, mais je prendrai le temps de beaucoup plus de réflexion. N’étant pas expert, cela ne m’a pas sauté aux yeux. Au final, la parole reste à la défense.
 
Me Burgot, pour contrer les arguments des conseils de Carlos, a tenté l’argumentation technique. « Puisque Carlos l’a récusé, il ne s’exprime pas en expert et il n’évoque aucun élément d’ordre médical, plaida-t-il, aurions-nous alors à traiter d’un délit d’opinion ? ». Effectivement, cela peut s’y apparenter ; car le problème reste entier, Michel Dubec se répandrait-il entre radios et chaînes de télévision pour faire part de ses opinions ou projections, identifications ou contre-identifications en tant que telles, que, basta… Tant qu’il ne se laisserait aller ni à l’injure, ni à la diffamation, personne n’y trouverait rien à redire. Il se trouve qu’il est constamment invité en tant qu’expert et qu’il précise rarement ce qui ressort de son opinion personnelle et de celle qui est parée de l’expérience de l’expert renommé. Admettons-le : s’il rabâchait sempiternellement « là je m’exprime en tant qu’expert » ou « là, ce n’est que ma simple subjectivité qui s’exprime », on l’inviterait beaucoup plus rarement, il lasserait vite.Dans cette affaire, on peut se demander qui manipule qui, consciemment ou non, et si ce ne sont pas les pratiques médiatiques qui ont fini par induire en erreur un « expert » pas si féru et congru de l’ingratitude de la presse à l’égard de qui lui sert ce qu’elle veut vendre à son public et pourrait ne plus le lui servir. Ce qui laisse planer un doute sur l’expertise globale de cet expert. Mais on ne conclura pas. Il appartiendra au collège de première instance, en motivant son délibéré, dans un mois environ, de dire si oui ou non, par mégarde ou sciemment, le Dr Michel Dubec a failli ou non aux obligations de son statut de médecin. Quant à savoir qui, de Michel Dubec, de Brigitte Brami, de la grégarité consensuelle de la presse, des mœurs judiciaires ou médicales, instrumentalise qui, et comment, il ne sera pas répondu à cette question. Ce n’est pas le rôle du collège ordinal. Ce compte-rendu trop partiel, qu’on peut estimer partial (eh, je ne fais pas du journalisme, mais de l’auto-analyse, n’est-il pas ?.. et je ne suis pas le seul), n’a pas non plus l’ambition de cerner la personnalité de Michel Dubec. Je ne suis d’ailleurs pas sûr que, n’en déplaise à Chantal de Rudder dont on reconnaît unanimement le talent et la conscience professionnelle, que la seule lecture de leur ouvrage suffise à se former une opinion à son égard. Et quand bien même serait-on soi-même expert ou très expérimenté, on peut toujours se tromper, ou se laisser gagner par ses préjugés. Ceux que l’on a nourris à l’encontre de maints experts déposant leurs conclusions en cours d’assises, et qui se lavent en fait les mains de leurs responsabilités. Ce n’est pas le cas de tous, loin de là.
 
Selon de nombreux journalistes, de nombreuses magistrates, Michel Dubec serait l’un des experts des plus consciencieux qui soient. Ce n’est pas du tout impossible : je n’en sais au fond rien d’autre que ce qu’ont pu en dire deux experts, un juge d’instruction renommé, un journaliste ayant pris, en neuf ans, de la bouteille. Il se peut qu’en le rétribuant, l’argent du contribuable soit le mieux placé qu’il soit possible. Dans ce cas, tant mieux, et le mieux des meilleurs mondes idéaux possibles étant l’ennemi du bien, on peut espérer que le Conseil sera indulgent en ne blâmant pas lourdement Michel Dubec. Ou s’exprimera de manière à ne pas totalement désavouer son instance départementale sans toutefois que cela porte à conséquence pour lui. Quant à l’incitation à la prudence, et à la réserve, on peut considérer qu’il n’attendra pas le délibéré pour en tenir fermement compte. Son attitude, tout au long de l’audience, le démontrait amplement. Avec ses lunettes rondes, son costume gris, devant ces têtes chenues, il évoquait un peu un petit garçon. Bien moins dégourdi que le Maurice Joffo de 1942 et années suivantes, celui qui franchissait clandestinement de nuit la ligne de démarcation. Au risque de se faire pincer et déporter. Michel Dubec s’est démarqué, lui aussi. En franchissant d’autres lignes ? Se serait-il laissé emporter ? Peut-être, ou peut-être pas. Ne préjugeons pas de lui ou d’une décision de justice. 
 

Encore une remarque : il ne faut pas tout confondre. Dans une longue déposition, le juge Thiel a détaillé les pesantes charges du juge d’instruction submergé de dossiers, la parfois très pénible confrontation avec des criminels retors tels Guy Georges, dit le Tueur de l’Est parisien. On comprend que cela l’ait marqué. Ce n’est pas faire montre de solidarité masculine avec les experts judiciaires, et le plus souvent des médecins psychiatres hommes sont nommés (ai-je souvenir d’avoir entendu déposer une médecin psy en assises ? Non, si ce fut le cas, mes excuses, Docteure…), que de bien vouloir admettre que Michel Dubec ait été très éprouvé par ses confrontations avec Touvier, chef de la milice, Guy Georges, tant d’autres. Merci aux experts de se charger de telles éprouvantes missions. Mais ce n’est pas là le propos. Tant bien même Michel Dubec serait-il un héros du Secours breton en mer, s’il lui était arrivé de commettre un excès de vitesse, d’avoir heurté des véhicules et provoqué des blessures, on considérerait hors sujet, techniquement, ou accessoire, le fait qu’il revenait d’une éprouvante sortie en pleine tempête. Dans d’autres affaires, il se plaint que ce livre ait des répercussions sur sa vie familiale et professionnelle. Ce fut peut-être aussi le cas pour l’ensemble de la famille Joffo, pour l’épouse de Maurice Joffo, pour sa fratrie. Et si le conducteur adverse était un certain Carlos, de mauvaise, d’exécrable réputation par ailleurs, cela n’enlèverait rien à la matérialité des faits. On peut penser que Michel Dubec, ses confrères experts, ses amis, et bien évidemment le juge Thiel, soient aptes à le comprendre. Parfois, pour certains, cela n’apparut pas si évident. Mais dans une affaire de ce genre, les impressions sont secondaires. Sur de tels points en tout cas. Pour le reste, tout le reste, il reste matière à débat.

 
 

P.-S. – Dans un communiqué, le S.N.J. se prononce sur Denis Robert : « Le Syndicat National des Journalistes (SNJ), première organisation de la profession, aux côtés de Denis Robert depuis plusieurs années, lui renouvelle son soutien et appelle l’ensemble de la profession à être très attentive à cette affaire. ». Quelle affaire ? Celle du fonctionnement de Clearstream Banking ? Allons bon… et puis, si le S.N.J. se mettait à alerter l’ensemble de la profession sur toutes les affaires, il va falloir agrandir les salles d’audience des instances du Conseil de l’Ordre des médecins. Gaffe, Gentot (ancien pdt du S.N.J.), camarade, au final, cela se répercutera sur les honoraires… Et à nos âges…