Le frère, Roch, de Michèle Tabarot, maire du Cannet, et Frank Mezzasoma, l’un des proches collaborateurs local de la numéro deux de l’UMP, n’émeuvent guère les hautes sphères du parti de Nicolas Sarkozy. Ils vont bientôt être visés par le parquet de Grasse, soupçonnés, comme en Espagne et au Maroc, « d’escroquerie en bande organisée », mais Michèle Tabarot reste toujours solidement en cour auprès de Jean-François Jupé. Bah, après les affaires de Claude Guéant, il en a vu et en verra sans doute d’autres…
Depuis ses débuts de substitut dans les Ardennes, le procureur Georges Gutierrez est considéré être un magistrat d’une rare prudence et circonspection. Surtout lorsqu’il s’agit d’affaires mettant en cause des personnalités ayant des accointances politiques. D’autant qu’il a entretenu des liens indirects avec le RPR, ce qui n’a pas forcément nui à sa carrière, mais il fut aussi sur le devant de la scène pour avoir requis un non lieu en faveur de Dominique Strauss-Kahn dans l’affaire dite du Carlton de Lille.
Bref, à Nice-Matin qui lui remémorait que des affaires de corruption présumée « éclaboussent trois mairies de la Côte d’Azur », il rétorquait fort sobrement que « c’est vrai que les affaires de corruption sont plus importantes ici qu’à Lille », s’abstenant de commenter celles visant les fédérations PS du Nord et du Pas-de-Calais, et préférant recentrer l’entretien sur les trafics de stupéfiants, les vols à l’étalage et les contentieux routiers.
Contrairement à son prédécesseur niçois, Éric de Montgolfier, ce n’est peut-être pas avec une folle appétence qu’il a vu atterrir sur son bureau une plainte de l’association des victimes de Roch Tabarot pour « escroquerie en bande et blanchiment ». Laquelle, déposée le 18 juin, stipule que l’argent non-remboursé à des investisseurs immobiliers floués, soit les « sommes extorquées ou détournées », n’ont pu que faire « l’objet de détention, transmission ou dissimulation sur le territoire français ». Ces sommes ont-elles servi à favoriser l’implantation de Michèle Tabarot dans son fief du Cannet, puis dans le département, voire nationalement ? C’est ce qu’il faudra – ou non, et même au contraire – s’efforcer de – ne pas – démontrer.
L’affaire a été déjà été détaillée en long et large par Mediapart (et reflétée ici, sur Come4News). Le principal protagoniste est Roch Tabarot, mais l’affaire implique aussi Frank Mezzasoma, trésorier départemental de l’UMP, ainsi que Philippe Tabarot, conseiller municipal de Cannes, conseiller général UMP également.
Comme l’exprime fort pudiquement le président de l’association des victimes, Miguel Cancela, la justice espagnole qui, dans un premier temps, n’a guère fait de zèle, pourrait avoir été sensible « aux connexions politiques des Tabarot ». C’était du temps où le Parti popular, parti frère de l’UMP, n’était pas encombré par des affaires de corruption, de pots-de-vin, de rétributions occultes (dont de Mario Rajoy), de comptes à l’étranger.
En (très gros), l’affaire se résume ainsi. Le clan Tabarot se livrait, en Espagne et au Maroc, à de la cavalerie en obtenant de juteuses acquisitions de terrains immobiliers. Mais contrairement à ceux qui rémunèrent les anciens arrivants avec l’apport des nouveaux, après quelques beaux placements servants de vitrines, les suivants ne se concrétisaient pas et les créanciers étaient rarement ou fort peu dédommagés.
La faute à pas de chance, et au revirement du marché immobilier espagnol, ont plaidé les deux frères.
Pas du tout, ont estimé les juges espagnols de l’Audiencia nacional (l’affaire a traîné avant de remonter très haut) qui ont pointé « l’appropriation indue des fonds de la société » par ses principaux actionnaires et dirigeants. Lesquels non seulement menaient grand train (et même convoi princier) pour épater le gogo, mais plaçaient beaucoup de fonds à l’abri, ou en distribuaient avec libéralité à des proches. En 2008, malgré la crise qu’ils évoquent, les protagonistes se répartissaient encore 3,4 millions d’euros alors qu’ils étaient criblés de dettes, avaient commercialisé sur plans des projets à Malaga, Grenade et Murcie, sans même, selon l’un des plaignants manifester une réelle volonté de construire.
« Si ces presque 19 millions d’euros avaient été réintégrés dans l’actif social, le préjudice des victimes aurait été réduit de façon significative. ». Car avant septembre 2008, voire après, la société sortait de ses comptes espagnols jusqu’à 13,5 millions d’euros, en espèces, dont la trace n’a pas été retrouvée en Espagne ou au Maroc.
Au Maroc, il y a bien eu sept millions d’euros de transférés, mais ils étaient dus aux investisseurs ou acquéreurs de logements en Espagne. Il s’agissait, au moins sur le papier, de créer, tout près du « bon » nouveau Marrakech, celui, à Guéliz, des récents grands hôtels de luxe et des résidences accueillant des Européens, un complexe pour séniors. De 772 logements allant du simple studio à la suite de grand standing. Avec piscines, salles communes de détente, de soins, &c.
Il était attendu 48 millions de bénéfices, un rendement facilité par le fait que, contrairement au prix du marché en croissance, le terrain avait été acheté – grâce à l’intercession de quel ami du roi du moment ? – à relativement fort bas prix. Et comme un Bernard Tapie, les frères Tabarot se sont fait ouvrir de copieuses lignes de crédit à la Banque marocaine du commerce extérieur et chez une filiale de la Société générale. Ces deux établissements savaient-ils ce qui s’était tramé en Espagne, ont-ils été influencés pour négliger les antécédents ? C’est aussi toute la question qu’il sera difficile de trancher. Heureusement, le procureur Gutierrez pourra s’entendre avec ses homologues espagnols, il en maîtrise la langue. Quant aux marocains, ils sont à présent tout disposés à largement communiquer : la donne semble avoir changé.
Dans un premier temps, les juges espagnols Gordillo Alvarez Valdez et Santiago Pedraz, indique Mediapart, n’avaient guère envie de s’entretenir avec la justice marocaine. Ils refusaient d’adresser une commission rogatoire au Maroc. Ils pourraient à présent être désavoués. L’affaire a fait des milliers de victimes, françaises ou espagnoles, et il pourrait en être de même au Maroc.
Riviera Invest Maroc, des frères Tabarot, est à présent placée sous contrôle et la BMCE vient de mettre sous enchères le terrain de 2,7 ha acquis à Guéliz pour y construire les fantomatiques Jardins d’Eden avec l’argent des investisseurs en Espagne.
La « presse Tapie » s’est réveillée, et Var-Matin pose la question : Philippe et Michèle Tabarot « peuvent-ils être éclaboussés ? ». Indique sans détour que l’un des floués, Robert Garcia, retraité cannois, estime qu’une partie des millions détournés « a été transférée à Cannes, avant les municipales de 2008 ». Il s’est produit beaucoup de « virements à des membres de la famille Tabarot ». L’un des fondateurs de la holding Riviera Coast Invest était Frank Louis Pierre Mezzasoma, ancien chef de cabinet de Michèle Tabarot. Il avait revendu ses parts avant que cela sente trop fortement le roussi, réalisant une forte plus-value avec un investissement minime de départ (3 000 euros).
Des sommes ont été aussi transférées aux États-Unis et au Mexique, dans d’autres pays.
Jusqu’à présent, Nice-Matin préférait faire état de la plainte de Michèle et Philippe Tabarot contre Mediapart. Et d’une volonté dénoncée par Me Szpiner de « salir, démolir la numéro deux de l’UMP ». Bref, les Tabarot sont blancs comme neige, mais, tout comme Nicolas Sarkozy, on veut les discréditer. Sauf que là, il s’agit aussi d’étrangers, en grand nombre, pour qui Sarkozy ou les Tabarot sont des citoyens lambda. S’agirait-il d’un complot international ?
Un qui prend préventivement ses distances, c’est l’ancien maire de Cannes, Michel Mouillot. C’est un peu comme Tapie et Estoup : les Tabarot, mais de qui s’agit-il donc ? « Roch Tabarot, franchement, je ne le connais pas. Je ne l’ai jamais vu… ».
Le nombre des victimes en Espagne est de près de 700 personnes. Michèle Tabarot était peut-être crânement à la dernière fête de la violette, organisée par la Droite forte, mais l’affaire ne sent pas vraiment la rose ou le réséda.
En Espagne sont visés Francisco Renaendez et José Antonio Quesada Cordon. Deux administrateurs espagnols. Deux maillons faibles ? Avec Roch Tabarot, ils claquaient 55 000 euros par mois aux frais de la société. S’ils n’ont pas mis suffisamment de côté, ils risquent d’être bavards.