En général, les champagnes à moins de dix euros se dénichaient, vers 2003-2004, chez les producteurs, en particulier ceux de l’Aube, de la Haute-Marne et de l’Aisne… Parfois, par le passé, chez Lidl ou Ed, il s’en trouvait lors des périodes des fêtes de fin d’année. Ou alors, en déstockage, dans des boutiques nord-américaines. Là, il semble que la crise de liquidités de certains récoltants-manipulants vaudra à la très grande distribution française de promouvoir des cols à moins de dix euros… Valent-ils vraiment davantage ?

Tout d’abord, qu’est-ce qu’un champagne ? Ce n’est pas un vin de Champagne (Suisse), puisque les organisations professionnelles vini-viticoles champenoises ont fini par obtenir que plus personne en Europe puisse dénommer « champagne » un vin mousseux ou effervescent, même fabriqué en « méthode traditionnelle » (à la Dom Pérignon, pour résumer). Ce n’est pas non plus tout contenu d’une bouteille portant la mention « champagne » dessus. Le bulk wine nord-américain, celui obtenu le plus souvent avec des cépages blancs et une forte injection de gaz à siphon et autres « eaux ferrugineuses », se retrouve sous l’appellation « Ohio State Champagne » ou « New-York State Champagne ». Les grands Krug ou Chandon ou Mumms et autres des vallées de Mapa ou Sonoma ou des Carneros (en Californie), ne sont que des sparklers, tout comme ceux du Brésil, d’Australie ou d’Afrique du Sud… Quant aux « vins joueurs » de Crimée, dont les meilleurs, ceux de Novy Svet (Nouveau monde), ou d’Abrau Durso, tout comme ceux de Californie, valent bien, au goût, certains Deutz ou Bollinger, ils n’emploient guère le subterfuge de se dénommer « champagnes ». Par ailleurs, c’est un vin produit, en 2009, avec des rendements de 8 000 kilos à l’hectare pour les maisons (qui s’approvisionnent par ailleurs un peu partout sur l’aire d’appellation), et de 9 700 kg/ha pour les récoltants-manipulants.

Pernod-Ricard, qui possède diverses marques de champagne, propose des cols à 1 300 USD ou des coffrets de douze Pierrier Jouët de la cuvée By & For à 50 000 euros, soit 4 000 euros le col. Le prix d’une automobile Tata ou presque. C’est la « premiumisation » : faire très, très cher, car total exclusif. Déguster un Salon (le champagne des vieux Champenois) dans le salon d’un TGV-AGV  Make it exclusive (une voiture à 26 places seulement, qu’on peut bien sûr réserver entièrement pour soi seul·e et quelques rares ami·e·s choisi·e·s), celui d’un avion privé (genre Falcon présidentiel français, mais aménagé encore plus bling-bling), le boudoir d’un banquier chinois détenant le quart de la financière Edmond de Rotschild, ou chez un ploutocrate russe ayant payé sa garçonnière  76 753 USD le m², c’est encore peu commun. Question : de combien de caisses de By & For peut-on « paver » un tel m² ? Le gagnant gagnera-t-il son poids en bouteilles de « jaune », de Ricard ? Il va de soi, que même s’il s’agit de têtes de cuvée (le premier pressage), c’est uniquement la taxe au snobisme qui justifie de tels prix. Ainsi, pour « petits budgets » d’après crise, les magnats de la finance peuvent se tourner vers un Dom Pérignon griffé Karl Lagerfeld qu’on trouvera à Genève ou Zurich (chez Globus uniquement) pour 3 200 CHF (2 200 euros), seulement.

Tout comme le porto, le champagne est, sauf rares exceptions, un assemblage. On pourrait donc fort bien vous produire un excellent champagne avec des raisins provenant du Saumurois ou de régions diverses pourvu que le dosage, en conjugaison avec les raisins produits sur la craie et sous les brouillards ou givres champenois, soit raisonnable. Mais la parcelle des Vieilles vignes de Bollinger, à Aÿ, fournit des cols millésimés ne provenant que de ces plans de pinot noir épargnés par le phylloxera et cultivés en foule, à l’ancienne, rétorquera-t-on. Certes, mais pour en obtenir l’excellence, on adjoint au jus de l’année, comme pour tous les champagnes, de la « liqueur ». Il s’agit d’un vin préservé en foudre et constitué des meilleures cuvées anciennes. Pour qu’un vin de maison prestigieuse puisse obtenir et son label et son goût constant d’une année sur l’autre, il faut bien savoir, certes, manipuler, au sens propre (faire descendre les impuretés dans le col), mais aussi « arranger », de manière artistique, pour ainsi dire. Ce qui ne veut absolument pas dire « trafiquer », au sens commun.

Les champagnes des grandes maisons ont tous une personnalité bien affirmée. Ils sont parfois très vineux, parfois réellement évanescents, vins de dégustation ou vins de fête, destinés à être savourés ou simplement, à faire tourner les têtes et chavirer peut-être, les cœurs des belles peu habituées à boire des effervescents et n’appréciant que peu le goût des vins. Un mousseux produirait sans doute le même effet, mais sans la distinction, la finesse d’ébullition des meilleurs champagnes.

Ces meilleurs champagnes sont en général produits en Marne, près d’Épernay. Selon l’exposition, on privilégie le chardonnay, comme à Chouilly (où il fait bon faire la « chouille », la noce…), ou des rouges, comme à Bouzy (dont les raisins produisent tant des champagnes blancs et rosés que des rouges d’appellation, des pinots noirs, les Bouzy-Rouge). Un champagne de maison vendu souvent une vingtaine d’euros est souvent la résultante d’un assemblage de vins issus des Coteaux champenois et de diverses provenances plus lointaines en Marne, Haute-Marne, Aube ou Aisne.

Un récoltant-manipulant de Sézanne (Marne), Château-Thierry (Aisne), Colombey-les-Deux-Églises (Haute-Marne), ou des confins de l’appellation Côte des Bar dans l’Aube, n’a pas forcément à disposition de la liqueur capable de sauver un médiocre millésime, ou une variété de raisins assez large pour réussir un excellent assemblage. Et c’est pourquoi on trouvera chez eux des champagnes à prix convenables qui pourront être, selon les années, d’une excellente ou relativement piètre qualité.

Selon une dépêche de l’Agence France Presse, la présence de champagnes à moins de dix euros sur les rayons de la grande distribution proviendrait du fait que les grands acheteurs ont réduit leurs stocks. Ils n’achèteraient plus que pour approvisionner leurs points de vente pendant un trimestre au lieu de deux ans. Les stocks des coopératives seraient aussi trop importants. Du fait de cette concurrence, les petites maisons seront sans doute tentées de frôler la dizaine d’euros le col, et il y aurait donc de bonnes affaires en perspectives.

Le champagne à une dizaine d’euros n’est pas une nouveauté chez Selgros ou Metro ou d’autres spécialistes de la distribution de type « cash and carry » chez qui les professionnels vont s’approvisionner. Le Veuve Élizabeth, qui se vendait en 2004 à 63 euros les six bouteilles (et facturé généralement dans les 25 à 35 euros le col par un traiteur), aura sans doute des « concurrentes » à des prix similaires cette année. Ainsi, on a vu des négociants créer une Veuve Olivier en direction de la grande distribution, laquelle n’a aucun lien avec le champagne Veuve Olivier & Fils de Trelou-sur-Marne (dont le Carte d’Or, un pinot meunier, est vendu huit euros, départ propriété, voir le site). Un Veuve Lepitre Premier Cru est vendu, TTC, départ propriété, de dix à 15 euros.

Un groupe comme celui de Jean Myri distribue les crus de plus de 120 viticulteurs champenois, en direction de la grande distribution ou selon d’autres filières. Son directeur, Pascal Hébert, confiait à Sophie Claeys-Pergament, de L’Union, que, déjà l’an dernier, lors des animations, on constatait une baisse de 15 % de la consommation. « La situation est étonnante sur les linéaires. Quand on entend les grands discours de valorisation des bouteilles de marques et qu’on retrouve ces mêmes bouteilles à prix bradés… » remarquait-il.

Les vitiviniculteurs de Champagne ont aussi besoin de liquidités parce que, comme partout dans le vignoble européen (mais surtout en Europe occidentale), les terres s’épuisent du fait du recours aux pesticides. Les plants ne trouvent de quoi favoriser leur croissance, doivent être arrachés et remplacés plus tôt. À la mévente de l’an dernier s’ajoutent des besoins en investissement. Pour les maisons, leurs contrats d’approvisionnement avec les petits producteurs leur imposent un premier paiement en décembre : la baisse des ventes ayant frôlé le tiers à l’export l’an dernier, il leur faut faire face à cette échéance de trésorerie.

La grande distribution n’est pas seule à proposer des champagnes sympathiques à des prix très raisonnables par rapport à ceux de certaines grandes marques. La famille Champion, de Bergères-sous-Montmirail, qui travaille la vigne depuis plus de deux siècles, propose des cols à moins de 13 euros départ propriété mais dispose de neuf dépôts à travers la France.  D’autres exploitations familiales prennent la route pour aller au-devant de clients éloignés et fréquentent de petits salons ou participent à des animations commerciales. Le champagne William Saintot, d’Avenay-Val d’Or, sera présent, fin novembre, à Redene près de Lorient, ou Parmain, près de Champagne-sur-Oise et L’Isle-Adam.  Cette petite maison familiale dispose de divers vignoles répartis entre quatre communes et utilise ses raisins pour 78 % de ses assemblages. Ses premiers prix sont de 12 euros, départ propriété, ou lors d’animations commerciales. Vous pouvez dénicher de bons champagnes à des prix modiques par rapport à ceux des grandes maisons en les repérant via des portails, tel l’annuaire des vins Vinup.com. En tout cas, comme l’indique Guillaume Lecointre, d’Achat champagne (site de vente en ligne assez intéressant qui arrive à concurrencer parfois la grande distribution), inutile de se tourner vers les cavas et autres concurrents étrangers (ou d’autres régions françaises). « Croyez bien que je me suis renseigné sur les substituts aux champagnes, j’ai fait plusieurs salons pour trouver des produits pétillantes de bonne qualité : crémant de Bourgogne, méthode gaillacoise, muscato d’Asti, spumante. Le seul compromis que j’ai trouvé est un crémant d’Alsace qui est quand même à 12€, à ce prix là on a d’excellents champagnes de producteurs. ». C’est un peu sévère pour la production saumuroise : en dégustation à l’aveugle, il est arrivé à des Saumurois de surclasser des productions champenoises. Le premier prix d’Achat champagne est un brut Dehut à 14 euros TTC, suivi par un brut Lequien et Cardet Carte Chamois (16 euros TTC). Suivent des champagnes provenant de maisons ne rechignant pas à faire de la publicité telle Ayala, Charles Lafitte, Demoiselle…

Une idée champagne de fête peu coûteuse ? Songez que certains producteurs, dont Gardet, peuvent vous proposer des étiquettes personnalisées (généralement à partir de six bouteilles), à un prix raisonnable (moins d’un euro par bouteille, généralement). Cela vous reviendra certes plus cher qu’un col à 9,99 €, mais pour à peine quatre ou cinq euros de plus, ou six pour une seule bouteille (Yveline Prat le propose à partir d’une unité, et à 0,80 € pour les six flacons), vous recevrez une ou des bouteilles de producteurs à votre nom ou votre effigie, ou totalement individualisées. Pour des quantités plus importantes, la personnalisation est souvent offerte. Des imprimeurs champenois, ou d’autres régions, proposent aussi cette prestation…

Dernier conseil : si vous habitez une zone frontalière, tentez de voir si les tarifs ne sont pas plus alléchants à l’étranger. En Grande-Bretagne, les importateurs ont fait pression pour obtenir des prix plus bas afin de proposer des bouteilles à dix livres sterling pour les fêtes. Les prévisions mondiales de ventes sont de 260 millions de cols pour 2009 (au lieu de 339 en 2007). Si les prix d’appels des « petits champagnes » tombent à neuf euros, il est probable que les maisons importantes, sauf pour leurs grandes cuvées de prestige, feront chuter leurs prix sous la barre des 20 euros. Quant à définir un rapport qualité-prix, la chose est malaisée : plus les bulles sont fines, plus l’effervescence est vive, meilleur est le champagne, dit-on. Mais calculer le prix à la bulle n’est pas vraiment aisé. Et puis, le champagne, c’est d’abord une affaire de goût. Si vous ne recherchez pas forcément le meilleur prix, voyez le blogue-notes du site Plus de bulles. Des conseils et des avis vous sont proposés. Quant au site lui-même, il vous propose de trouver « le champagne qui vous correspond ». Les critères sont « jeune, estival » ou « charnu, vineux », par exemple. Meilleur prix trouvé, moins de 16 euros pour un brut Veuve Reuther de la maison Gardet. Il est surtout vendu sous ce nom dans le Bénélux et au Royaume-Uni. Ce n’est pas un mauvais choix, tant pour l’apéritif que pour accompagner un repas ou un dessert… Et c’est pratiquement, pour le moment, inférieur au prix d’un champagne en promotion chez Leclerc. Mais d’ici à quelques semaines, voire quelques jours, certains prix vont chuter… Et en fait, près de 70 francs français pour une bouteille de champagne, n’est-ce point un prix raisonnable ?