(Ce texte est une fiction. Elle peut choquer des personnes sensibles, je  préfère le dire)…

 

Il y a 3 ans déjà, je revenais du marché de Sliven avec mes 4 enfants quand cet homme m’a abordée. Au marché, je n’avais rien acheté car je n’avais pas d’argent…mais comme je m’y rendais le soir, tard, après la fermeture, je trouvais toujours quelques fruits, quelques légumes invendus que les marchands avaient balancés dans la rue et qui seraient nettoyés le lendemain matin à l’aube. Quand j’avais de la chance, je trouvais des tomates ou des pommes en assez bon état, sinon je les prenais quand même, j’enlevais les parties pourries à la maison.

Je retournais dans mon quartier, le quartier des Roms qui surplombait la ville ; nous, on est des Roms. On est fier d’être Rom mais les autres Bulgares ne nous aiment pas. On ne les aime pas non plus et gare aux imprudents qui entrent dans notre quartier sans sésame.

On habite une maison faite de tôle dans une rue haute de la ville. Je m’appelle Svetlana et mon mari Lubim. On a 4 enfants, on a pas les moyens d’avoir un moyen de contraception et encore moins d’avorter quand la bêtise est faite, alors on les accepte. J’attendais mon 5ème quand cet homme m’a abordée.



Il m’a adressé la parole gentiment. J’ai vu qu’il était de chez nous, on se reconnaît tout de suite et puis je l’avais déjà aperçu. Il m’a demandé si ça allait, si ce n’était pas trop dur, il a tapoté la tête de mes enfants avec un sourire, il leur a même donné une sucrerie et a souri devant les étoiles qui ont brillé dans leurs yeux.

Puis il m’a demandé de combien j’étais enceinte et si je voulais de cet enfant ; je lui ai répondu que j’étais enceinte de sept mois, que bien sûr c’était un accident mais qu’on prenait ce que D.ieu nous envoyait. Alors il m’a expliqué qu’il s’occupait d’une organisation caritative dont le rôle était de faire adopter des bébés bulgares, en France, en Italie et dans d’autres pays européens, par des familles très bien, dont le malheur était de ne pas pouvoir avoir d’enfant. Qu’il avait déjà fait adopter des dizaines de petits bébés qui étaient maintenant choyés et heureux. Que la mère était entièrement prise en charge et soignée jusqu’à son accouchement dans une clinique à Paris ou Rome. Et que les parents biologiques recevaient en échange de leur geste un dédommagement de 5000 euros.

Sur le coup, je n’ai pas voulu l’écouter. On n’avait pas beaucoup d’argent, à vrai dire on n’en avait pas du tout, mais chez nous on avait notre fierté et on n’abandonnait pas ses enfants. Il m’a dit que ce n’était pas un abandon mais une adoption, une chance que l’on donnait à notre bébé de vivre une meilleure vie, de s’en sortir. Quel avenir on pensait lui donner en le laissant grandir dans le quartier Rom de Sliven ?

Il m’a dit d’en parler avec mon mari et m’a donné un rendez-vous pour la semaine suivante, même heure, même endroit, pour lui faire part de notre décision.

On est rentré à la maison. J’ai préparé le repas sur le petit réchaud. Le repas c’était des pommes de terre et quelques poivrons, je n’avais trouvé que ça. Lubim était couché, malade, et les enfants tournaient autour de moi comme des mouches. Je me suis mise à penser à la proposition de l’homme.

Après le repas, j’ai couché les enfants dans un des deux lits de la pièce commune et je me suis couchée auprès de mon mari. Il a eu vers moi un geste qui en annonçait d’autres mais je l’ai repoussé et je lui ai parlé. De l’homme, des adoptions, des 5000 euros. Il n’a rien dit et s’est tourné pour dormir. Je me suis dit qu’il m’en voulait d’avoir envisagé cette possibilité et j’ai eu honte de moi.

Le lendemain matin, les enfants sont partis pour l’école avec dans le ventre un croûton de pain. Alors Lubim m’a parlé. Il m’a dit qu’il y avait pensé toute la nuit et que, D. lui était témoin qu’il aimait ses enfants, il voulait accepter la proposition. Que l’idée de se séparer de la chair de sa chair lui brisait le cœur mais qu’il fallait comprendre que l’enfant aurait une chance que les autres n’auraient jamais. Et aussi que les 5000 euros allaient nous sortir de la misère.

Je l’ai regardé et j’ai dit « d’accord ».

Je suis allée au rendez-vous. Tout s’est enchaîné, j’allais partir pour Paris dans un mois, je serais logée chez une amie de cet homme, j’accoucherais dans une clinique privée et quelques jours après la naissance, à la sortie de la maternité, les parents viendraient chercher leur bébé, ils me donneraient l’argent, et je verrais que c’étaient des gens bien. Je lui ai demandé quel était son intérêt, il m’a dit qu’il touchait sa petite commission.

Un mois plus tard, je suis partie, laissant Lubim et les enfants avec 100 euros d’avance que l’homme m’avait donnés. J’ai pris l’avion pour la première fois et j’ai découvert Paris…de loin. Je restais en banlieue dans l’appartement d’une bulgare qui ne me parlait presque pas. Un jour de la mi-septembre, j’ai ressenti des contractions et on m’a conduite à la clinique où j’ai accouché à 2h du matin d’un garçon. La sage-femme me l’a mis dans les bras, il était beau, je l’ai embrassé en lui disant que je l’aimais et qu’il aurait une vie meilleure. Ils l’ont emmené et, épuisée, je me suis endormie.

Deux jours plus tard, je suis sortie et, à l’appartement de la femme bulgare, un homme et une femme sont venus chercher mon fils. Ca a été dur de le voir partir, mais on avait pris notre décision. J’ai reçu mon argent, et on m’a mise le lendemain dans un avion direction Sofia.

Deux ans plus tard, un policier français est venu nous voir, accompagné d’un interprète ; un procès allait se tenir à Paris pour trafic de nouveaux-nés et j’étais convoquée en qualité de témoin. J’étais surprise, tout cela était légal, on m’avait assuré qu’après mon départ, les papiers pour l’adoption seraient faits en bonne et due forme. Le Français a répondu quelque chose et le traducteur s’est tu. Je lui ai demandé ce que le Français avait dit. Il m’a répondu que je ne voulais pas le savoir, je lui ai dit que si, au contraire. J’avais le cœur dans la gorge et un sale pressentiment. L’interprète a hésité encore, puis il a répondu.

Le Français avait dit qu’il ne s’agissait pas d’un procès pour adoptions illégales, mais pour trafic d’organes.

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